“La crise du syndicalisme”

 

Une série d'articles publiés sous la direction de Stéphane Just dans "Combattre pour le Socialisme"

(du n° 44 - 3 octobre 1992 au n°48 - 20 juin 1993)

 


Table des matières

 

Introduction. 5

I. -          La crise des syndicats ouvriers : une réalité qui fait couler beaucoup d’encre  6

“Tournant dans l’histoire du syndicalisme”. 6

Quand il y avait du “grain à moudre”. 6

Défense de l’Etat et de l’ordre bourgeois. 7

Crise des syndicats en France. 7

“Explication” économique. 8

“Explication” sociologique. 8

Classe ouvrière et salariés. 8

Les véritables raisons. 9

L’objectif poursuivi 10

II. -        les réponses de la direction de la C.G.T. 12

44e congrès de la C.G.T. 12

du régime capitaliste en crise. 12

Retour à Marx. 13

La loi de la baisse tendancielle du taux de profit 13

Travail simple, travail complexe, qualifications. 14

Vers la liquidation des qualifications garanties par des diplômes nationaux. 15

Cogestion avec le patronat 15

Participation et liquidation du syndicalisme. 16

“Efficacité économique” égale : liquidation des acquis de la population laborieuse. 16

A propos des “services publics”. 17

Exemple de la Poste et de France-Télécom.. 17

“La démocratie” selon Viannet et selon Lénine. 18

Ce dont souffre la CGT. 19

“Autogestion” et destruction des syndicats. 19

III. -       aux origines de la C.G.T.-F.O. 20

Un néo-syndicaliste de vieille souche. 20

Un programme participationniste. 20

La voie de “l’émancipation de la classe ouvrière”, selon jouhaux. 21

scissions et réunifications. 21

la classe ouvrière trouble le jeu. 22

valets du kremlin… valets de l’impérialisme. 22

une centrale syndicale ouvrière liee à la société et à l’état bourgeois. 22

IV. -       F.O. des “trente glorieuses” à la crise économique. 24

“grain à moudre” et trahison. 24

L’épisode du référendum du 27 avril 1969. 24

La politique dite de présence. 25

FO et les contrats de progrès de Chaban Delmas-Pompidou. 25

Après les “trente glorieuses”. 26

Tension entre les gouvernements de l’etape Mitterrand et FO.. 27

“Les revendications du patronat 27

Sursaut contre cette politique. 28

V. -        F.O. confrontée aux exigences du capitalisme en crise. 29

La fausse “gauche”. 29

Poursuite de la “politique contractuelle” : le travail précaire. 29

L’accord sur “la formation professionnelle”. 30

La loi Quilès. 30

La “perle” du “paritarisme” : l’UNEDIC.. 31

La Sécurité Sociale. 32

Indissolublement liée au capitalisme…... 32

…A l’impérialisme. 33

Conclusion. 33

VI. -       fo embraye en marche arrière. 34

Dirigeants CGT et CGT-FO signent 35

Au service de l’IMPERIALISME. 36

“l’émancipation de l’individu”. 36

“l’intérêt général”. 37

FO : pour le retour aux IIIème et IVème Républiques. 37

VII. -     un couteau sans lame - La “charte d’Amiens”. 39

Aperçus sur les mouvements ouvriers anglais et allemands. 39

Particularités du mouvement ouvrier français. 40

“l’anarcho-syndicalisme”. 40

Intolérance de la “Charte d’Amiens”. 43

Que chacun cultive son jardin. 43

Une orientation réformiste. 43

VIII. -    Les dirigeants syndicaux et “la politique”. 45

les appareils syndicaux : agents de la politique des gouvernements 1981-1993. 45

Au nom de “l’indépendance des syndicats”. 45

Les dirigeants syndicaux : nous sommes tous des “citoyens”. 46

IX. -       la participation. 48

Un nouveau stade de la “participation”. 48

La “participation” mise en pratique. 48

X. -        Les partisans d’un capitalisme honnête et social 50

La “relance” par la “consommation”. 50

Dans le cadre du régime capitaliste. 50

XI. -       L’alternative. 52

Pour “un plan transitoire du capitalisme au socialisme”. 52

La question du pouvoir 52

Congrès de l’UD-FO de Paris, de la Fédération FO de la métallurgie. 53

Conclusion : la position du comité. 54

Le IIIème Congrès de l’IC et les syndicats. 54

La position du comité. 55

 


Notes sur la publication.

 

L’Introduction et la première partie, La crise des syndicats ouvriers : une réalité qui fait couler beaucoup d’encre , ont été publiés dans CPS n° 44 du 3 octobre 1992.

La deuxième partie, Les réponses de la direction CGT, a été publiée dans CPS n°45 du 3 décembre 1992.

La troisième partie, Aux origines de la CGT-FO, la quatrième partie, FO des « trentes glorieuses » à la crise économique, et la cinquième partie, F.O. confrontée aux exigences du capitalisme en crise, ont été publiées dans CPS n° 46 du 4 février 1993.

Les parties suivantes, FO embraye en marche arrière ( 6ème), Un couteau sans lame – la Charte d’Amiens ( 7ème), Les dirigeants syndicaux et la politique( 8ème), La participation ( 9ème), Les partisans d’un capitalisme honnête et social (10ème), L’alternative ( 11ème) et la conclusion, La position du Comité, ont été publié dans CPS n° 48 du 20 juin 1993 des pages 18 à 36 et sont datées du 28 mai 1993.

.m2.Introduction


Articles, études sur le “Syndicalisme d’aujourd’hui”, ses problèmes, son avenir, se multiplient. Les directions et appareils syndicaux participent à cette discussion. Plus encore, ils engagent des processus de “renouveau du syndicalisme”. Quelle est donc l’origine de cette fièvre ? Tout simplement la crise du régime capitaliste.

En tout état de cause, y compris dans ses périodes fastes, jamais le capital n’a fait de concessions à la classe ouvrière et à la population laborieuse que contraint et forcé par l’action du prolétariat. Toute réforme positive pour la classe ouvrière a toujours été le résultat de son combat. Dans ses périodes de crise, le capital n’a jamais rien cédé que par crainte de tout perdre — c’est-à-dire par crainte que le prolétariat prenne le pouvoir et l’exproprie. Cependant, les concessions qu’il fait alors ne peuvent être que momentanées. D’une façon ou d’une autre il lui faut les annuler rapidement car elles aggravent sa crise et deviennent incompatibles avec le fonctionnement du régime capitaliste.

En régime capitaliste, le profit particulier est le seul moteur de la production. Seul les travailleurs qui produisent de la valeur d’usage produisent en même temps de la valeur d’échange. Le profit provient de la partie de la valeur d’échange (inséparable de la valeur d’usage) qui ne leur est pas payée (plus-value) et que s’approprient les capitalistes. Encore leur faut-il réaliser la valeur des marchandises sur le marché pour que la plus-value soit du même coup réalisée et que les capitalistes obtiennent le profit.

Quand en raison des fluctuations du marché la valeur, donc la plus-value, se réalise mal, ou partiellement, voire pas du tout, le taux de profit diminue, tend vers zéro ou même les capitalistes subissent des pertes sèches. Pour défendre le taux de profit ils n’ont qu’un seul moyen : réduire les salaires, le pouvoir d’achat des prolétaires ; accentuer l’exploitation, dégrader les conditions de travail et de vie des travailleurs, liquider leurs conquêtes sociales, leurs acquis ; soumettre étroitement la jeunesse aux besoins et aux exigences du capital. Plus est profonde la crise économique, plus tend à diminuer le taux de profit, plus sa défense exige impérativement la mise en œuvre de cette politique. Lorsque le taux de profit est trop bas, voire nul pour les capitalistes, une seule possibilité : fermer les entreprises, jeter sur le pavé les travailleurs.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les prolétariats des pays capitalistes principaux ont arraché au capital et à ses Etats d’importants acquis et réformes sociales, l’amélioration de leur pouvoir d’achat, de leurs conditions de travail et de vie, ce qui s’est répercuté à l’avantage d’autres couches laborieuses et de la jeunesse. Le capital a pu le supporter car les trente glorieuses ont été pour lui trente années fastes où le taux de profit était élevé, où il y avait une importante accumulation de capital Bergeron disait alors : «il y a du grain à moudre». A la vérité, les appareils syndicaux se sont parés des plumes du paon. Ils se sont attribués le mérite des concessions que le capital et son Etat ont dû faire en raison de l’action du prolétariat. Quant à eux, se présentant comme étant à l’origine des concessions consenties par le capital et son Etat, ils se sont efforcés de les déformer, de les utiliser pour maintenir le plus possible “la paix sociale”, défendre et conforter le régime capitaliste.

