Contribution à la discussion.
A propos du texte de Roger Sandri.
Un camarade du PT m'a fait parvenir un texte signé Roger Sandri, plus connu par les lecteurs d'Informations ouvrières sous le pseudonyme d'Angelo Geddo, ex-responsable confédéral à Force ouvrière, aujourd'hui à la retraite, mais aussi l'un des principaux dirigeants du Parti des travailleurs.
Ce
texte de 14 pages envoyé par Internet aux militants du PT est
également paru dans Informations ouvrières, l'hebdomadaire du PT, dans
la rubrique intitulé « tribunes-débats-opinions ».
Il porte le titre de « Réforme de l'ONU, gouvernance mondiale et
société civile ».
Si l'on en croit le titre de cette rubrique, on est tenté de penser qu'il est permis d'analyser le contenu de ce texte et d'en discuter sereinement.
Je
n'ai pas eu l'intention d'écrire un texte contradictoire, cependant quelques
pages suffiront à démontrer que l'intégralité du texte de Roger Sandri n'avait
qu'une fonction : justifier la ligne politique et la stratégie adoptée au début des années 80 par le PT,
« pour le retour à la démocratie politique », après avoir
abandonné le combat pour la révolution prolétarienne et le socialisme.
En résumé ce texte explique que les organisations ouvrières sont aujourd'hui menacées de liquidation, par de nouvelles tentatives de les intégrer au sein d'institutions internationales mises en place et contrôlées par l'impérialisme, pour les besoins de l'impérialisme mondial et de l'impérialisme américain en priorité.
On
ne peut que partager ce constat ou cette analyse.
La
partie la plus importante de ce texte, me semble-t-il, est consacré aux
syndicats ouvriers, baptisés pour l'occasion : organisations « par
excellence » de la classe ouvrière (page 2), ce qui n'est pas
dû au hasard, car cela n'a rien à voir avec l'histoire, la place ou le rôle
déterminé et déterminant des syndicats. La suite va permettre de le comprendre
facilement.
Il
est donc question de la défense de l'existence et de l'indépendance des
syndicats ouvriers.
Nous
sommes tous d'accord sur la nécessité de combattre pour préserver et développer
les syndicats ouvriers indépendants.
Roger
Sandri nous explique qu'un certain nombre d'acteurs, d'organisations et de
partis politiques collaborent
activement à cette opération de liquidation des syndicats ouvriers.
Il
cite les ONG, ATTAC, le gaullisme dit social, le PCF, la LCR, le courant
écologiste, José Bovet dont les politiques coïncideraient avec cette orientation,
dans le cadre de la mise en place d'une « démocratie politique »
ou « nouvelle gouvernance » intégrant la « société
civile » à l'échelle de l'humanité tout entière. Jusque là, on ne peut
qu'être d'accord avec lui.
Arrêtons-nous
là un instant.
N'avez-vous
rien remarqué d'étrange dans le paragraphe précédent ?
Ne
manquerait-il rien ?
Ne manquerait-il pas le PS et les appareils de la CGT et de FO ?
Lisez
bien, relisez deux ou dix fois la totalité du texte de Sandri, vous n'y
trouverez aucune trace du PS et des appareils réformistes
contre-révolutionnaires et staliniens. Étrange, non ? Pas tant que cela et
j'expliquerai pourquoi plus loin.
Page
5, en bas de page, Sandri évoque les adeptes en France de la « démocratie
participative ». On en trouve dans « les milieux de droite » et « les milieux de gauche »,
gauche sans guillemets dans le texte. C'est vrai que la ligne de démarcation
entre les deux « milieux » à tendance à s'estomper depuis un
certain temps, donc inutile de s'attarder là-dessus. Poursuivons.
Dans
« les milieux de gauche », il est fait référence aux « rocardiens »
et aux « catholiques de gauche comme le courant mendésiste »,
mais il s'agirait d'un temps définitivement révolue, appartenant au passé,
puisque R. Sandri a employé un temps du
passé, l'imparfait, « défendaient », comme si cette
orientation n'était pas ou plus celle du PS.
