Lutte de classe

 

 

Construction du parti et militantisme (4)

 

 

Voici un extrait d’une correspondance que je viens d’avoir avec un camarade. Elle s’inscrit dans le cadre d’une discussion informelle et libre.

 

Pour revenir au militantisme, je pense que l'accent devrait être mis en priorité sur la nécessité pour les travailleurs de se réapproprier la politique, d'y participer activement, car la très grande majorité d'entre eux demeurent passifs, on décide de leur destin à leur place, c'est à mon avis le problème urgent à traiter.

 

Les réformistes et les staliniens l'ont bien compris et profitent de cette situation pour avancer sur le terrain du corporatisme avec la formule de la "démocratie participative". Ils ont le champ libre et en profite, d'où le "succès" du concept de l'altermondialisme... Il faut donc prendre le contre-pied de cette démarche ultra réactionnaire.

 

Pour être plus précis, il faudrait arriver à ce que les travailleurs se disent et leur donner les moyens de l'exprimer : mais ce que vous dites est exact, ils décident de fermer une maternité sans nous consulter, alors que nous sommes contre, de quel droit ? ; ils décident de supprimer des classes, alors que nous sommes contre, de quel droit ?,etc., ils décident à notre place, mais à aucun moment nous avons été consultés, on nous tient à l'écart, on est tout juste bon à aller travailler, et encore quand on a la chance d'avoir un travail, personne ne devrait décider à notre place, il s'agit de notre vie, de notre avenir, de nos enfants, nous devons nous organiser pour mettre un terme à cette situation insupportable, c'est parce que nous restons isolés, parce que nous n'avons aucun pouvoir qu'ils peuvent décider à notre place contre nos intérêts, alors qu'en réalité, la majorité, le peuple, c'est nous, c'est donc nous qui devons exercer le pouvoir et décider et personne d'autre à notre place, etc.

 

On nous dit que les contre-réformes passent parce qu'il existe un consensus UMP-UDF-PS-PCF et les appareils des syndicats. C'est vrai, mais cela n'explique pas tout, loin de là, c'est un peu court comme analyse. Il faut aussi dire que sur des dizaines de millions de travailleurs, seuls quelques dizaines de milliers participent activement à la vie des associations, organisations, syndicats ou partis, ce qui représente une infime partie des travailleurs. Il ne faut pas confondre le nombre d'adhérents et le nombre de militants ou de travailleurs engagés activement dans un regroupement politique quelconque ou un syndicat.

 

Il faudrait préparer un tract qui les mettraient face à cette réalité, qui les obligeraient à réagir, à s'investir... Un tract qui serait valable aussi bien aujourd'hui que dans plusieurs mois, quelque chose de très général qui ne s'adresserait pas à une catégorie de travailleurs en particulier, mais à tous les travailleurs et jeunes. Ce ne serait pas un tract revendicatif proprement dit, mais un tract les appelant à prendre leur destin en mains, en les mettant aux pieds du mur en quelque sorte.

 

Il faut aussi combattre l'ouvriérisme qui a fait des ravages pendant des décennies parmi les militants.

 

L'ouvriérisme qui s'exprime aujourd'hui le plus ouvertement, emprunte une tournure qui consiste à confondre droit et devoir ou à ne retenir que les droits en passant à la trappe les devoirs de chacun d'entre nous.

 

Le simple fait de placer un travailleur face à ses responsabilités ou de lui rappeler, serait automatiquement vécu comme une contrainte insupportable, un excès de pouvoir, une démarche autoritaire inacceptable. Alors on se contente de lui demander ce qu'il pense en s'entourant de précautions oratoires, linguistiques ou diplomatiques, mais surtout, sans qu'il se sente obligé de quoi que ce soit, les formules ne manquent pas : jugez-vous même, discutons-en, qu'en pensez-vous ?, peut-on accepter ?, etc. Pensez, c'est bien, c'est du domaine du droit, agir c'est mieux, c'est votre devoir, c'est justement ce qui fait défaut. Vous avez le droit de penser ce que vous voulez, voilà qui est fort intéressant, quant à votre devoir de prendre en main vos propres affaires, on n'en parle pas, c'est sans doute du domaine de la vie privée.

