pour un parti révolutionnaire


Construction du parti -

  Extraits de textes des marxistes

- La base du parti doit comporter aussi un programme socialiste révolutionnaire
- Pourquoi nous ne progressons pas ?
- Le programme marxiste : Comment le faire accepter par la masse ?
- Régénérer à un niveau historique plus élevé la « démocratie révolutionnaire de l'avant-garde prolétarienne



Déclaration signée Clave, dans le numéro de cette revue d'avril 1939.
Oeuvres juin 1939 - Léon Trotsky

(Nos divergences avec Diego Rivera 5 avril 1939)

Nous considérons un parti prolétarien comme l'instrument essentiel pour la libération de la classe ouvrière. La base d'un tel parti doit comporter non seulement des revendications empiriques et conjoncturelles, mais un programme de mots d'ordre de transition, et, ce qui est le plus important, le programme de la révolution sociale.

L'idée qu'on puisse créer un parti ad hoc pour une conjoncture concrète donnée est absolument incroyable et opportuniste par essence. Un parti ouvrier avec un soi-disant « programme minimum » est eo ipso un parti bourgeois. C'est un parti qui entraîne les ouvriers à soutenir la politique bourgeoise ou les politiciens bourgeois.



Discussion sur la IVe Internationale
Oeuvres - juin 1939 - Léon Trotsky

Compte rendu sténographique de la seconde discussion entre Trotsky, James et Schüssler. traduit de l'anglais, avec la permission de la Houghton Library.

James. - 1. Je serais heureux d'entendre ce que pense le camarade Trotsky de la fantastique montée de la combativité des ouvriers français et, parallèlement, de l'incontestable déclin de notre propre mouvement en France durant la même période. A la conférence de fondation, on a consacré six séances à la question française et, au dernier moment, il y a eu encore une discussion sur la résolution qu'on allait présenter. Cela donne une idée des difficultés. Cannon et Shachtman pensaient qu'il s'agissait exclusivement d'un problème de direction et d'organisation. Blasco pensait que les camarades français étaient capables d'analyser la situation politique, mais incapables d'intervenir activement dans la lutte des masses. Mon opinion personnelle est qu'un tel état de choses résulte de la composition sociale du groupe, de sa concentration à Paris et de l'intérêt prédominant qu'il porte aux questions purement politiques au détriment des problèmes des usines, encore que j'aie pu remarquer au milieu de 1937 un grand changement de ce point de vue. Je crois cependant qu'il s'agit d'une question qui demande une réflexion et une analyse sérieuse. (...)

Trotsky - Oui, la question est de savoir pourquoi nous ne progressons pas en fonction de la valeur de nos idées, qui ne sont pas aussi dénuées de sens que le croient certains de nos amis. Nous ne progressons pas politiquement. Ce fait est l'expression du recul général du mouvement ouvrier dans les quinze dernières années. Quand le mouvement révolutionnaire décline de façon générale, quand une défaite suit une autre défaite, quand le fascisme s'étend sur le monde entier, quand le marxisme officiel s’incarne dans la plus formidable machine à duper les travailleurs, il va de soi que les révolutionnaires ne peuvent travailler que contre le courant historique général. Et cela, quand bien même leurs idées sont aussi intelligentes et exactes qu'on peut le souhaiter. C'est que les masses ne font pas leur éducation à travers des pronostics ou des conceptions théoriques, mais à travers l'expérience générale de leur vie. C'est là l'explication globale : l'ensemble de la situation est contre nous. Il faut que se produise un tournant dans la prise de conscience de classes, dans les réactions et les sentiments des masses, un tournant qui nous donnera la possibilité de remporter un grand succès politique.

Je me souviens des discussions en 1927 à Moscou après l'écrasement des ouvriers chinois par Tchiang Kaï-chek. Nous l'avions prédit dix jours auparavant et Staline nous avait répondu par des affirmations de ce genre : « Borodine est vigilant », « Tchiang Kaï-chek ne peut matériellement nous trahir », etc Huit ou dix jours plus tard, c'était la tragédie et nos camarades exprimèrent leur confiance : notre analyse était si manifestement correcte que tout le monde s'en apercevait et que nous étions sûrs d'entraîner le parti. Je répondis que l'étranglement de la révolution chinoise était mille fois plus important pour les masses que toutes nos prédictions. Nos prédictions pouvaient convaincre une poignée d'intellectuels qui s'intéressaient à ces problèmes, mais pas les masses.

La victoire militaire de Tchiang devait inévitablement provoquer un reflux, une démoralisation, et ne pouvait en rien favoriser la progression d'une fraction révolutionnaire.