Avez-vous
remarquez que le PS n'est pas cité
nommément une seule fois ? Pourquoi ? Pour le protéger ? Parce que le PT
entretient des liens particuliers et étroits avec la direction ou des élus du
PS ? Il faudrait en quelques sortes soustraire ce parti à la critique,
afin de ménager les « bons » élus du PS qui seraient tentés
par un rapprochement avec le PT. Parce que le PT entretient encore des
illusions dans ce parti bourgeois ?
Voudrait-on
nous faire croire qu'il existe au sein du PS des « adversaires »
sincères et actifs à la « démocratie participative », comme il en
existe dans tous les « milieux »? Si c'était le cas, on se
demande ce qu'ils font encore dans ce parti bourgeois !
Le PT tente par là de justifier sa stratégie en direction des élus du PS, notamment.
Résumons
: il a existé au PS des partisans de la « démocratie participative »,
mais il n'en existe plus, CQFC. Il est décidément très bien ce Parti socialiste
!
Par
contre, aujourd’hui et non hier, notez bien la différence, « on peut
s'étonner d'entendre les dirigeants du PCF, comme ceux de la LCR, défendre les
vertus de la « démocratie participative » , écrit R.
Sandri. (page 5)
Vous
avez remarqué la différence de traitement entre le PS d’un côté, et le PCF et
la LCR, de l’autre côté. Là, il n'est plus question d'évoquer la soumission
d'un courant ou d'une tendance d'un parti au concept de « démocratie
participative », mais ses dirigeants sans distinction, donc
l'intégralité de sa direction. Il est bien connu que le PS est un parti
éminemment démocratique, le seul sans doute.
R.
Sandri tient à tout prix à épargner la direction du PS, c'est son problème.
Il
fallait quand même évoquer cette différence de traitement, parce qu'elle
coïncide avec la ligne politique du PT, sinon on ne peut rien comprendre.
Arrivé
à la dernière ligne de ce texte, pas trace des appareils traîtres au mouvement
ouvrier. Pas un seul mot. Il fallait oser le faire, Sandri l'a fait !
L'appareil
stalinien de la CGT, et l'appareil de FO dominé et contrôlé par le PS et le
courant communiste internationaliste du PT ne joueraient-il aucun rôle dans ce
processus de liquidation de l'indépendance des syndicats ?
Faudrait-il
taire le rôle réactionnaire des appareils sous prétexte que les syndicats sont
menacés dans leur existence même ? N'est-ce pas le meilleur moyen d'aboutir
effectivement à leur liquidation ?
Comment
faudrait-il caractériser cette position ?
Au
nom de la théorie du front unique ouvrier mal assimilée sans doute, ne
s'agit-il pas d'une capitulation devant les appareils ?
Chacun
s'accordera à reconnaître que cette offensive contre les syndicats ne serait
pas possible sans le rôle d'avant-garde de la bourgeoise au sein de ces deux
syndicats que jouent les appareils.
Pourquoi
ne pas le dire? Est-ce devenu un tabou au PT ?
Pourquoi
ne pas les dénoncer publiquement ici, c'était le moment ou jamais, non ?
On
pourrait penser qu'il existe un consensus entre la direction du PT, celle du PS
à travers celle de Force ouvrière, ainsi que celle de la CGT. Comment
comprendre autrement ?
On
ne peut pas imaginer un seul instant que Roger Sandri ait oublié ou omis involontairement
de parler dans ce texte du rôle du PS et des appareils des syndicats. Cet oubli
est révélateur. Plus qu'un signe, il
confirme ce que nous savions déjà.
Dans
ces cas-là, on ne peut qu'émettre les plus grandes réserves sur les
déclarations et les intentions du PT, car il ne manque pas de faits, de preuves
indiscutables qui prouvent suffisamment que le PS, le PCF et les appareils
syndicaux sont déjà engagés dans ce processus de soumission totale des
syndicats ouvriers aux intérêts de l'impérialisme, de liquidation de ces
organisations en tant qu'organisations ouvrières indépendantes.