 

Il faudrait arriver à ce que les travailleurs cessent de penser que s'occuper de leur propre destinée est seulement un droit, un droit réservé aux autres ou un droit dont ils useraient tous les cinq ans en allant voter, mais que c'est aussi un devoir, leur devoir, et que personne d'autre ne doit dorénavant le remplir à leur place. Attention, il ne s'agit pas de les culpabiliser, ce serait stupide et franchement dégueulasse, il faut les mettre face à leurs responsabilités individuelles. Il faut y mettre les formes. Il est évident que seuls des militants véritablement à l'écoute des travailleurs et en phase avec leur état d'esprit présent, des militants qui sont réellement en contact avec la classe ouvrière, peuvent avoir une approche correcte et mener à bien cette démarche.

 

On oublie très souvent que le militantisme ne se borne pas uniquement au domaine de la politique, mais qu'il déborde sur bien d'autres aspects de la vie, notamment la psychologie. Cela fera sans doute sourire les puristes de la lutte des classes qui se proclament dépositaires du marxisme, ce sont justement ceux dont on a pu constater qu'ils avaient été incapables de construire le moindre parti révolutionnaire en un demi-siècle, et pour cause : ils ont toujours été coupés des masses ! Tout est politique, mais tout n'est pas que politique.

 

Le problème de tous les partis et groupes, c'est qu'ils utilisent une terminologie politique que les masses ne comprennent pas ou qu'elles rejettent, cela fait langue de bois, on a l'impression d'avoir lu tout cela des milliers de fois depuis des décennies, c'est le même langage que tous les partis utilisent, la confusion est totale, cela manque de crédibilité, cela n'inspire aucune confiance, on finit par avoir l'impression qu'ils bouffent tous à la même gamelle, qu'ils sont sortis du même tonneau, cela manque forcément son objectif, pour finir, c'est pédaler dans le vide et on n'avance pas.

 

Les travailleurs ne sont pas des théoriciens de la lutte des classes, bien des nuances leur échappent. Ils finissent presque toujours par penser et à juste titre le plus souvent, qu'on veut les rouler dans la farine, qu'on leur cache quelque chose, bref qu'on est aussi malhonnête que les autres, c'est un comble d'en arriver là.

 

Je pense à cela depuis plusieurs mois déjà, je vais essayer de préparer quelque chose dans ce sens. Je ne prétends pas que ce soit la panacée, mais cela vaut le coup d'essayer, de l'audace camarade, encore et toujours de l'audace !

 

On n'arrête pas de dire que les travailleurs veulent en découdre, qu'ils sont prêts, etc., mais rien de concret ne se passe depuis des décennies, je parle au niveau organisationnel, alors que c'est la question déterminante. Je ne dis pas qu'il ne faut plus utiliser la terminologie politique, mais je dis que cela ne suffit pas, qu'elle est inadaptée lorsqu'on s'adresse à des travailleurs qui sont dégoûtés des partis et des syndicats, de la politique comme on dit, ce qui est le cas de la plupart d'entre eux, et les affaires du genre Clearstream ou EADS ne peut que les renforcer dans cette attitude.

 

On doit s'adresser à toutes les couches du prolétariat et rompre avec les pratiques sectaires du PT.

 

Il faut rompre radicalement avec ce type de militantisme professionnel qui en fait ne s'adresse qu'à des initiés, à une infime partie du prolétariat, généralement la mieux nantie, qui le plus souvent est déjà engagée sur une voie de garage, dans le réformisme.

 

Plus des trois quart des militants du PT sont des fonctionnaires, c'est le fond de commerce privilégié du PT pour fourguer sa camelote et assurer ainsi sa survie politique et financière, celle de son appareil.

 

Je n'ai absolument rien contre les fonctionnaires en général, j'aurais même plutôt tendance à les considérer comme les victimes d'une supercherie politique savamment organisée qui les pousse dans les bras du réformiste, et à ce jeu là, le PT occupe évidemment une place et une responsabilité particulière depuis des décennies.

 

Parmi ces fonctionnaires, une partie a adhéré au PT en pensant qu'ils rejoignaient un véritable parti révolutionnaire en construction, puis les années passant, se rendant compte que la révolution n'était pas vraiment au programme du PT ou qu'elle tardait à venir, une partie d'entre eux ont quitté ce parti. Quant à ceux qui y sont restés, ils sont devenus de vulgaires bureaucrates réformistes petits-bourgeois, dont certains d'entre eux constituent aujourd'hui l'appareil du PT. Cela explique très bien qu'ils se soient accommodés de la dégénérescence du PT, de son tournant réformiste du début des années 80 qui a abouti à la liquidation du PCI comme embryon du parti révolutionnaire en France. On peut définir le PT comme une passoire lorsqu'on parle des militants de base, et d'un bloc monolithique, lorsque l'on parle de ses cadres, de ses dirigeants, de son appareil. Le PT est un parti ouvrier-bourgeois, un parti réformiste. Ce n'est pas le genre de parti que nous voulons construire et dont nous avons besoin pour vaincre le capitalisme.