Depuis 1917, nous avons connu une longue suite de défaites. Nous sommes comme des gens qui tenteraient d'escalader une montagne et qui recevraient toujours et toujours des avalanches de pierre et de neige. Il s'est créé dans les masses en Asie et en Europe un sentiment nouveau de désespoir. Elles ont entendu quelque chose comme ce que nous disions il y a dix ou quinze ans du parti communiste, et elles sont pessimistes. C'est là l'état d'esprit général des masses. C'est la raison la plus générale. Il ne nous est pas possible de nous situer en dehors du courant historique général, hors de la disposition générale des forces. Le courant est contre nous, c'est clair. Je me souviens de la période entre 1908 et 1913, en Russie. A cette époque aussi nous étions en pleine réaction. En 1905 pourtant, nous avions les ouvriers avec nous, mais en 1908, et même en 1907, déjà, commença la grande réaction, le grand reflux. Tout le monde inventait des mots d’ordre et des méthodes nouvelles pour conquérir les masses, mais personne n'y arrivait. Tout ce qu'on pouvait faire à cette époque, c'était de former des cadres, mais ils fondaient ensuite littéralement. Il se produisit de nombreuses scissions, à droite, à gauche, vers le syndicalisme, ailleurs... Lénine restait à Paris avec un petit groupe, une secte. Il gardait pourtant confiance, car il savait qu'il y aurait bientôt des possibilités de redressement... C'est ce qui se produisit en 1913, où il y eut une vague dont la guerre brisa le développement. Pendant la guerre, il régna d'abord parmi les ouvriers un silence de mort. Les gens qui se réunirent à Zimmerwald étaient en majorité des éléments très confus. Au plus profond des masses, dans les tranchées et ailleurs, il existait bien un état d'esprit nouveau, mais tellement souterrain, tellement terrorisé encore, que nous nous ne pouvions ni l'atteindre ni lui donner une expression. C'est pour cela que le mouvement se sentait si misérable, et même la majorité des gens qui s'étaient rencontrés à Zimmerwald allaient virer à droite pendant le mois suivant. Je ne cherche pas à dégager leurs responsabilités personnelles mais, là aussi, il faut une explication globale : c'est que le mouvement zimmerwaldien avait à nager contre le courant.

Notre situation à nous est incomparablement plus difficile que celle d'aucune autre organisation, à aucune autre époque. Nous avons à subir le poids terrible de la trahison de l'Internationale Communiste qui s'était dressée justement contre la trahison de la II° internationale. La dégénérescence de la III° Internationale s’est accomplie si rapidement et de façon tellement inattendue que c'est la même génération à qui nous avons autrefois annoncé sa formation qui est encore là pour nous entendre aujourd'hui dénoncer sa trahison. Et ces hommes se souviennent qu’ils ont déjà une fois entendu tout cela.

Il faut tenir compte aussi de l'importance de la défaite de l’Opposition de gauche en Russie. Car la IV° Internationale, par sa naissance, est liée à l'Opposition de gauche russe, et les masses, d’ailleurs, nous appellent les « trotskvstes ». On nous dit : « Trotsky veut prendre le pouvoir. Mais pourquoi donc l’a-t-il perdu ? » C'est évidemment une question de fond. Nous devons commencer par y répondre en expliquant la dialectique de l'histoire, de la lutte de classes : toute révolution engendre une réaction. Max Eastman a écrit que Trotsky accordait à la doctrine trop d'importance et que, s'il avait eu plus de bon sens, il n'aurait pas perdu le pouvoir. Effectivement, il n'est rien au monde qui soit plus convaincant que le succès et rien de plus repoussant, surtout pour les larges masses, qu'une défaite. Il faut donc ajouter la dégénérescence de l'Internationale communiste, d'un côté, et, de l'autre, la terrible défaite de l'Opposition de gauche en Russie, suivie de son extermination. Ces faits-là sont mille fois plus convaincants pour la classe ouvrière que notre pauvre petit journal, même quand il atteint le tirage fantastique des cinq mille exemplaires de notre Socialist Appeal . Nous sommes sur un frêle esquif au milieu d'un courant terrible. Sur cinq ou six bateaux, l'un coule, et on dit tout de suite que c'est la faute du pilote. Mais la véritable raison n'est pas là. La vérité, c'est que le courant était trop fort. Voilà l'explication la plus générale, celle que nous ne devons jamais oublier, si nous ne voulons pas sombrer dans le pessimisme ou le découragement, nous qui sommes l'avant-garde de l'avant-garde. Car cette ambiance marque tous les groupes qui se rassemblent autour de notre drapeau. Il y a des éléments courageux qui n'aiment pas aller dans le sens du courant : c'est leur caractère. Il y a des gens intelligents qui ont mauvais caractère, n'ont jamais été disciplinés et ont toujours cherché une tendance plus radicale ou plus indépendante : ils ont trouvé la nôtre. Mais les uns et les autres sont toujours plus ou moins des outsiders, à l'écart du courant général du mouvement ouvrier. Leur grande valeur a évidemment son côté négatif, car celui qui nage contre le courant ne peut pas être lié aux masses. Aussi la composition sociale d'un mouvement révolutionnaire qui commence à se construire n'est elle pas à prédominance ouvrière. Ce sont les intellectuels qui sont les premiers mécontents des organisations existantes. Par tout, il y a aussi beaucoup d'étrangers qui, dans leur propre pays, ne se seraient sans doute pas mêlés aussi facilement au mouvement ouvrier. Un Tchèque sera plus facilement membre de la IV° Internationale au Mexique ou aux Etats-Unis qu'en Tchécoslovaquie même. Et de même pour un Français aux Etats-Unis. Car l’athmosphère nationale exerce une profonde influence sur les individus.