Le temps des concessions et des réformes avantageuses pour la classe ouvrière, la population laborieuse, la jeunesse est révolue. La crise du capitalisme est générale. Dans tous les pays le capital, ses Etats, ses gouvernements doivent engager une offensive économique et sociale, sans précédent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, contre elles pour leur reprendre, et au-delà, ce qu’elles avaient arraché. Le capitalisme français est un capitalisme décadent dans un régime capitaliste en crise. Il doit affronter sur le marché mondial, sur le marché européen et sur le marché français des capitalismes malades mais autrement plus puissants que lui — notamment américain, japonais, allemand. Il n’a pas le choix : pour faire face il lui faut engager le fer contre la classe ouvrière française, la population laborieuse, la jeunesse, tenter de les réduire à une masse exploitable à merci.

C’est cette situation qui motive les “discussions” sur “la crise”, le “renouveau”, “l’avenir” du syndicalisme. Le patronat, ses gouvernements, son Etat ont ouvert le feu, le patronat a formulé ses “revendications”. On les retrouve dans de nombreux ouvrages, dans la presse bourgeoise. Ainsi par exemple l’éditorial des “Echos” du 20 novembre 1991 précisait vers quoi tend le capitalisme français :

«La révolution dans l’art de produire les choses est telle, dans ce que le MIT appelle la “production frugale”, quelle (la production) n’a en fait d’autre avenir que de “toyotiser” ses méthodes ou que de s’étioler à petits feux. “Toyotiser” le processus industriel en repensant le flux des produits, l’utilisation des machines, les délais de développement, nos ingénieurs savent faire.

L’important est ailleurs. Dans la façon d’anticiper la tyrannie du marché. Et surtout dans le fait de ne plus considérer le salarié de base comme l’exécutant passif d’un travail répétitif mais de faire qu’il soit écouté, concerné, responsabilisé dans son travail en équipe, valorisé dans sa compétence, mis en situation de prendre des initiatives et d’apporter une part active au projet collectif.»

Derrière la paille des mots apparaît le grain des choses : il s’agit de subordonner étroitement le prolétaire à l’entreprise capitaliste, aux exigences de la défense du profit dans le cadre d’une concurrence internationale exacerbée. Pour obtenir cette part plus “active” des salariés à la production, il faut briser l’ancien cadre des relations entre le patronat et la classe ouvrière. C’est l’origine de tous les développements pour tenter d’accréditer qu’il est nécessaire que se constitue un “nouveau syndicalisme”. Ces idées ont été projetées et sont développées au sein même des organisations syndicales ouvrières. Elles ont été au centre des congrès de la FEN (4-8 février 1991 à Clermont-Ferrand), de la CGT (26-31 janvier 1992) et aussi de Force Ouvrière (27-30 avril 1992 à Lyon), même si elles ont été abordées de façons différentes. Bien sûr ces questions ne sont pas posées seulement en France. Elles le sont dans tous les pays et confrontent le mouvement ouvrier de chacun d’eux, notamment ceux d’Europe, même si c’est de façon particulière en fonction des caractéristiques spécifiques, résultant de l’histoire sociale et politique de chaque pays.

“Combattre pour le Socialisme” publie dans ce numéro le premier article d’une série portant sur ce sujet.

I. -                          .m2.La crise des syndicats ouvriers : une réalité qui fait couler beaucoup d’encre

.m3.“Tournant dans l’histoire du syndicalisme”


Y. Goetschy et D. Linhart ont réalisé pour la “Documentation Française” un dossier comprenant des extraits de nombreux ouvrages sur la situation syndicale des pays de l’Europe de l’Ouest, les facteurs explicatifs, les solutions proposées. L’avant-propos laisse transparaître l’objectif de ce travail :

«Cela fait déjà plus de quinze ans que les mouvements syndicaux en Europe sont entrés dans une phase de mutation cruciale de leur histoire. La lenteur de cette mutation démontre à l’évidence la difficulté qu’ils ont à s’ajuster, à se transformer, à relever les défis de la nouvelle donne mondiale, à trouver leur juste place dans les sociétés européennes de cette fin de siècle (…)

A la veille du grand marché de 1993 (…) la connaissance des forces et des faiblesses des organisations syndicales nationales ainsi que des stratégies qu’elles déploient durant ces années de crise, devrait permettre en effet de prévoir leur capacité de défense respective face aux implications sociales du grand marché et, notamment, face aux risques de délocalisation de l’emploi et de dumping social.»

Ainsi, l’évaluation des forces et des faiblesses du mouvement ouvrier est indispensable à ceux qui craignent les réactions ouvrières aux conséquences sociales du “grand marché de 1993”.

L’un des ouvrages cités est celui d’un auteur allemand Wiser Jelle intitulé “Westeuropäische Gewerkschaften im Umbruch” (“Les syndicats Ouest européens en mutation”), 1989.

«L’un des traits dominant du syndicalisme de l’après-guerre était sa stabilité. La montée continue des effectifs, la consolidation des positions des syndicats et l’extension du système de négociation collective en ont été la cause principale (…)

Les années quatre-vingt ont marqué un tournant dans l’histoire du syndicalisme en France comme aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Irlande et en Italie. En France, la chute des effectifs est intervenue dès 1975 : au cours de cette seule année, les syndicats français ont perdu un million d’adhérents, soit le quart de leurs effectifs. En 1985, le taux de syndicalisation n’était plus que de 14 %, et selon des études récentes, il serait même aujourd’hui inférieur à 10 %. Aux Pays-Bas, le nombre de syndiqués est à son niveau le plus bas depuis la guerre. Près de 260 000 adhérents ont été perdus entre 1979 et 1986, soit le septième des effectifs en 1979. En recul de quelque 10 points, le taux de syndicalisation n’est plus dans ce pays que de 25 %. En Grande-Bretagne, les syndicats ont perdu depuis 1979 plus de trois millions de membres, sur un total de 12 millions d’adhérents. Le taux de syndicalisation est ainsi passé de 53 à 43 %. En Irlande, ce taux serait passé de 55 % en 1980 à 49 % en 1984. En Italie, les trois principaux syndicats n’ont perdu que 150 000 membres entre 1980 et 1985, c’est-à-dire 2 % environ de leurs effectifs. Mais, si l’on ne prend en compte que les membres syndiqués encore en activité, la baisse est de un million (soit 15 %). Le taux de syndicalisation serait alors passé pour la même période de 44 à 36 %.

La situation des syndicats en République fédérale d’Allemagne, en Autriche et en Scandinavie est sans conteste meilleure. Si l’on a constaté, il est vrai, une érosion du nombre de syndiqués en République fédérale au début des années quatre-vingt, les syndicats ouest-allemands semblent à présent avoir bien surmonté les effets de la crise économique, puisque leurs effectifs s’accroissent à nouveau depuis 1984. Ils représentent grosso modo 34 % de la population active. En Autriche, le nombre de syndiqués est resté stable et représente 51 % de la population active. En Suisse, les syndicats ont perdu du terrain, mais ce recul est encore à peine perceptible : le taux de syndicalisation se situe, en effet, toujours aux alentours de 30 %. L’originalité vient des syndicats scandinaves : ceux-ci s’étaient déjà singularisés pendant les années trente en accroissant leurs effectifs alors que sévissaient la crise économique et un chômage massif. En Suède, au Danemark et en Norvège, les syndicats ont renforcé, eux aussi, leurs positions au cours de ces dernières années (…) (Ainsi), même si les syndicats sont confrontés dans les pays industrialisés aux mêmes types de problèmes, il importe néanmoins de ne pas négliger l’importance des stratégies nationales élaborées par chacun d’entre eux.»


.m3.Quand il y avait du “grain à moudre”


En dépit des différences, et elles sont importantes, il faut constater que, de manière générale, durant les “trente glorieuses”, les travailleurs ont renforcé les syndicats (l’auteur souligne néanmoins et à juste titre les cas de la France et de l’Italie où les syndicats ont subi des pertes continues et durables d’adhérents après la rupture de l’unité syndicale en 1948). Peut-on conclure que si le syndicalisme “se portait bien”, c’est que l’orientation des dirigeants syndicaux correspondait, durant ces années de croissance économique, aux intérêts de l’ensemble du prolétariat ? Cela signifierait que l’adaptation réformiste aux possibilités du régime capitaliste est l’orientation normale, correcte du syndicalisme. Les 30 années de “prospérité” du capitalisme étant révolues, sa crise se développant, les syndicats devraient s’y adapter.