 

Maintenant, recruter des réformistes ou des staliniens repentis ou convertis demande beaucoup plus de travail et d'efforts, que de recruter des travailleurs n'ayant aucune expérience politique. C'est dans bien des cas une source de problèmes supplémentaires plutôt qu'un avantage.

 

Dans le traitement des névroses, Freud expliquait qu'il était beaucoup plus difficile de traiter un malade qui s'était accoutumé à vivre avec sa maladie pendant des années parce qu'il avait fini par en tirer des avantages substantiels, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Le travail du psychanalyste s'en trouvait d'autant plus compliqué qu'il devait réussir à éliminer les causes morbides qui avaient provoqué la névrose de son patient, tout en lui prouvant que la disparition de ses troubles psychiques s'accompagnerait d'un bien-être supérieur à celui que sa maladie lui procurait auparavant par des voies détournées et artificielles. On pourrait dire la même chose de la cigarette, de l'alcool, de la drogue et de bien autres choses encore.

 

Le travailleur lambda est sous l'emprise des idées de la classe dominante, c'est un processus entièrement inconscient. Il n'y adhère pas, elles s'imposent à lui par la force des choses.

 

Le réformiste ou le stalinien est sous l'emprise des idées de la classe dominante, mais plus tout à fait sous la forme d'un processus inconscient, ou pas seulement. Il y adhère volontairement, elles s'imposent à lui, mais en plus ils les adoptent consciemment, il les revendique, se les approprie, les propage et les défend, dès lors il y ait attaché, il s'identifie en quelque sorte à la classe dominante (l'aspect inconscient qui demeure), d'où la difficulté de l'en délivrer ou de l'en séparer en partie ou totalement. J'ai fait ce constat en entretenant des relations et une correspondance avec des militants issus du PS et du PCF qui sont actuellement au PT. Je ne leur ai jamais rien dit, je ne les ai pas accablés de reproches non plus, mais je ne leur ai jamais fait le moindre compromis, ce n'ai pas mon genre, les camarades le savent très bien.

 

Puisque pour le moment on ne parvient pas à réduire les désaccords qui existent entre les différents groupes de militants pour parvenir à la constitution d'une organisation révolutionnaire, on pourrait peut-être imaginer une étape transitoire qui passerait par une forme d'organisation plus souple et moins contraignante, qui ne serait pas basée sur un programme spécifique, mais qui reposerait sur une charte renfermant des principes élémentaires que chacun des groupes adopterait et s'engagerait à respecter, disons pour en finir avec les institutions de la Ve République et le capitalisme, une sorte de comité d'action où nous combattrions ensemble, en élaborant des tracts et en engageant des actions communes ponctuelles et ciblées, une sorte de front unique de militants révolutionnaires, laissant par ailleurs entière liberté à chacun des groupes de défendre son programme et son orientation politique.

 

Les camarades n'ont semble-t-il pas compris que notre objectif n'est pas de renforcer un groupe par rapport à un autre, car aucun des groupes existant ne donnera naissance par extension à une organisation révolutionnaire, en tout cas à lui seul. Une telle orientation mènerait obligatoirement à une impasse, à la stagnation, avant de disparaître dans l'indifférence générale. Je crains malheureusement que ce soit l'orientation et la mentalité qui prédomine aujourd'hui.

 

J'ai envie de leur dire modestement : suivez mon exemple, je vous écris ces lignes alors que je suis à 10 000 kilomètres de Paris, d'après vous, quel intérêt particulier ou personnel j'aurais à imposer une orientation ou une stratégie plutôt qu'une autre, réfléchissez deux secondes, cela ne tient pas debout, seule l'objectif de la construction du parti me guide et rien d'autre, parce que sans ce parti, vous pourrez toujours développer les analyses que vous voudrez, ce sera en dernière analyse comme si vous pissiez dans un violon, vous aurez seulement réussi à démontrer votre impuissance et votre incapacité à aider les masses à résoudre les problèmes auxquelles elles sont confrontées, à avancer dans la construction du parti... Vous prétendez défendre les intérêts des travailleurs, mais par votre attitude sectaire et bornée, vous démontrez exactement le contraire, que vous en êtes totalement incapables, car la question du parti est déterminante et vous le savez très bien, voilà la vérité, qu'elle vous plaise ou non ne change rien. (A suivre)

 

Le 1er juillet 2006