Les juifs, par exemple, sont souvent à moitié étrangers, pas tout à fait assimilés : ils adhèrent volontiers à toute tendance nouvelle, critique, révolutionnaire ou à moitié révolutionnaire, que ce soit en politique, en art ou en littérature. Une tendance révolutionnaire nouvelle, qui va contre le courant général dominant de l'histoire à un moment donné, se cristallise d'abord autour d’hommes qui sont plus ou moins coupés de la vie nationale, dans quelque pays que ce soit : et c'est précisément pour eux qu’il est le plus difficile de pénétrer dans les masses. Bien entendu, nous devons critiquer la composition sociale de notre organisation et la modifier, mais nous devons aussi comprendre qu'elle n'est pas tombée du ciel, qu'elle est déterminée, au contraire, aussi bien par la situation objective que par le caractère de notre mission historique en cette période.

Cela ne veut pas dire que nous puissions nous satisfaire d’une telle situation. Pour la France, par exemple, il existe, en outre, une vieille tradition du mouvement ouvrier qui n'est pas sans rapport avec la composition sociale du pays, surtout dans le passé : d'un côté une mentalité petite-bourgeoise - l'individualisme - et de l'autre, un élan, une extraordinaire capacité d’improvisation. Si on les compare à l'époque classique de la II° Internationale, on s'aperçoit que le parti socialiste français et la social-démocratie allemande, avaient au parlement le même nombre d'élus. Mais il n'est même pas possible de comparer les organisations. Les Français étaient tout juste capables de collecter 25 000 francs, et encore au prix des pires difficultés, tandis que pour les Allemands, trouver un demi-million ne posait pas de problèmes. Les Allemands avaient dans leurs syndicats plusieurs millions d'ouvriers, les Français, eux, quelques millions qui ne payaient pas leurs cotisations. Engels terminait en ces termes une lettre dans laquelle il avait caractérisé l'organisation française : « Et comme d'habitude, les cotisations ne rentrent pas ! »

Notre organisation française souffre de la même maladie, le mal français traditionnel, cette incapacité d'organisation et, bien entendu, en même temps, de l'absence des conditions qui permettraient l'improvisation. En outre, dans la mesure où la France a connu une montée ouvrière, elle s'est produite en liaison avec le Front populaire. Dans ce contexte, la défaite du Front populaire a constitué la preuve que nous avions raison comme, auparavant, l'extermination des ouvriers chinois. Mais une défaite est une défaite, et elle se retourne directement contre les tendances révolutionnaires, au moins jusqu'à ce que se produise une nouvelle montée à un niveau supérieur. Il nous faut nous préparer surtout et attendre un élément nouveau, un facteur nouveau dans la configuration générale des forces.

Il y a en France des camarades comme Naville et d'autres qui sont venus à nous, il y a quinze, seize ans, alors qu'ils étaient encore de tout jeunes gens; ce sont maintenant des hommes mûrs, et, pendant toute leur vie consciente, ils n'ont reçu que des coups, subi que des défaites, de terribles défaites, et ils en ont l'habitude. Ils apprécient hautement la justesse de leurs conceptions, ils sont capables de bonnes analyses, mais ils n'ont jamais été capables de pénétrer dans les masses, d'y travailler, ils n'ont jamais pu apprendre à le faire. Or il est terriblement nécessaire de regarder ce qui se passe dans les masses. Mais nous avons en France des camarades qui sont ainsi.

Je connais beaucoup moins bien la situation britannique, mais je crois qu'il y a là aussi des gens comme ça.

Pourquoi avons-nous perdu des hommes ? Après ces terribles défaites mondiales, la montée ouvrière en France s'est réalisée à un niveau très bas, très primitif politiquement, sous la direction du Front populaire. Toute la période du Front populaire a été une sorte de caricature de notre révolution de février. C'est une honte pour la France, qui traversait voici cent cinquante ans, la plus grande révolution bourgeoise du monde, que ce mouvement ouvrier ait eu à passer par une caricature de la révolution russe.

James. - Vous ne rejetterez donc pas toute la responsabilité sur le parti communiste ?

Trotsky. - Il constitue un facteur important dans l'élaboration de la mentalité des masses, et on peut dire, en effet, que la dégénerescence du parti communiste a été un facteur très actif.

En 1914, les bolcheviks dominaient complètement le mouvement ouvrier. Les statistiques les plus sérieuses démontrent qu'à la veille de la guerre les bolcheviks ne représentaient pas moins des trois quarts de l'avant-garde ouvrière. Pourtant, avec le début de la révolution de février, les éléments les plus arriérés, les paysans, les soldats, et même d'anciens ouvriers bolcheviques ont été attirés dans ce courant Front populaire. Le parti bolchévique fut réduit à l'isolement et très affaibli. Le courant général était à un bas niveau politique, mais il était puissant et il aboutit finalement à la révolution d'Octobre. Il s'agit d'une question de rythme. En France, venant après toutes ces défaites, le front populaire a attiré des éléments qui avaient des sympathies pour nous sur le plan des idées, mais qui étaient engagés dans le mouvement des masses, et nous avons été encore plus isolés qu'auparavant, du moins pendant quelque temps.

Il faut tenir compte de tous ces éléments. Je peux même affirmer que nombre de nos dirigeants - attention, pas tous !, surtout dans les sections les plus anciennes, se verront rejetés hors du mouvement de masse révolutionnaire lors du nouveau tournant et que de nouveaux dirigeants, une direction fraîche, naîtront dans le courant révolutionnaire.