L’essor économique du capitalisme dit “les trente glorieuses” appartient à une période particulière de l’époque des guerres et des révolutions qui s’est ouverte en 1917 (époque de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne). C’est une sorte de parenthèse historique. Elle a pu exister parce que la vague révolutionnaire issue de la deuxième guerre mondiale a été, en Europe, contenue et refoulée par la bureaucratie du Kremlin, son appareil international (les PC), les partis social-démocrates et socialistes, les appareils bureaucratiques des centrales, des fédérations syndicales qui ont soutenu les Etats bourgeois plus ou moins disloqués et qui ont contribué à les reconstruire. Exemple : en France de 1944 à 1947, le PS et le PCF ont participé d’abord au gouvernement De Gaulle, ensuite aux gouvernements tripartites MRP-SFIO-PCF ; jusqu’en avril 1947, la direction de la CGT (alors unifiée CGT, FO, FEN) proclamait qu’il fallait “produire, produire” et que “la grève est l’arme de classe des trusts”.

D’un autre côté, l’impérialisme américain était au sommet de sa puissance économique et financière. Il dominait sans partage les autres puissances impérialistes, qu’elles aient fait partie du groupe des vainqueurs ou de celui des vaincus. Il se préparait à imposer à l’URSS la guerre froide et la course aux armements. Il lui fallait aussi conforter les puissances capitalistes d’Europe menacées par le prolétariat. C’est dans ces conditions que, couvert politiquement par les partis ouvriers et les appareils syndicaux traîtres à la classe ouvrière, il a impulsé et organisé la reconstruction de l’économie capitaliste, rétabli une division internationale du travail et le marché mondial. Ce fut le point de départ d’une nouvelle et importante accumulation du capital qui a permis aux bourgeoisies européennes de faire des concessions économiques et sociales au prolétariat et aux masses. Encore faut-il souligner que le développement d’un immense parasitisme, le volant d’entraînement d’une économie permanente d’armement furent des conditions des “trente glorieuses”.


.m3.Défense de l’Etat et de l’ordre bourgeois


A tous les moments cruciaux de la lutte de classe du prolétariat, les appareils bureaucratiques des centrales, des fédérations syndicales, des syndicats ont défendu l’Etat et l’ordre bourgeois. (En France par exemple : en août 1953 les appareils de FO et de la CGT ont disloqué la grève générale réalisée spontanément par les travailleurs des services publics et les fonctionnaires ; en 1963 les appareils syndicaux ont empêché que la grève des mineurs soit le point de départ de la grève générale, qui aurait mis en cause De Gaulle, et l’ont finalement liquidée ; en 1968, ils ont contenu la grève générale que la classe ouvrière avait réalisée spontanément, grève générale qui posait obligatoirement la question du gouvernement, du pouvoir et l’ont liquidée en négociant et en signant les accords de Grenelle).

Le contrat collectif est une conquête comparé à “l’accord” de gré à gré conclu entre les travailleurs pris individuellement et les patrons. Mais il faut préciser, ainsi que le faisait la résolution du 3e congrès de l’IC “L’internationale Communiste et l’Internationale Syndicale Rouge” :

«La foi absolue dans les contrats collectifs, propagée par les opportunistes de tous les pays doit rencontrer la résistance âpre et décidée du mouvement syndical révolutionnaire. Le contrat collectif n’est qu’un armistice. Les patrons brisent les contrats collectifs toutes les fois qu’ils en ont la moindre possibilité. Un respect religieux, à l’égard des contrats collectifs, témoigne de la profonde pénétration de l’idéologie bourgeoise dans les têtes des chefs de la classe ouvrière. Les syndicalistes révolutionnaires ne doivent pas renoncer aux contrats collectifs, mais ils doivent se rendre compte de leur valeur relative, ils doivent toujours envisager nettement la méthode à suivre pour rompre ces contrats toutes les fois que c’est avantageux à la classe ouvrière.» (Les IVe premiers congrès de l’IC, pages 134 et 135).

D’autant plus qu’au nom des “contrats collectifs”, de “la négociation collective”, de “la pratique contractuelle”, surtout depuis la constitution de la Ve République en France, les dirigeants et les appareils des organisations syndicales ont très souvent pris en charge la politique salariale des gouvernements et des patrons, soumettant les augmentations salariales à la croissance du PNB et de la productivité dans les entreprises (contrats salariaux, contrats de progrès, etc). Ils ont conclu maints accords qui correspondaient à ce qui convenait à l’Etat et au patronat. La “co-gestion” en Allemagne est la systématisation et la légalisation de cette politique.

La Sécurité Sociale, l’Assurance chômage ont été des conquêtes et des acquis pour la classe ouvrière même si ces acquis s’inscrivaient dans ce qui était économiquement possible pour la bourgeoisie. Mais le contenu ambigu des lois ou des accords les instituant a renforcé la liaison entre les appareils syndicaux, l’Etat, le patronat (gestion tripartite ou paritaire). C’est le cas d’œuvres de toutes sortes.

Aujourd’hui, non seulement la bourgeoisie ne peut plus accorder même des miettes, mais il lui faut tout reprendre et les appareils syndicaux se plient aux injonctions et aux exigences du capital en crise. C’est là la raison de l’impasse et de la crise du “syndicalisme de papa”, du syndicalisme prétendument réformiste. Les rapports des appareils syndicaux, des gouvernements, du patronat, tels qu’ils se sont développés à la fin de la guerre et dans les trente années qui ont suivi, doivent être radicalement modifiés : la collaboration de classe ne suffit plus au capital, un “syndicalisme” de participation doit lui être substitué et être développé jusqu’à son terme : la mort des syndicats ouvriers.


.m3.Crise des syndicats en France


La désyndicalisation massive est évidemment une des manifestation de la crise du syndicalisme. Il faudrait analyser précisément ce qu’il en est dans chaque pays. En ce qui concerne la France, Guy Caire fait l’état des lieux suivant :

«L’OIT situait le niveau de syndicalisation français dans une fourchette de 15 à 30 % au début des années quatre-vingt ; pour la même date, G. Adam retenait 22 % ; suivant R. Mouriaux, de 1975 à 1985 la population syndiquée serait passée de 20 à 15 %, ce dernier pourcentage était celui également avancé par le patronat de la métallurgie ; P. Rosanvallon donne 9 %, les effectifs de la CGT étant lui de 600 000, ceux de FO et de la CFDT de 400 000, ceux de la FEN de 200 000, le nombre d’adhérents de l’ensemble des centrales syndicales ayant chuté de plus de 50 % entre 1976 et 1988.» (“La crise des syndicats en Europe occidentale” - La Documentation Française).

Par ailleurs, la revue “Espace européen” (16 février 1990) a publié les résultats d’une enquête de la SOFRES sur le nombre de syndiqués en France : “1981-1989 : 50 % de syndiqués en moins” :

«La question posée était simple : “Etes-vous syndiqué ?”. Elle a été posée en avril 1981. Elle l’a été de nouveau en octobre 1989. Les deux fois auprès d’un échantillon national de 3000 personnes. Le résultat est net : en 1981, 20 % des Français de plus de 18 ans se déclaraient syndiqués. A l’automne dernier (1989) ils n’étaient plus que 11 % (…) Un sur deux pratiquement avait déserté le syndicat.»

Si on ne peut accorder à ce type d’enquête qu’une valeur indicative, celle-ci n’en est pas moins significative. Ce taux de désyndicalisation de 50 % en huit ans veut-il dire que la classe ouvrière française condamne les syndicats en tant qu’organisation. Le taux de participation et les votes pour les syndicats ouvriers lors des élections professionnelles (délégués du personnel) n’ont pas connu une chute similaire (même s’ils se sont quelque peu affaiblis) pendant ces mêmes années. On peut difficilement affirmer que les travailleurs rejettent, en tant que telles, les organisations syndicales, qu’ils deviennent “individualistes”.


.m3.“Explication” économique


Rand William Smith dans “Crisis in the French Labour Movement” (1987), présente les différents types d’explications données par “de nombreux observateurs” qui discernent “une nette évolution de la classe ouvrière (schématiquement un passage de la rébellion politique à la passivité)” et “qualifient cette évolution de “crise du mouvement syndical” (en français dans le texte”. Il poursuit :

«Comment expliquer ce déclin ? En général, les observateurs offrent trois types d’explication : économique, politique et juridique-institutionnelle.