Quelques
exemples suffiront à l'illustrer.
La
direction du PS a appelé à voter oui au traité européen constitutionnel, alors
que ce traité constituait une nouvelle étape vers cette intégration des
syndicats aux institutions mises en place par l'impérialisme.
Les
confédérations CGT et FO n'ont pas appelé à voter non, malgré les dangers
évident que renfermait ce traité pour l'existence et l'indépendance des
syndicats ouvriers...
Au
niveau national, la CGT comme FO participent activement à tous les organes de
collaboration de classe mis en place par le gouvernement (haut-conseil, table
ronde, etc.).
Au
niveau européen, la CGT comme FO font toujours partie de le Confédération
européenne des syndicats (CES), alors que celle-ci n'est qu’une création, un
appendice ou un prolongement des institutions réactionnaires de l'Union
européenne.
Au
niveau international, on peut se poser des questions sur la nécessité ou non de
participer à l'Organisation internationale du travail (OIT), dans la mesure où cet
organisme onusien, par sa composition majoritairement constituée de
représentants de la bourgeoisie (Vingt-huit représentant les gouvernements,
quatorze représentant les employeurs, et quatorze représentant les
travailleurs) constitue bel et bien un organisme de collaboration de classe à
l'échelle mondiale, taillé sur mesure
par et pour les besoins de l'impérialisme, et par ailleurs, le fait qu'il n'a
aucun pouvoir réel de coercition sur les Etats, la mise en oeuvres de ses
conventions étant laissée à la discrétion de chaque Etat en fonction de leur
situation particulière ; on pourrait peut-être préciser, que la collaboration de classe des appareils
syndicaux dans des institutions internationales à caractère corporatiste ne
date pas d'hier.
Est-ce
suffisant pour prouver que le PS, le PCF, les appareils de la CGT et de FO sont
directement impliqués et responsables de l'offensive de l'impérialisme contre
l'existence et l'indépendance des syndicats ouvriers ? Oui, au regard des
éléments que l’on vient de voir.
Ne
sont-ils pas aux premières loges dans cette affaire, si je puis dire ?
Je
repose ma question : pourquoi R. Sandri n'en dit-il pas un mot dans son texte ?
On
a peut-être une partie de la réponse à cette question page 11, où il évoque un
texte précédent qu'il avait intitulé " L'OIT à la croisée des chemins
".
Souvenez-vous,
en 1983-84, il était écrit dans Informations
ouvrières que le gouvernement bourgeois de front populaire était à la
"croisée des chemins", comme s'il avait pu encore y avoir des
doutes sur ses intentions. On connaît tous la suite.
Le
PCI comme parti révolutionnaire s'appuyant sur le programme de la révolution
prolétarienne, le Programme de transition, cédait la place au MPPT, puis
au PT, amalgame hétérogène de militants et d'adhérents, sans programme.
Simple
coïncidence ?
En
réalité, c'est la continuité de la même politique d'adaptation au capital
depuis 1983-84, qui se caractérise par la ligne du « retour à la démocratie
politique » qu'on voudrait nous faire avaler de gré ou de force, cette
fois en occultant le rôle majeur et la responsabilité de la direction du PS et
des appareils de la CGT et de FO dans ce processus de liquidation des syndicats
ouvriers.
Mais
voilà, ça coince quelque part !
N'est-ce
pas aussi pour cette raison que ce texte paraît aujourd'hui ? Je n’en sais
rien, peu importe.
Parce
que de plus en plus de militants du PT contestent la ligne politique définie
par leur direction ou parce qu'ils ne la comprennent pas ?
Parce
qu'il faut tenter de reprendre les choses en main, peu importe les moyens,
après une nouvelle vague d'exclusion-épuration au sein du PT ? C'est vrai que
tous les camarades du PT l'ignorent encore, ils devraient se renseigner.