En France, la régénération de notre groupe a commencé avec l’entrée dans le parti socialiste. Cette politique ne fut pas clairement comprise par tous; elle nous permit pourtant de gagner de nouveaux militants. Malheureusement, ces recrues étaient habituées à un milieu large et, après la scission, elles se sont un peu découragées. Au fond, elles n'étaient pas suffisamment trempées, elles n'ont pas su s'accrocher et elles ont été reprises par le courant du Front populaire. C'est regrettable, mais explicable.

(...) N'oubliez pas que nous avons perdu la première révolution, celle de 1905... Avant 1905, nous avions une tradition de grand courage et d'esprit de sacrifice, des forces. Après, nous étions réduits à l'état de misérable minorité, de trente à quarante hommes peut-être. Puis il y eut la guerre...

James. - Combien le parti bolchevique comptait-il de militants ?

Trotsky. - En 1910, dans tout le pays, quelques dizaines. Il y en avait pas mal en Sibérie. Mais en fait ils n'étaient pas organisés. Les gens que Lénine pouvait atteindre par lettre ou par un agent n'étaient pas plus de trente ou quarante. Notre tradition, les idées que nous avions répandues parmi l'avant-garde ouvrière constituaient un extraordinaire capital qui devait être utilisé, plus tard, au cours de la révolution, mais pratiquement, à cette date, nous étions complètement isolés.

L’Histoire a ses lois propres, très puissantes, plus puissantes que notre propre conception théorique de l'histoire ! Aujourd'huit en Europe, c'est la catastrophe, le déclin, l'extermination de tous les pays. Cela pèse lourdement sur les ouvriers. Ils voient d'un côté toutes ces combinaisons diplomatiques, ces mouvements d'armées, et de l'autre un groupe minuscule avec un petit journal qui donne les explications. Or le problème, pour eux, c’est qu'ils vont être mobilisés demain, que leurs enfants peuvent être tués. Il y a une terrible disproportion entre la tâche et les moyens.

Si la guerre éclate maintenant, et il semble qu'elle doive éclater -, dans le premier mois, nous perdrons les deux tiers des militants que nous avons en France aujourd'hui. Ils seront dispersés d'abord : jeunes, ils seront mobilisés; mais subjectivement, ils resteront fidèles au mouvement. Quant à ceux qui ne seront ni arrêtés, ni mobilisés et qui resteront fidèles , - peut-être trois ou quatre, je ne peux dire combien au juste -, ils seront complètement isolés.

C’est seulement après plusieurs mois que critique et dégoût commenceront à se manifester à une grande échelle et un peu partout : nos camarades isolés, un blessé dans un hôpital, un soldat dans une tranchée, ou une femme dans un village, sentiront que l'atmosphère a changé, et prononceront une parole hardie. Et celui-là même qui était un camarade tout à fait inconnu dans une section parisienne deviendra le leader d'un régiment, d'une division et se sentira un dirigeant révolutionnaire. C’est caractéristique de notre période.

Je ne veux pas dire par là qu'il faille nous résigner à l’impuissance de notre organisation française. Je crois sincèrement que, si les camarades américains nous aident, nous pouvons gagner le P.S.O.P. et faire un grand bond en avant. (...)



Lettre au Comité Central du Groupe Bolchévik-Léniniste
4 décembre 1935 - Léon Trotsky

Lettre au C.C. du Groupe Bolchévik-Léniniste. Bulletin intérieur du G.B.L. n°10, 13.12.1935.

Chers Camarades,

Si l'on veut savoir ce qu'est l'abdication aux principes, il faut lire attentivement la lettre de P. Frank. Politiquement elle est inconsistante. Mais elle reflète, très bien l’état d'esprit d'un intellectuel (pour ne pas dire petit-bourgeois) sceptique et désorienté. Que vous répond un petit bourgeois français « avancé », « très gauche », « très révolutionnaire » (« la patrie ? On s'en fout.. grève générale, insurrection »), qu'est-ce qu'il vous répond à votre objection : il vous répond immédiatement : « On ne veut pas votre « prépondérance d'organisation », « Un nouveau parti ? Une nouvelle Internationale ? Non, on en a eu assez ». Voila la réponse typique.

Et Frank, qu'est-ce qu’il fait ? Il traduit servilement cette mentalité. « Aucun ultimatisme d'organisation. » « Aucun groupe actuellement existant ne peut prétendre à la prépondérance d'organisation. » C'est humiliant, même pour un marxiste, de répondre à des arguments pareils. Est-ce que nous nous sommes jamais préoccupés de la « prépondérance » d'organisation ? Il s'agit pour nous d'un programme, qui correspond à la situation objective. Si une autre organisation plus large que la nôtre accepte ce programme (non en paroles, mais dans les actes), nous sommes prêts à fusionner sans la moindre prétention de prépondérance. Voyez les Etats-Unis et la Hollande1. Mais dans la lettre de P. Frank, dans toute sa pensée (comme dans-le fameux appel de la « Commune ») il n'y à aucune mention du programme, et non sans raison : le programme, c'est un obstacle sérieux pour la fraternisation générale des petits, bourgeois, des intellectuels, des pessimistes, des sceptiques et des aventuriers, et nous autres croyons que le programme détermine tout.