La baisse des effectifs et de l’influence des syndicats est souvent attribuée aux effets tant immédiats qu’à long terme de la récession économique. La crise économique mondiale qui a frappé les pays occidentaux à la fin de 1974 a provoqué une croissance régulière du chômage ; en France, le nombre de chômeurs est passé de 400 000 environ en 1974 à plus de 2,5 millions. Cette rapide croissance, explique-t-on, fait que les travailleurs, craignant pour leur emploi, se montrent accommodants. Un état d’esprit «chacun pour soi» se développe, la solidarité ouvrière se dissout, les syndicats apparaissent comme de plus en plus impuissants. Dans cette théorie, le calme de la classe ouvrière, s’expliquant par un reflux de l’économie, peut être d’aussi courte durée que le sera celui-ci ; les travailleurs reviendront à une plus grande activité militante au moment de la reprise. (…)»

Ainsi, la classe ouvrière ne serait “combative” que lors des périodes fastes, lorsqu’il y a accumulation du capital ! D’aucuns ne l’accusait-elle pas, il y a peu de temps encore, de s’embourgeoiser ? Qui croire ? L’histoire s’est déjà chargée de rayer d’un trait ce type de jugement “universitaire” (l’Université s’est beaucoup intéressée ces dernières années aux phénomènes de transformation et de déclin syndicaux, tant en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis) : les mobilisations révolutionnaires des masses de 1917 en Russie, de 1918-23 en Allemagne, de 1936 en Espagne et en France... ne se sont pas développées alors que l’économie capitaliste était en plein essor, bien au contraire.


.m3.“Explication” sociologique


«Les autres explications économiques se fondent sur des tendances à plus long terme. Par exemple, certains expliquent que la récession actuelle aura des conséquences permanentes sur la capacité des travailleurs et des syndicats de défendre leurs intérêts, car elle accélère la restructuration industrielle ; or celle-ci est défavorable au mouvement syndical, puisque les industries les plus gravement touchées par le chômage (la sidérurgie, le textile, la construction automobile) sont des bastions traditionnels du syndicalisme. Au contraire, l’emploi se développe dans des secteurs (spécialement le tertiaire) qui n’ont ni mouvement syndical fort, ni traditions de lutte.

Cette thèse de la restructuration industrielle est compatible avec une autre série d’explications économiques, la théorie bien connue de la société “post-industrielle”. Bell, Touraine et d’autres affirment que les sociétés industrielles avancées connaissent un changement fondamental et à long terme de leurs activités économiques : l’«information» et les «services» sont en train de remplacer le secteur de la production de biens manufacturés comme force motrice de l’économie. Ce déplacement à son tour a un effet sur la structure de l’emploi : schématiquement, il y a une forte croissance des activités de savoir et de savoir-faire (scientifiques, ingénieurs, techniciens) et des activités de services, tandis que la production de biens, notamment l’industrie lourde, perd des emplois. Les conséquences pour le mouvement ouvrier sont identiques à celles que nous avons exposées plus haut : le syndicalisme industriel traditionnel s’efface. Dans cette optique, la «crise» du mouvement ouvrier français est celle que connaissent à des degrés divers les syndicats de tous les pays industriels.»

Ces explications “sociologiques” n’ont pas de frontières. En France, Touraine n’est-il pas présenté en maître à penser !

Mais ces “théories” qui, nous l’avons vu plus haut, n’en sont pas à une contradiction près, ont une fonction précise : utiliser la caution d’études pseudo-scientifiques pour masquer les question fondamentales auxquelles est confrontée la classe ouvrière, brouiller les cartes. Il ne s’agit pas de nier les modifications de structure de l’emploi qui se sont produites depuis l’après-guerre : diminution du nombre d’emplois dans l’industrie, gonflement dans le secteur des “services”. Mais qui peut nier que la masse des salariés a considérablement augmenté et que corrélativement le nombre de paysans, d’artisans, de commerçants (catalogables dans la petite bourgeoisie) soit en chute libre. Selon un rapport de l’INSEE en huit ans le nombre des exploitants agricoles serait passé de 1 470 000 à 991 000, celui des artisans, commerçants de 1 819 000 à 1 758 000, celui des cadres et professions intellectuelles supérieures de 1 857 000 à 2 604 000, celui des professions intermédiaires de 3 813 000 à 4 452 000, celui des employés de 5 500 000 à 5 898 000, celui des ouvriers de 7 007 000 à 6 531 000.


.m3.Classe ouvrière et salariés


Manifestement, cette classification est arbitraire. Les artisans, les commerçants, les chefs d’entreprises sont des catégories très diverses économiquement et socialement. Etre artisan ou commerçant ce n’est déjà pas la même chose. Et comment peut-on fourrer dans le même sac sociologique des artisans employant éventuellement quelques salariés et des PDG en employant des centaines, des milliers et parfois des dizaines de milliers ? La rubrique “cadres et professions intellectuelles supérieures” est un fourre-tout. A quoi correspond la rubrique “professions intermédiaires” ? Mystère.

Il est surtout indispensable d’écarter certaines confusions systématiques et bien souvent voulues. Il n’est pas besoin d’avoir la gueule noire, les mains pleines de cambouis, de porter un bleu pour faire partie de la classe ouvrière. Il suffit de ne posséder en propre que sa force de travail, d’être obligé de la vendre pour vivre, à ceux qui possèdent les moyens de production et que cette force de travail serve à la production de marchandises pour en faire partie. En ce sens, nombre de travailleurs de l’électronique, qui sont contraints de vendre leur force de travail pour vivre, et à la condition qu’elle soit utilisée à la production de marchandises, font partie de la classe ouvrière — qu’ils portent une blouse blanche ou des bleus de travail, qu’ils en aient conscience ou non.

Par ailleurs, il est incontestable que le nombre de salariés ceux qui, pour vivre, sont obligés de vendre leur force de travail s’est considérablement accru. Certes, parmi les salariés le personnel de direction, d’encadrement, comme les forces répressives sont en situation antagoniques avec la classe ouvrière. Ce n’est pas le cas de la grande masse de ceux qui sont contraints de vendre leur force de travail pour vivre. S’ils ne participent pas à la production de marchandises, ils ne sauraient être classés dans la classe ouvrière car ils ne produisent pas de valeur, pas de plus-value. Marx écrivait par rapport aux employés de commerce :

«Il (l’employé de commerce) travaille tout autant qu’un autre (travailleur contraint de vendre sa force de travail), mais intrinsèquement, son travail ne crée ni valeur, ni produit. Il fait partie lui-même des faux frais de la production. Ce qui fait son utilité, ce n’est pas qu’il change une fonction improductive en fonction productive (ou un travail improductif en travail productif). Ce serait miracle que cette transformation put avoir lieu grâce à un tel transfert de fonction. Son utilité consiste à réduire la force de travail et le temps de travail que la société consacre à cette fonction improductive (achat et vente des marchandises, NDLR)

Marx l’explique : comme un ouvrier il vend à sa valeur sa force de travail et comme un ouvrier «…Quelle que soit sa rémunération, comme salarié, il travaille gratuitement une partie de son temps.»


La grande masse des employés de bureau, des administratifs, etc... non seulement ne produit pas de valeur, mais elle n’accomplit pas un travail nécessaire. Pire, le nombre des salariés qui sont utilisés à des activités franchement parasitaires ne cesse de croître. Pourtant si ni les uns ni les autres ne sont des ouvriers, s’ils n’appartiennent pas à la classe ouvrière, dans la mesure où ils sont des salariés contraints de vendre leur force de travail à sa valeur, ils sont dans la situation d’exploités. Leur est payée une partie de leur temps de travail ; le prix de l’entretien et de renouvellement de leur force de travail. L’autre partie de leur temps de travail est accaparée par ceux qui achètent cette force de travail.

Ce n’est pas tout. La puissance de la classe ouvrière lui vient de son rôle déterminant dans la production. En raison de ce rôle, elle est la seule classe qui puisse en finir avec le mode de production capitaliste historiquement en crise et puisse lui substituer une organisation de la production conduisant au socialisme. Le nombre des ouvriers qui la constituent est important mais n’est pas le plus important. La classe ouvrière, en combattant pour ses propres objectifs, ouvre la seule voie possible à toutes les couches exploitées, que menacent la décomposition, la crise historique, du mode de production capitaliste, celle de la constitution d’un gouvernement ouvrier, d’un pouvoir ouvrier. L’impulsion que la classe ouvrière peut donner aux autres couches de salariés exploités est décisive.

Faut-il rappeler que les employés ont, à maintes reprises, mené de puissantes grèves et manifestations, de formidables mouvement ? Faut-il rappeler qu’en 1936, par exemple, entraînés par le flot du mouvement de la classe ouvrière, y compris les garçons de café, des gens de maison, ont fait grève et ont constitué leurs syndicats ?

Alors pourquoi proclamer la fin de la classe ouvrière ? Qui a intérêt à le proclamer ?


.m3.Les véritables raisons


Le même ouvrage est néanmoins obligé de faire état d’explications reposant sur des facteurs politiques. Concernant la France, il y est écrit :

«Une seconde catégorie d’explications repose sur les facteurs politiques, en particulier les querelles démoralisantes entre les partis communiste et socialiste. Ayant placé de grands espoirs dans l’union de la gauche au début des années soixante-dix, les travailleurs ont été déçus à partir de 1977, date à laquelle, pour des raisons demeurées incompréhensibles à la plupart d’entre eux, l’union a été rompue. De nombreux travailleurs ont accusé le Parti communiste et son allié syndical, la CGT, d’avoir subordonné les luttes syndicales aux objectifs d’hégémonie politique du parti.»