Côté
cour, les militants du PT combattent sincèrement et honnêtement au sein des
syndicats ouvriers pour la défense des intérêts particuliers des travailleurs.
Côté
jardin, la direction du PT, dans ce texte notamment, en pratiquant la politique
du non-dit ou de l’omission volontaire, apporte son soutien ou fait acte de
soumission devant la direction du PS et des appareils de la CGT et de FO.
Il s'agit
là d'un constat et non d'une impression gratuite ou d’un parti pris.
Il
ne faut pas oublier que pour comprendre la tactique et la stratégie du PT, il
faut toujours avoir à l'esprit qu'elle
procède à deux niveaux. On en a encore malheureusement un exemple et une preuve
éclatant sous les yeux avec ce texte.
L'essentiel ne serait-il pas que la CGT et FO rompent avec l’OIT ?
L'essentiel ne serait-il pas que la CGT et FO rompent avec la CES ?
L'essentiel ne serait-il pas que la CGT et FO cessent de participer à
tous les organismes de collaboration de classe mis en place par le gouvernement
Chirac-de Villepin ?
L'essentiel ne serait-il pas de les dénoncer auprès des travailleurs
lorsque la situation le requière, comme c'est le cas précisément avec ce texte
de R. Sandri ?
L'essentiel n'est-il pas de chasser des organisations ouvrières ces bureaucrates réactionnaires et staliniens, car ils les mettent gravement en danger ?
A
quoi bon appeler les travailleurs à se « ressaisir de leurs
organisations » par ailleurs ? Double langage. On comprend
mieux pourquoi la direction du PT était incapable d’aller au-delà de ses incantations
honteuses en direction des appareils, lors des grandes grèves et
manifestations de 2003 ; souvenez-vous : « dirigeants
appelez, dirigeants appelez ».
N'est-ce
pas là les vraies questions qui se posent à tout militant ouvrier, à tout le
mouvement ouvrier?
N'est-ce pas le meilleur moyen de lutter pour la défense des syndicats
ouvriers ?
L’objectif
de ce texte n’était pas de répondre point par point au contenu de celui de R.
Sandri, je reviendrai plus tard sur sa conception de « la démocratie
politique » (page 12), car j’estime que c’est nécessaire
d’expliquer ce que recouvre cette définition, pierre angulaire sur laquelle
repose désormais l’intégralité de la politique du PT.
En conclusion, j’ai essayé d’aller à l’essentiel, afin qu’on puisse tranquillement et librement débattre des arguments et des positions des uns et des autres, si cela est encore possible.
Je me suis appliqué à démontrer que la direction du PT pratiquait en fait un double langage, ce qui n’était pas une découverte pour nous, mais de nombreux militants et travailleurs l’ignorent encore.
Côté cour, elle dénonce à juste titre l’offensive en cours contre l’existence et l’indépendance des syndicats ouvriers, en revendiquant au passage son « internationalisme », et côté jardin, elle soustrait la direction du PS et les appareils de la CGT et de FO à toute critique, ce tour de passe-passe les blanchissant ainsi de toute responsabilité dans le processus de liquidation des syndicats ouvriers indépendants, au nom du concept plus que douteux de « démocratie politique » (lisez attentivement la définition qui figure en bas de la page 12).
Raison de plus pour renouveler notre totale désaccord avec cette ligne politique, car elle conduit à la soumission totale aux appareils du PS, de la CGT et de FO, laissant désarmer politiquement les militants et les travailleurs face à ces appareils réactionnaires.
C’est très facile de répéter à longueur de temps et de colonnes, qu’on ne prend en compte que les faits et seulement les faits, cela ne coûte et ne prouve absolument rien en vérité, encore faudrait-il prendre en considération tous les faits et pas seulement ceux qui nous intéressent, pour tenter de justifier une ligne politique.
Question : le Parti des travailleurs est-il à la croisée des chemins ?
Tardieu Jean-Claude
Le 18 août 2005