« Pas d'ultimatisme d'organisation. » Quel abus révoltant de la formule léniniste, pas d'ultimatisme envers les masses, envers les syndicats, envers le mouvement ouvrier, mais l’ultimatisme le plus intransigeant envers chaque groupement qui prétend diriger la masse. Cet ultimatisme-là, il s'appelle le programme marxiste. Comment le faire accepter par la masse ? C'est une question naturellement très grave. Mais si l'on veut créer un organe de masse, il faut que la rédaction elle-même possède un programme et que ce programme soit marxiste. Or; à la place de ce programme on met un je m'en fichisme aventurier. Rien de plus.

Milice ouvrière et défaitisme révolutionnaire, ce n'est pas un programme. « Tout le monde » les accepte maintenant avec telle ou telle réserve. Le programme maintenant, c'est la lutte pour le nouveau parti contre les deux Internationales et contre Marceau Pivert (S.A.P., I.A.G.), le valet de l’unité des réformistes et des staliniens. Se gargariser maintenant de « l'unité organique » et même de « l'unité organique révolutionnaire », signifie tromper les masses avec Marceau Pivert et les autres valets du socialpatriotisme. Comités d'action, parti révolutionnaire et IV° internationale, c'est ici que commence le programme adéquat a l'étape actuelle. Se borner aux formules insuffisantes ou périmées signifie jouer un rôle réactionnaire. Et il est difficile de s’imaginer un document plus réactionnaire que l'appel de la « Commune » si ce n’est lettre de P. Frank. Le gros argument dans cette lettre : « Pourquoi les B.L. sont restés faibles en Allemagne et puis en France ? » n'est qu'un écho des objections centristes : pourquoi êtes-vous battus par la bureaucratie stalinienne, par la réaction coalisée chinoise, etc. ? Nous avons donné l'explication depuis longtemps et nous n'avons jamais promis de faire des miracles. Notre travail international n'a commencé qu'en 1929 et non sur un terrain vierge, mais sur un terrain extrêmement obstrué par de vielles organisations glissantes et des nouvelles organisations confuses et souvent traîtresses, qui se réclamaient de nos principes Nous étions en lutte constante contre les Pierre Frank en Allemagne et en Espagne contre les sceptiques et aussi contre les aventuriers; qui ont voulu faire des miracles (en se cassant le cou). Le fait même que Frank emploie des arguments si sommaires et si confus, démontre qu'il se sent étranger à notre organisation. Mais malgré tous les sceptiques et tous les aventuriers, c'est la seule organisation qui connaît son chemin et qui fait des progrès et qui porte dans son sein l’avenir de la classe ouvrière.

Il n’y a. que les petits enfant qui puissent croire qu’il s'agit entre nous et le groupe de la « Commune » de la question d'un « journal de masse ». Il s'agit au vrai de la question du programme, de l'orientation historique de la tendance. Il s'agit d'un nouvel épisode de la lutte entre le marxisme et le centrisme - d'une lutte qui caractérisé toute notre époque.

PS - Je voudrais encore attirer votre attention sur les procédés absolument intolérables du groupe de la « Commune ».Voilà comment Frank les décrit lui-même : « La décision de créer la « Commune » prise, les premiers pas faits, nous nous sommes tournés vers les organisations existantes (groupe B.L., J.S., Minorité du Front Social, Groupes d'Action Révolutionnaires2, leur disant: vos discussions se prolongent dangereusement, nous avons mis pour vous un journal sur pied; prenez-le; allez-y. » Or ce sont les soi-disant B.L. qui créent la « Commune » et qui s’adressent après cela de la hauteur de cette nouvelle position acquise, aux simples mortels des «diverses tendances et organisations »... « Allez-y.» Qu'est-ce qu'ils ont donc créé, ces initiateurs audacieux ? La « Commune ». Et qu'est ce que la «Commune ». Une doctrine; un programme, des mots d'ordre, un drapeau ? Non, rien de tout cela. C'est un local, des affiches et... la caisse. Il s’agit, d'une certaine somme d'argent. Voilà la vérité. Et c'est de la hauteur de cette position purement matérielle que les initiateurs font la tentative de diriger et même de commander la tendance B.L. Voilà où on tombe, quand on perd la boussole. Non, ce n'est pas notre organisation qu’on peut diriger par des méthodes pareilles. Dans les marais centristes on est beaucoup puis conciliant. Essayez vos méthodes là-bas. « Allez-y.»

1 Aux U.S.A. et en Hollande, les organisations trotskystes avaient fusionné avec des organisations plus importantes. La présidence des nouveaux partis était revenue dans les deux cas au groupe le plus nombreux.

2 Les G.A.R. étaient des groupes animés par les militants de La Commune et visaient à regrouper toutes les obédiences révolutionnaires.



« ÉTIQUETTES » ET « NUMÉROS »
La Vérité, 25 août 1935 - Léon Trotsky

Au sujet de la lettre de Marceau Pivert aux camarades frappés par la conférence nationale des jeunesses socialistes de Lille.

La lettre de Marceau Pivert sur les exclusions des chefs de la jeunesse révolutionnaire de la Seine1, malgré son but louable, renferme un certain nombre d'idées inexactes qui, dans leur développement, peuvent conduire à de sérieuses erreurs. Prévenir les jeunes camarades contre ces erreurs est le vrai devoir d'un marxiste.