La direction du PCF ne visait pas à “l’hégémonie politique” en rompant en 1977 “l’Union de la gauche”. Elle savait parfaitement qu’au contraire, en apparaissant ainsi que rompant l’unité entre le PS et le PCF, alors qu’ensemble ils pouvaient accéder au pouvoir y compris par les voies électorales de la Ve République, elle s’isolait. C’est précisément pour que Giscard d’Estaing conserve la présidence de la République, que l’UDF et le RPR conservent le pouvoir, que le PCF a rompu en 1977 avec le PS.

Malgré la politique du PCF, aux élections présidentielles de 1981, Giscard d’Estaing a été battu et François Mitterrand, parce que premier secrétaire du PS, a été élu. Aux élections à l’Assemblée Nationale qui ont suivi, une majorité de députés du PS et du PCF a été élue. Dès lors “l’Union de la gauche” s’est reformée. Mitterrand a constitué le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau. Ce gouvernement bourgeois a défendu, contre la classe ouvrière, la population laborieuse, la jeunesse, les intérêts du capitalisme français décadent.

A ce gouvernement a succédé le gouvernement Mitterrand-Fabius-Crépeau. Le PCF a quitté le gouvernement. Il n’a pas pour autant ouvert une perspective gouvernementale au prolétariat qui corresponde à ses aspirations et à ses intérêts. En pratique, il a soutenu le nouveau gouvernement et lui a permis d’appliquer sa politique.

Massivement la classe ouvrière, la population laborieuse, la jeunesse se sont abstenues aux différentes élections. A la faveur de cette circonstance, aux élections à l’Assemblée Nationale de 1986, le RPR et l’UDF ont retrouvé une majorité et ont été appelés par Mitterrand à constituer un nouveau gouvernement auquel le mouvement des étudiants et des lycéens de novembre-décembre 1986 a fait subir une défaite irrémédiable en le contraignant à retirer le projet de réforme de l’Université, dite réforme Devaquet. A nouveau Mitterrand a été élu en 1988 président de la République, mais cette fois contre Chirac. A nouveau Mitterrand a formé des gouvernements bourgeois, les gouvernements Mitterrand-Rocard-Soisson, Mitterrand-Cresson-Soisson, Mitterrand-Bérégovoy-Durieux. Pas plus que précédemment le PCF n’a ouvert de perspective gouvernementale. Pire encore, tout ce qu’il peut faire pour que revienne au pouvoir un gouvernement du RPR et de l’UDF, il le fait.

En élisant Mitterrand à la présidence de la République et en envoyant une majorité de députés du PS et du PCF à l’Assemblée Nationale — par deux fois en 1981 et en 1988 _ les masses espéraient qu’ils constitueraient un gouvernement du PS et du PCF, sans ministres représentants d’organisations ou de partis bourgeois, dont elles attendaient qu’il applique une politique correspondant à leurs besoins et aspirations. Chacun à leur façon, le PS et le PCF ont pratiqué une politique de défense de la société bourgeoise en crise, de l’Etat bourgeois au détriment du prolétariat.

L’appareil de la CGT a développé une politique correspondant sur le plan syndical à celle que le PCF appliquait : soutien ouvert du gouvernement d’”Union de la gauche”, le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau, entre 1981 et 1984 , de sabotage, de bouzille des luttes de la classe ouvrière ensuite. Ainsi permettait-il au gouvernement et au patronat de mettre en œuvre leur politique. Bien entendu il s’est ingénié à boucher à la classe ouvrière toute perspective gouvernementale alors qu’il pouvait lancer le mot d’ordre d’un gouvernement du PS et du PCF en exigeant de ces partis qu’ils rompent avec la bourgeoisie, et organiser le combat nécessaire pour l’imposer aux députés, aux dirigeants de ces partis. Là sont les raisons de la perte du substance de la CGT. Voilà pourquoi, officiellement, elle ne compte plus que 800 000 adhérents.

La FEN a vu ses effectifs fondre et elle éclate pour des raisons similaires. En 1978, la FEN regroupait 550 000 syndiqués, elle n’en compte plus aujourd’hui que 150 000. En 1981, les dirigeants de la FEN se sont mis servilement au service du gouvernement de l’”Union de la gauche” et de sa politique. Ils n’ont cessé depuis d’être les instruments des différents gouvernements qui se sont succédés. Tous ont avancé sur la ligne de la dislocation de l’enseignement public, conforme aux intérêts du capital et donc, pour y parvenir, de dislocation du corps enseignant. Les autres tendances qui sont à la direction de syndicats de la FEN ont appliqué, sur le mode qui leur est propre, une politique de même nature. Ainsi en a-t-il été d’”Unité et Action”. Maintenant la direction de la FEN, celle du SNES et toutes les tendances qui occupent dans la FEN et ses syndicats des responsabilités tirent chacune de leur côté pour déchiqueter la FEN.

Les dirigeants de FO ont leur style propre. Ils affirment, à qui veut les entendre, que FO est indépendante des partis, des gouvernements et de l’Etat. En même temps, ils se proclament résolument “réformistes”. Pendant des années ils ont été les pionniers des “contrats de progrès”, de contrats salariaux liant les augmentations de salaires au PNB, à la productivité de l’entreprise. Les accords qu’ils ont signé et signent toujours avec le gouvernement, le patronat, font souvent droit aux revendications du patronat et ils sont innombrables. Ce sont les apôtres de la gestion tripartite, syndicats-patronat-gouvernement (Sécurité Sociale), de la gestion paritaire, syndicat-patronat (UNEDIC) au nom desquelles FO sacrifie les intérêts les plus élémentaires des travailleurs. Certes les gouvernements au pouvoir de 1981 à 1986, de 1988 à aujourd’hui n’ont pas leur préférence. De notoriété publique ils préfèrent avoir affaire à des gouvernements RPR et UDF. La confédération n’a jamais organisé et ne pouvait organiser qu’une mince couche de travailleurs.


.m3.L’objectif poursuivi


La perte d’influence des centrales syndicales, la fuite de leurs adhérents va de pair avec la perte d’influence des partis ouvriers-bourgeois traditionnels, leur état squelettique. Fondamentalement, les raisons sont les mêmes : prise en charge des intérêts de la bourgeoisie au détriment des travailleurs, ce qui implique le refus de réaliser le Front unique des organisations ouvrières, syndicats et partis, et bien sûr de combattre pour un gouvernement des partis ouvriers sans représentants de la bourgeoisie.

En fin de compte la crise du syndicalisme résulte de l’absence d’un Parti Ouvrier Révolutionnaire à influence de masse, formulant les revendications transitoires correspondant à la situation, ouvrant à chaque moment une perspective politique gouvernementale et combattant dans les organisations syndicales sur cette orientation. En cette absence, le mouvement syndical est subordonné par ses appareils aux intérêts de la bourgeoisie, à l’idéologie bourgeoise.

Durant les trois-quarts du XIXe siècle, le patronat et l’Etat ont interdit les syndicats et les associations ouvrières y compris dans les entreprises. Ne pouvant éviter leur construction, le patronat a combattu pour “limiter leur cadre et leur influence à l’entreprise”. Maintenant, gouvernement et patronat s’efforcent de se soumettre les organisations syndicales ouvrières. Les moyens sont différents selon les situations, mais les objectifs restent les mêmes. WR Smith précise ainsi l’orientation patronale pour la période actuelle :

«Selon certains, la crise économique s’installant, les dirigeants recherchent une main-d’œuvre plus “flexible”, qui leur permet d’abaisser les coûts salariaux par le recours au travail temporaire, à la sous-traitance et à la création de filiales. Les dirigeants d’entreprise s’efforcent également d’éroder le rôle traditionnel du syndicat comme médiateur en “personnalisant” la relation employeur-salarié. Par des dispositifs tels que les groupes d’expression, les cercles de qualité et la fréquente sollicitation de l’opinion du personnel, les employeurs cherchent à développer le sentiment d’appartenance de l’employé à son entreprise, ce qui doit conduire à une meilleure productivité. Les syndicats voient ainsi une de leurs fonctions essentielles contestée, leur pouvoir de négociation amoindri, ce qui suscite à son tour un scepticisme croissant de la part des salariés sur l’utilité de l’adhésion.»

L’introduction de la flexibilité, l’accroissement de la concurrence entre les salariés, les mesures permettant de les atomiser, d’en faire des individus isolés… voilà les outils “modernes” du patronat. Dans une intervention au Sénat, le ministre Edith Cresson ne disait pas autre chose :

«On ne peut plus aujourd’hui commander les gens comme avant la guerre. Il est temps de développer le dialogue social. La stratégie des entreprises doit être discutée. Les décideurs ne peuvent plus agir unilatéralement.»