Pivert lui-même accuse nos amis de commettre une grande « erreur psychologique » en prenant le nom de bolcheviks-léninistes. Puisque le « bolchevisme initial », selon Pivert, niait la structure démocratique du parti, l'égalité (?) pour toutes les tendances, etc. par leur nom même, les bolcheviks-léninistes donnent à la bureaucratie. du parti une arme contre eux-mêmes. En d'autres termes, l’ « erreur psychologique » consiste en une adaptation insuffisante à la psychologie de la bureaucratie du parti.

Ce jugement de Pivert représente une « erreur politique » très sérieuse, et même une série d'erreurs. Il n'est pas vrai que le « bolchevisme initial » niait la structure démocratique du parti. J'avance l'affirmation absolument contraire : il n'y a pas eu et il n'y a pas de parti plus démocratique que celui de Lénine. Ce parti s'était formé par en bas. Il dépendait seulement des ouvriers avancés. Il ne connaissait pas la dictature cachée, masquée, mais d'autant plus néfaste, des « amis » bourgeois du prolétariat, des parlementaires carriéristes, des maires affairistes, des journalistes de salon, de toute cette confrérie parasitaire qui permet à la base du parti de parler « librement », démocratiquement », mais se maintient elle-même avec ténacité à l'appareil et, en fin de compte, fait ce qu'elle veut. Ce genre de « démocratie » dans le parti n'est rien d'autre qu'une copie de l'État démocratique-bourgeois, qui lui aussi permet au peuple de parler « librement », puis laisse le pouvoir réel à une poignée de capitalistes. Pivert commet une très grande erreur politique en idéalisant et en embellissant la « démocratie » hypocrite et mensongère de la S.F.I.O. qui, en fait, freine et paralyse l'éducation révolutionnaire des ouvriers en étouffant leur voix par le chœur des conseillers municipaux, des parlementaires et autres qui sont imprégnés jusqu'à la moelle d'intérêts petits -bourgeois égoïstes et de préjugés réactionnaires. La tâche du révolutionnaire, même si la marche du développement le contraint à travailler dans la même organisation que les réformistes, ces exploiteurs politiques du prolétariat, consiste non pas à prendre l'attitude du protégé et à faire sienne celle de l'amitié mensongère pour ces agents de la bourgeoisie, mais à s'opposer en face des masses le plus clairement, le plus âprement, le plus implacablement possible aux opportunistes, aux patriotes, aux « socialistes » absolument bourgeois. Ceux qui choisiront et qui trancheront, ce seront, en fin de compte, non les Blum et les Zyromski, mais les masses, les millions d'exploités. C'est. sur eux qu'il faut s'aligner, c'est pour eux qu'il faut bâtir un parti. Le malheur de Pivert, c'est que jusqu'à maintenant il n'a pas rompu le cordon ombilical qui le relie au petit monde des Blum et des Zytomski2. A chaque occasion nouvelle, il regarde ses « amis » et leur tâte le pouls avec inquiétude. Et c'est cette politique fausse, illusoire, non réaliste, qu'il réclame des bolcheviks -léninistes ! Ils doivent, paraît-il, renoncer à leur propre nom. Pourquoi ? Est-ce que ce nom effraie les ouvriers ? Au contraire. Si les prétendus « communistes », malgré toutes les trahisons et tous les crimes qu'ils ont commis, retiennent sous leur drapeau une partie importante du prolétariat, c'est uniquement parce qu'ils se présentent aux masses comme les porteurs des traditions de la révolution d'Octobre. Les ouvriers ne craignent ni le bolchevisme ni le léninisme. Ils demandent seulement (et ils font bien) : « Sont-ils de véritables bolcheviks, ou de faux ? » Le devoir des révolutionnaires prolétariens conséquents est, non pas de renoncer au nom de bolcheviks, mais de montrer dans les faits aux masses leur bolchevisme, c'est-à-dire l'esprit révolutionnaire conséquent et le dévouement absolu, à la cause des opprimés.

Mais pourquoi donc, insiste Pivert, se coller sur le nombril une étiquette (?) au lieu de « suivre les enseignements qu'elle comporte » ? Mais Pivert lui-même ne porte-t-il pas l' « étiquette » de socialiste ? Dans le domaine de la politique tout comme les autres domaines de l'activité humaine, il est impossible de procéder sans « étiquettes », c'est-à-dire sans dénominations et qualificatifs aussi précis que possible. Le nom de « socialiste » est non seulement insuffisant mais absolument trompeur, car s'intitulent « socialistes » en France tous ceux qui en ont envie. Par leur nom, les bolcheviks -léninistes disent à tous et à chacun que leur théorie, c'est le « marxisme », que c'est non pas le « marxisme » dénaturé et prostitué des réformistes (à la Paul Faure, Jean Longuet, Séverac, etc.) mais le véritable marxisme restauré par Lénine et appliqué par lui aux questions fondamentales de l'époque de l'impérialisme; qu'ils s'appuient sur l'expérience de la révolution d'Octobre, développée dans les décisions des quatre premiers congrès de l'Internationale communiste; qu'ils sont solidaires du travail théorique et politique accompli par l' « opposition de gauche » de l'Internationale communiste (1923-1932); enfin qu'ils se rangent sous le drapeau de la IV° Internationale. En politique, le « nom », c'est le « drapeau ». Celui qui renonce aujourd'hui à un nom révolutionnaire pour le bon plaisir de Léon Blum et consorts, celui-là renoncera aussi facilement demain au drapeau rouge pour le drapeau tricolore3.

Pivert proclame le droit de tout socialiste d'espérer en une meilleure Internationale « avec ou sans changement de numéro ». Cette ironie un peu déplacée sur le « numéro » représente une erreur politique du même type que l'ironie sur l'« étiquette ». Politiquement, la question se pose ainsi : le prolétariat mondial peut-il arriver à lutter avec succès contre la guerre, le fascisme, le capitalisme, sous la direction des réformistes ou des staliniens - c'est-à-dire de la diplomatie soviétique ? Nous répondons : il ne le peut pas. La II° et la III° Internationales ont épuisé leur contenu et sont devenues des obstacles sur la voie révolutionnaire. Les « réformer » est impossible, car toute leur direction est radicalement hostile aux tâches et aux méthodes de la révolution prolétarienne. Celui qui n'a pas compris jusqu'au bout l'effondrement des deux Internationales, celui-là ne peut pas lever le drapeau de la Nouvelle Internationale. « Avec ou sans changement de numéro » ? Cette phrase est dénuée de sens. Ce n'est pas par hasard que les trois anciennes Internationales se sont trouvées numérotées. Chaque « numéro » correspond à une époque déterminée, un programme et des méthodes d'action. La Nouvelle Internationale doit être non pas la somme des deux cadavres, comme le rêve le vieux social-patriote Zyromski, surpris dans sa reconnaissance inattendue de la « défense de l'U. R. S. S. », mais la « négation » vivante de ces cadavres et, en même temps, la « continuation » du travail historique accompli par les Internationales précédentes. En d'autres termes, il s'agit de la IV° Internationale. Le « numéro » signifie ici une perspective et un programme déterminés, c'est-à-dire un « drapeau ». Que les philistins ironisent là-dessus. Il ne faut pas les imiter.

L'aversion pour les « étiquettes » et les « numéros » en politique est aussi dangereuse que l'aversion pour les définitions précises dans le domaine scientifique. Dans un cas comme dans l'autre, nous avons là le symptôme infaillible d'un manque de clarté dans les idées elles -mêmes. Invoquer les « masses » ne sert, dans de tels cas, qu'à couvrir ses propres hésitations. L'ouvrier qui croit encore à Vandervelde ou à Staline sera sans doute adversaire de la IV° Internationale. L'ouvrier qui a compris que la II° et la III° Internationales sont mortes à la cause de la révolution se rangera immédiatement sous notre drapeau. C'est précisément pourquoi il est criminel de cacher ce drapeau sous la table.

Pivert se trompe quand il pense que le bolchevisme est incompatible avec l'existence des fractions. Le principe de l'organisation bolchevique est le « centralisme démocratique » assuré par une complète liberté de critique et de groupement comme par une discipline de fer dans l'action. L'histoire du parti bolchevique est en même temps l'histoire de la lutte interne des idées, des groupements et des fractions. Certes, au printemps 1921, au moment d'une terrible crise, de la famine, du froid, d'un mécontentement aigu des masses, le 10° congrès du parti bolchevique, qui comptait en ce temps dix-sept années d'existence, interdit les fractions. Mais cette mesure fut jugée exceptionnelle, temporaire et fut appliquée par le comité central avec beaucoup de prudence et de souplesse Le véritable écrasement des fractions ne commença qu'avec la victoire de la bureaucratie sur l'avant-garde prolétarienne et aboutit rapidement à la mort virtuelle du parti. La IV° Internationale, bien entendu, ne souffrira pas dans ses rangs de « monolithisme » mécanique. Au contraire, une de ses plus importantes tâches est de régénérer à un niveau historique plus élevé la « démocratie révolutionnaire de l'avant-garde prolétarienne ». Les bolcheviksléninistes se considèrent comme une fraction de l'Internationale qui se bâtit4. Ils sont prêts à travailler la main dans la main avec les autres fractions vraiment révolutionnaires. Mais ils refusent catégoriquement d'adapter leur politique à la psychologie des cliques opportunistes et de renoncer à leur propre drapeau5.