Il s’agit donc de passer de l’ancienne mode “des négociations” au “dialogue social moderne”. Mais n’est-ce pas l’acceptation de ces nouvelles “relations sociales” qui met en cause l’existence même des organisations syndicales ? En effet, en se situant sur le terrain de classe (et non sur celui de l’entreprise), en s’organisant sur son propre terrain, le prolétariat limite la concurrence entre les salariés. Amener les organisation syndicales à discuter de “la stratégie de l’entreprise”, c’est leur faire accepter la logique du mode de production capitaliste, la défense du taux de profit, les exigences de la concurrence, de la productivité. N’est-ce pas le meilleur moyen d’éroder le rôle que devrait avoir les organisations syndicales, d’engager leur destruction afin d’instaurer “des relations personnalisées employeurs-salariés sans obstacles” ? Tels sont les objectifs des gouvernements et du patronat.

Mais quelles sont les analyses et les réponses qu’apportent les dirigeants et les appareils des différentes organisations syndicales ? C’est ce qu’un prochain article examinera.

 

Le 26 août 1992.


II. -                       les réponses de la direction de la C.G.T.


Les congrès de la FEN, de la CGT, de FO, ont tous répondu à la question de savoir quel syndicalisme serait nécessaire aujourd’hui. A tout seigneur, tout honneur, la direction de la CGT se prétendant la plus puissante des centrales syndicales françaises, quelles réponses son 44e congrès a-t-il formulées à cette question ?


44e congrès de la C.G.T.


Ce congrès s’est tenu à Montreuil du 26 au 31 janvier 1992. Il faut noter tout d’abord que l’appareil de la CGT est profondément marqué par la dislocation de la FSM, par celle de la bureaucratie du Kremlin. Six mois avant le congrès, un CCN s’est tenu. Il a été préparé par deux rapports écrits. L’un a été présenté par Krasuki, l’autre par Viannet. Si leur orientation ne différait guère sur le fond, cela n’en correspondait pas moins à de profondes fractures dans l’appareil. Le CE décida cependant de soumettre aux syndiqués, en vue de la préparation du 44e congrès un seul texte de discussion.

Le nombre de syndiqués que ce texte a annoncé confirme les propos que Krasuki avait tenus quelques mois plus tôt : «Nous avons perdu des forces, des adhérents, des organisations entières».

D’après le bureau confédéral, fin 1987, la CGT comptait 1 030 843 syndiqués, soit 900 000 de moins qu’en 1981 (-46 %). Le rapport préparatoire au congrès a chiffré a 855 631 le nombre des syndiqués. Mais le nombre de cartes prises ne signifie pas que tous ceux qui ont pris une carte aient payé 12 timbres au cours de l’année.

Le rapport que Louis Viannet a présenté au 44e congrès s’intitule : “Relevons le défi pour un syndicalisme moderne”. En introduction, ce rapport précise :

«Les questions qui nous sont posées et auxquelles nous devons apporter une réponse touchent à l’essentiel, aux fondements mêmes de notre syndicalisme, à son devenir.» (“Le Peuple” n° 1346-47-48, page 11 - 27 février 1992).

Il fait état à de nombreuses reprises de l’affaiblissement réel du syndicat et précise à sa manière l’impact qu’a, sur la classe ouvrière française, l’effondrement de l’économie planifiée dirigée en URSS par la bureaucratie stalinienne et par ses satellites en Europe de l’Est.

«De profonds bouleversements agitent le monde. L’effondrement des pays de l’Est, très vite perverti, puis étouffé par le bureaucratisme, l’autoritarisme, la mainmise du parti au pouvoir sur l’Etat et l’économie sur les syndicats, la mise hors jeu du peuple de toute décision ou possibilité réelle d’intervention pèsent singulièrement sur les réflexions et les comportements» (page 11)

S’agit-il d’une condamnation de la bureaucratie stalinienne ? En apparence seulement. La suite de l’intervention de Viannet et la résolution du congrès vont le confirmer. En effet, quelle alternative, quelle perspective le congrès de la CGT a-t-il ouvert à la classe ouvrière française alors que :

«(le) patronat, (les) gouvernements qui le soutiennent (…) mettent en œuvre une immense entreprise d’adaptation de tous les aspects de la vie à leurs impératifs d’obtention du profit, de remodelage de la société pour tenter de trouver une réponse durable à leur crise» ? (Document d’orientation in “Le Peuple” (revue citée).

Ce document d’orientation comporte trois parties. Leurs titres sont évocateurs :

1ère Partie : La formidable exigence de progrès social.

2ème Partie : Besoins sociaux, choix du capital et enjeux revendicatifs.

3ème Partie : De quel syndicat les salariés ont-ils besoin ?


du régime capitaliste en crise


S’agit-il d’exiger la satisfaction des revendications de la classe ouvrière, de défendre ses acquis face au combat du patronat pour “remodeler la société”, c’est-à-dire pour les reprendre un à un ?

«Les décennies de crise de la société et les politiques qui les ont accompagnées et nourries tout à la fois, témoignent d’une réalité vérifiable par l’expérience : il est temps de tourner l’économie, de tourner les choix de gestion et les objectifs des entreprises vers la satisfaction des besoins de la population et du pays. C’est la condition pour une issue positive à la crise.» (op. cit. p. 512)

Mais pour cela encore faudrait-il en finir avec le mode de production capitaliste dont la crise ébranle toute la société bourgeoise ? S’agirait-il d’en finir avec le système du profit ? Absolument pas. Alors, dans la France actuelle, les “intérêts des salariés” seraient-ils les mêmes que ceux de “la population”, “du pays” ? N’y aurait-il pas contradiction absolue entre les intérêts des salariés et ceux du capital, ceux de l’impérialisme français ? La direction de la CGT évite ces questions. Ce silence est éloquent. Pour elle la crise actuelle n’est pas celle du régime capitaliste. Par contre elle écrit dans le rapport :

«Cette crise ne relève d’aucune fatalité. Elle est le résultat d’un choix de gestion (sic) et d’un (NDLR : souligné par CPS) type de développement capitaliste.» (op. cit. p. 514).

C’est clair. Dès le début du document d’orientation, il est affirmé qu’avec de bons “choix économiques et politiques”, il est possible de résoudre la crise du capitalisme. C’est ce que développera la deuxième partie. Il serait donc possible de réformer le capitalisme français. Et, c’est l’objectif que doit se fixer la CGT. Il serait aussi possible de construire une autre Europe… des puissances capitalistes.

«Actuellement, la domination des monnaies et des systèmes financiers les plus forts, est une réalité. Aucune coopération sérieuse ne pourra se développer sans mettre en place des outils financiers et monétaires protégés de cette domination.»

Ainsi, il faudrait une Europe… des puissances capitalistes plus équilibrées, dans laquelle l’impérialisme français ne serait pas dominé par l’impérialisme allemand ? Mais n’est-ce pas là le combat mené par Mitterrand depuis des mois en défense de la bourgeoisie française face à la puissance économique et financière de l’impérialisme allemand ?

Dans ce cadre, l’objectif du syndicat est de participer au «redressement économique et financier du pays», c’est-à-dire de soutenir directement l’Etat bourgeois et les besoins de l’impérialisme français.


C’est par rapport à cet objectif que sont définies toutes les “revendications” : «Le neuf par les revendications et dans la gestion» (c’est un sous-titre, op. cit. p. 172).

“La gestion”, c’est-à-dire “la gestion” du mode actuel de production, le mode de production capitaliste qui a ses impératifs que Marx notamment a mis en lumière et qui de plus est un régime en crise, crise qui risque de s’aggraver, crise fondamentale.

Le XIe congrès de l’UGICT s’est tenu en juin dernier. Il a précisé cette orientation. Le Projet de mise à jour des axes revendicatifs publié par la revue du syndicat Options, au cœur du social (n° 226, 23 mars 1992) propose de :

«Prendre en compte la qualification de chaque salarié, de son déroulement de carrière comme condition première de l’efficacité de l’entreprise.»

Ainsi, les syndicats devraient adapter “les revendications” des salariés à “l’efficacité de l’entreprise”, c’est-à-dire à sa capacité concurrentielle, à la défense et à l’augmentation du taux de profit. Or, dans le cadre du régime capitaliste, les salariés sont contraints de lutter sans cesse pour vendre à sa valeur leur force de travail, la capacité concurrentielle et le taux de profit de “l’entreprise” dussent-ils en souffrir. Les patrons s’efforcent, au contraire, d’obliger les salariés à vendre leur force de travail en dessous de sa valeur et d’intensifier au maximum le travail. Agissant ainsi ils défendent la capacité concurrentielle de leurs entreprises et tentent de maintenir et d’accroître leur taux de profit. C’est cela “l’efficacité de l’entreprise”.