7 août 1935

1 Dans une lettre aux exclus, publiée d'ailleurs dans le même numéro de la Vérité que l'article de Trotsky, Marceau Pivert s'était déclaré solidaire d'eux. Sur le fond, il déclarait : « Sous aucun prétexte ( ... ) le parti ne doit se prêter à propager l'idée de l'acceptation de la guerre. Si c'est là le véritable motif de votre exclusion, qu'on le dise franchement, ouvertement. Nous en tirerons, nous, adultes, qui avons conservé à nos discussions de tendances un caractère de courtoisie, de fraternité même que nous ne regrettons pas, nous en tirerons les conséquences inévitables. Nous comprendrons qu'il faudra lutter autrement qu'à fleuret moucheté contre des adversaires de tendance qui veulent nous chasser de la communauté socialiste avant peut-être d'entraîner le prolétariat dans une nouvelle guerre. » Il ajoutait cependant que les auteurs de l'exclusion, ce « geste de scission », avaient « utilisé les erreurs », saisi « l'arme tendue » par les révolutionnaires eux-mêmes. Sur leur étiquette de bolcheviks-léninistes, il notait : « Si vous êtes fidèles au bolchevisme initial, vous n'acceptez pas la structure démocratique du parti, l'égalité pour toutes les tendances et pour tous les militants. » Il décrivait le parti « braqué » contre la peur du « noyautage », demandait aux B.L. d'insister sur la loyauté de leurs intentions et suggérait : « Et si même, pour que vous puissiez obtenir satisfaction, l'étiquette bolchevik-léniniste ou trotskyste devait disparaître de la circulation, je suis certain que vous n’hésiteriez pas à la changer ( ... ). L'essentiel n'est pas de porter sur le nombril l'étiquette d'un nom prestigieux, mais de s'appliquer à suivre les enseignements qu'il comporte. » Il affirmait le droit de ces militants à se déclarer en faveur de la IV* Internationale, car « c'est le droit des militants et des jeunes d'apprécier l'état actuel des deux Internationales et d'espérer mieux, avec ou sans changement de numéro ». C'est sur l'emploi des termes « étiquette » et « numéro » que Trotsky devait bâtir sa démonstration. La publication de cet article dans la Vérité, organe d'une tendance de la S.F.I.O., devait fournir, à Paul Faure, secrétaire général de la S.F.I.O., un argument de plus en faveur de l'exclusion des collaborateurs du journal. (Note de P. Broué)

2 En 1938 encore, un an après la dissolution de la Gauche révolutionnaire, après l'intervention de la police, dirigée par le S.F.I.O. Marx Dormoy, à Clichy, où une militante de la Gauche Révolutionnaire avait été tuée, Pivert écrivait encore : « Pour nous, le parti révolutionnaire est tout construit. C'est le parti socialiste. Mais à condition qu'il demeure fidèle à ses principes de lutte de classes et de liberté. » (Note de P. Broué)

3 On pourrait objecter que Pivert, en 1938, refusera de suivre Blum dans la voie de l'Union sacrée. Il n'en est pas moins vrai qu'il sera exclu après avoir tenté de l'éviter jusqu'au dernier moment. Commentant cette exclusion sous le titre « Rupture », son lieutenant Lucien Hérard explique dans le numéro de Juin 36 du 17 juin 1938 : « Dans la limite de cette imprescriptible dignité, nous avons tout tait pour que le congrès de Royan ne nous contraignît pas au départ ( ... ). Sur la question de l'union nationale, notre texte, largement emprunté à la Bataille socialiste, ne contenait aucune condamnation, même implicite, de l'initiative de Blum et du vote du 12 mars. » Au lieu de se produire, à l'initiative de Pivert, quand les circonstances étaient favorables à l'aile gauche, la rupture se produisit au moment que l'appareil de la S.F.I.O. jugea le plus opportun. Après la fondation du P.S.O.P. au lendemain du congrès de Royan, le dialogue reprendra néanmoins, pour peu de temps, entre Pivert et Trotsky (Note de P. Broué).

4 Cette conception d'une Internationale formée de fractions diverses ne fut pas réalisée dans les organisations se réclamant de la IV°, ni du vivant de Trotsky, ni après sa mort. Le 10 janvier 1940, il écrivait à Farrell Dobbs : « Nos propres sections ont hérité quelque poison du Comintem en ce sens que beaucoup de camarades sont enclins à abuser de mesures comme les exclusions, les scissions ou les menaces d'exclusion ou de scission » (In Detence of Marxism, p. 97). (Note de P. Broué).

5 La lettre de Trotsky et la réponse de Pivert en date du 20 août devaient être publiées par la XV° section du parti socialiste, le fief de Pivert. Dans sa réponse, Pivert soulignait d'abord que si « Trotsky et ses amis considèrent que la II° Internationale est un « cadavre » dont il n'y a plus rien à tirer », « leur rentrée à la S.F.I.O. prend le caractère d'un débauchage, après tant d'autres, au sein de notre parti ». Mais il écarte cette hypothèse et discute les appréciations de Trotsky. C’est, selon lui, non « à la psychologie des cliques opportunistes » que les B.L. devraient s'adapter, mais à celle des « ouvriers socialistes ». Or ceux-ci ont une connaissance expérimentale du bolchevisme, différente évidemment du « bolchevisme des origines », et ils le rejettent : « réformisme et bolchevisme sont aujourd'hui dépassés dans la conscience ouvrière ». « Le prolétariat français veut maintenant l'unité, la réconciliation et une action révolutionnaire largement appuyée sur toutes les victimes de la crise. » Pivert défend le parti socialiste : « Rien ne prouve qu'il soit incapable de s'adapter à un niveau supérieur de la lutte des classes. » Et il conclut : « Rien n'est plus déprimant pour le travailleur honnête qui cherche sa voie que les accusations de « traître », de « contre-révolutionnaire », « agent de la bourgeoisie au sein du prolétariat » qui pleuvent sur la tête de Blum, Staline, Doriot, Trotsky, etc. Qui donc est épargné dans la distribution ? Ce sport ne nous intéresse pas, il porte de l'eau au moulin fasciste. Ce qui compte pour nous, et ce en quoi nous sommes d'accord avec Trotsky, c'est de « montrer en fait aux masses un esprit de conséquence révolutionnaire et le dévouement absolu à la cause des opprimés ». (Note de P. Broué).



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