Retour à Marx

Mais qu’est-ce que la valeur de la force de travail ? C’est le temps de travail socialement nécessaire à la produire : éducation, formation, entretien du salarié et de sa famille (alimentation, habitation, etc..., mais aussi santé, vacances, retraites). La force de travail est une marchandise qui se vend sur le marché du travail. A la différence des autres marchandises elle doit, ou devrait se vendre, à sa valeur, tandis que les autres marchandises se vendent à leurs prix de production, c’est-à-dire : prix du capital constant + valeur de la force de travail qui y sont intégrés x par (1 + taux de profit moyen).

Cependant, la valeur de la force de travail n’est pas une donnée fixe. Par suite du combat que les salariés ont mené depuis le 19e siècle, leurs conditions de travail et d’existence, leur pouvoir d’achat, se sont améliorés, leur niveau culturel également. Ce qui tend à accroître la valeur de la force de travail. A l’inverse, la productivité du travail s’étant multipliée, la valeur (c’est-à-dire le temps de travail socialement nécessaire à les produire et non leur prix) des marchandises consommées par les salariés a considérablement baissée. En d’autres termes, la plus value absolue a diminué de façon très importante mais la plus value relative s’est multipliée. Marx écrit :

«Par augmentation de la force productive ou de la productivité du travail, nous entendons en général un changement dans ses procédés, abrégeant le temps socialement nécessaire à la production d’une marchandise, de telle sorte qu’une quantité moindre de travail acquiert la force de produire plus de valeur d’usage. Le mode de production était censé donné quand nous examinions la plus value provenant de la durée prolongée du travail. Mais dès qu’il s’agit de gagner de la plus value par la transformation du travail nécessaire en surtravail, il ne suffit plus que le capital, tout en laissant intacts les procédés traditionnels du travail, se contente d’en prolonger simplement la durée. Alors il lui faut au contraire transformer les conditions techniques et sociales, c’est-à-dire le mode de production. Alors seulement il pourra augmenter la productivité du travail, abaisser ainsi la valeur de la force de travail et abréger par cela même le temps exigé pour la produire.

Je nomme plus value absolue la plus value produite par la simple prolongation de la journée de travail et plus value relative la plus value qui provient de l’abréviation du temps de travail nécessaire et du changement correspondant dans la grandeur relative des deux parties dont se compose la journée de travail.

Pour qu’il fasse baisser la valeur de la force de travail l’accroissement de productivité doit affecter des branches d’industrie dont les produits déterminent la valeur de cette force, c’est-à-dire des industries qui fournissent ou les marchandises nécessaires à l’entretien de l’ouvrier ou les moyens de production de ces marchandises.» (Karl Marx, Tome 1, page 852, Ed. “La Pléïade”).

D’où il résulte que l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés, l’évolution de leurs conditions de vie et de travail, l’évaluation de leur niveau culturel a exigé :

1°) qu’ils combattent sans désemparer ;

2°) que la productivité du travail se multiplie de telle sorte que baisse la valeur de la force de travail, c’est-à-dire que le taux d’exploitation (plus value que s’approprient les capitalistes sur valeur de force de travail, c’est-à-dire le capital variable (pl /v) s’intensifie considérablement.


La loi de la baisse tendancielle du taux de profit

Il faut prendre en compte une autre loi, celle de la baisse tendancielle du taux de profit. Elle résulte de la modification de la composition organique du capital. Dans la production capitaliste, la masse de capital constant croît plus vite que la masse du capital variable qui le met en mouvement, c’est-à-dire le rapport C/V s’accroît. Marx écrit :

«l’augmentation progressive du capital constant par rapport au capital variable doit avoir nécessairement pour effet une baisse du taux de profit général, le taux de plus value ou degré d’exploitation du travail par le capital restant le même. Or, il est révélé — et c’est une loi du mode de production capitaliste — qu’à mesure que celui-ci se développe, il se produit une diminution relative du capital variable par rapport au capital total mis en mouvement. En d’autres termes, le même nombre d’ouvriers — la même quantité de force de travail — rendue disponible par un capital variable d’une valeur donnée, par suite du développement des méthodes de production propres à la production capitaliste, mettront en mouvement, transformeront et consommeront de façon productive, dans le même temps, une quantité toujours croissante de moyens de travail, de machines, de capital fixe de toute sorte, de matières, premières et auxiliaires — bref, un capital constant d’une valeur sans cesse croissante. Cette diminution relative et progressive du capital variable par rapport au capital constant — donc par rapport au capital total — est identique à la progression constante de la composition organique du capital social moyen. Ce n’est d’ailleurs qu’une autre expression du progrès de la productivité social du travail.» (Karl Marx, Tome II, pages 1001-1002, Ed. “La Pléïade”).


Parmi les causes qui contrecarrent cette loi, Marx cite (page 1018) «(l’)abaissement du salaire (…) C’est (…) une des causes les plus importantes qui freinent la tendance à la baisse du taux de profit». Autrement dit, l’accumulation fantastique du capital constant exige l’intensification de l’exploitation pour augmenter jusqu’à la limite du possible la plus value relative, jusqu’à mettre en cause le pouvoir d’achat des salariés, dégrader leurs conditions de travail et d’existence, leur niveau culturel et même, prolonger leur temps de travail. De même elle pousse les capitalistes à accélérer la vitesse de rotation du capital et pour cela impose le travail en continu, etc, etc…

Ce n’est pas tout. Le capital financier est, par nature, improductif. Il se développe cependant à vive allure et devient dominant à l’époque de l’impérialisme. Il ponctionne une part de plus en plus importante de la plus value produite, ce qui impose au capital de tout mettre en œuvre pour accroître la plus value relative. Enfin, le parasitisme devient gigantesque. L’économie permanente d’armement, volant d’entraînement devenu indispensable à l’économie capitaliste, est un des facteurs de ce parasitisme, mais pas le seul. La spéculation effrénée en est un autre. La masse des capitaux fictifs ne cesse de s’enfler. Ils n’en réclament pas moins “leur part” de profits qui, elle, doit être prise sur la plus value produite et réalisée. Inversement, la multiplication des services, des activités parasitaires réduit au moins relativement, sinon de façon absolue, le nombre de travailleurs produisant de la plus value.

Mais l’action de ces facteurs n’apparaît pas à tout moment. Longtemps elle reste souterraine. Pire encore, certains, par exemple l’économie d’armement, semblent élargir sans limite le marché et garantir un accroissement continu de la production et de la réalisation de la plus value, des profits. La spéculation semble engendrer spontanément, par son propre mouvement, des profits prodigieux. L’élargissement inouï du crédit, son internationalisation à une échelle sans précédent, l’endettement, cachent les tendances à l’œuvre en profondeur, donnent une élasticité immédiate au marché qui semble devoir être infinie. L’endettement fait boule de neige. C’est ce qui s’est passé au lendemain de la IIe guerre mondiale. A quoi il faut ajouter la surexploitation des peuples semi-coloniaux.

Dans ces conditions, bien que l’extorsion de la plus value relative se soit intensifiée, le pouvoir d’achat, les conditions de vie et de travail, le niveau culturel, etc, etc, de la population laborieuse, de la jeunesse ont pu s’améliorer. Mais le temps des échéances est venu. La crise est là. Vraisemblablement elle va s’accentuer. Les capitalistes et les défenseurs du régime capitaliste, même s’ils se déclarent “réformateurs”, s’ils bavardent sur les “revendications”, ne peuvent que pratiquer une politique visant à faire porter au prolétariat le poids et les conséquences de cette crise.


Travail simple, travail complexe, qualifications

En effet, si à certains moments le texte d’orientation du 44e congrès de la CGT reprend, en apparence les revendications traditionnelles des salariés (revalorisation du pouvoir d’achat, des salaires, relèvement du SMIC, amélioration des retraites...), c’est pour adopter, dans le détail, les “revendications” patronales qui s’inscrivent contre les acquis des salariés. Ainsi, à propos des salaires, le texte propose de :

«reconstruire les grilles et les systèmes de rémunérations à partir de (…) la reconnaissance dans le travail des qualifications assises sur les formations initiales et professionnelles, continue, sur l’expérience et les capacités individuelles et collectives acquises.»

Les “capacités individuelles et collectives” dont parlent les textes de la CGT ne sont rien d’autre que la reprise des termes patronaux et la négation même des qualifications se référant aux diplômes nationaux. C’est, sous couvert de revalorisation salariale, la remise en cause des grilles actuelles et l’introduction d’un système de salaire “individualisé”, fondé sur “l’expérience”, “les capacités individuelles”, c’est-à-dire à la tête du client. Le trucage consiste à qualifier de revendications ouvrières celles du patronat.

Marx écrit dans “Le Capital” :

«La valeur des marchandises représente purement et simplement le travail de l’homme, une dépense de force humaine en général. Or, de même que dans la société civile un général ou un banquier jouent un grand rôle, tandis que l’homme pur et simple fait triste figure, de même en est-il du travail humain. C’est une dépense de la force simple que tout homme ordinaire, sans développement spécial, possède dans l’organisme de son corps». C’est ce que Marx appelle “le travail simple” (…) «Le travail complexe (skilled labour, travail qualifié) n’est qu’une puissance du travail simple, multiplié, de sorte qu’une quantité de travail complexe correspond à une plus grande quantité de travail simple». (Karl Marx, “Œuvres” tome 1, page 572, Ed. “La Pléïade”).

Les valeurs des forces de travail qualifié correspondent aux quantités de travail socialement nécessaires pour les produire., Elles sont variables selon les qualifications. Naturellement le capital tend à réduire au minimum les valeurs de ces forces de travail complexe, à les payer en dessous de leurs valeurs, à supprimer tout ce qui garantit les qualifications. C’est particulièrement vrai au moment des crises d’autant plus que ces crises sont fondamentales.


Vers la liquidation des qualifications garanties par des diplômes nationaux

Au 19e siècle, pour la classe ouvrière, la “formation professionnelle” était faite sur le tas. Nombre d’ouvriers par exemple ne savaient pas même lire. Au mieux, elle se réalisait dans le cadre de “l’apprentissage”. Pratiquement il n’en coûtait que peu sinon rien au capital. Seul l’encadrement technique et autre, aux différents niveaux, recevait une formation dans des écoles, passait par le secondaire voire en université ou dans des écoles de haut niveau. Le coût de la formation, de la force de travail en général, était donc réduit.

Pour les besoins mêmes de la production, la bourgeoisie a dû mettre fin à cette situation à la fin du 19e siècle et au début du 20e. La lutte de classe du prolétariat a fait le reste : école primaire, écoles professionnelles, généralisation du secondaire, etc... La classe ouvrière, la population laborieuse, la jeunesse ont imposé que les qualifications soient sanctionnées par des diplômes nationaux. Ces diplômes nationaux concrétisent un certain rapport de force entre les salariés, leurs organisations et le capital. Le capitalisme instaure la concurrence entre les salariés. Les diplômes nationaux la limite et font donc partie de l’établissement d’un rapport de force plus favorable aux salariés. Aujourd’hui le capitalisme décadent doit remettre en cause les diplômes nationaux, les qualifications, tout cela lui coûte trop cher, lui devient insupportable.


Les diverses mesures que prennent le patronat, les gouvernements pour mettre un terme au calcul du salaire selon la qualification (définie comme ci-dessus) visent à faire encore baisser la valeur de la force de travail, à établir de nouveaux rapports entre la classe ouvrière et le patronat et son Etat (plus favorables à ces derniers).

Accepter une nouvelle définition de la qualification, c’est donc s’aligner sur les exigences de la bourgeoisie. Telle est l’orientation de l’UGICT qui, à la suite du congrès confédéral redéfinit ainsi la qualification :

«La qualification est un ensemble de connaissances, de savoirs et savoirs faire, de capacité d’analyse et de synthèse, d’initiatives, de responsabilités, toutes qualités propres à un individu et mises en œuvre dans son activité de travail» (op. cit. p. 50).

En parlant de “connaissances”, de “savoir”, de “savoir faire”, sans référence aux diplômes nationaux, aux grilles nationales de qualification, la direction de la CGT, comme les patrons, ne voit dans les connaissances que la façon dont chaque salarié les “met en œuvre dans son activité de travail”, c’est-à-dire son efficacité individuelle. Les nouvelles classifications s’appuieront sur “l’efficacité individuelle” et le salaire sera soumis à l’appréciation du travail individuel du salarié faite par les patrons (ou leurs représentants). C’est le retour à la concurrence sauvage entre salariés.

Il en va de même de l’expérience professionnelle acquise qui jusqu’alors était appréciée par l’ancienneté. Pour assurer :

«l’égalité de traitement et combattre les discriminations et l’opposition que le patronat entend faire jouer entre les salariés plus anciens dans l’entreprise et les jeunes diplômés», l’UGICT propose de «prendre en compte l’ensemble des éléments de l’expérience professionnelle acquise, d’en définir les critères de mesure avec les salariés».

et de constituer ainsi “la base du déroulement de carrière automatique pour tous”. Le déroulement de carrière serait donc exclusivement fondé sur “l’efficacité individuelle” et non plus sur l’ancienneté : c’est le moyen d’imposer aux salariés qu’ils soient dociles.

L’UGICT regrette que l’intéressement «cette part aléatoire “de la rémunération” soit mise en opposition avec la masse salariale». L’apport “dans le débat” des “idées” et des “propositions” du syndicat “sur l’efficacité des entreprises” est le suivant : si les néo-qualifications s’appuient sur l’efficacité individuelle de chaque salarié (laquelle sera forcément appréciée en fonction de l’efficacité de l’entreprise), il n’y aura plus de contradiction entre la nouvelle définition du salaire (en référence à cette néo-qualification) et l’intéressement ! Chacun appréciera !


Cogestion avec le patronat

De telles propositions sont encore insuffisantes. Il faut aussi les mettre en œuvre. C’est pourquoi l’UGICT estime que le déroulement de carrière doit être confié à :

«des commissions de carrière dont la mission, le rôle et les attributions doivent faire l’objet de débats avec les salariés».

Le syndicat participerait-il aux côtés du patron à l’appréciation de l’efficacité individuelle des salariés ? Même si la proposition n’est pas explicite, c’est ce qui est suggéré et ce d’autant plus qu’en ce qui concerne la gestion prévisionnelle des emplois, l’UGICT exige :

«des droits réellement étendus de regard et d’intervention des salariés et de leurs organisations syndicales représentatives (CE, CHSCT)».

C’est bien là l’application des orientations du congrès confédéral qui proposait d’élaborer avec les salariés des “propositions offensives” pour s’opposer à la “gestion prévisionnelles de l’emploi prônée par les directions” et “développer les capacités humaines”.

Dans le cadre du régime capitaliste “le développement des capacités humaines” signifie l’aptitude à produire de la plus value, à défendre le taux de profit. Comme cela a été écrit plus haut, la production capitaliste, dont le moteur est le profit, exige la croissance de la plus value relative. Aujourd’hui, le pouvoir d’achat des salariés doit diminuer, les conditions de vie et de travail des salariés être aggravées, leur culture générale et professionnelle dégradée, en même temps que le taux d’exploitation augmenté. C’est cela le sens du “développement des capacités humaines”, la meilleure “gestion des ressources humaines” qui est actuellement au centre de tous les discours patronaux. Proposer que le syndicat élabore avec les salariés des “contre-propositions”, c’est utiliser l’organisation syndicale pour soumettre les travailleurs aux besoins patronaux, les “associer” à l’organisation de leur propre exploitation : y a-t-il un meilleur moyen d’empêcher tout combat efficace, toute résistance efficace ?


Participation et liquidation du syndicalisme

Autre question centrale très actuelle : la “participation” ou le “management participatif”. La question ne serait pas de “gérer mieux l’entreprise” (termes du patronat) mais de la “gérer autrement” (termes de la CGT). Chacun appréciera la nuance ! Nouveau trucage qui vise à faire croire que les “directions craignent par dessus tout l’intervention des travailleurs dans les choix de gestion”. Confusion volontaire entre le contrôle ouvrier (la classe ouvrière mobilisée s’organise — comités, conseils — sur la ligne de l’expropriation du capital et de l’établissement du pouvoir ouvrier) et la participation-autogestion (association des travailleurs, des syndicats à la gestion de l’entreprise capitaliste pour soumettre la classe ouvrière au patronat et briser ses organisations).

Voilà le type de “revendications” que les salariés sont appelés à définir avec l’aide de la CGT. Ainsi, tout au long du texte, il est précisé que les revendications ne doivent pas être imposées par le syndicat, mais qu’elles doivent partir des besoins des salariés tels qu’ils sont ressentis à chaque moment sur le lieu de travail, au plan local (à la base...) sous prétexte d’accroître la démocratie syndicale. Ce leit-motiv prend tout son sens à la lecture de la phrase suivante : ce «syndicalisme neuf, de notre temps, ouvert aux évolutions, revendicatif, démocratique, indépendant». Le “nouveau syndicalisme” défini par le 44e congrès de la CGT n’est pas un “syndicalisme” débarrassé des traditions des dirigeants et de l’appareil staliniens, qui ouvrirait une perspective à la population laborieuse. Le “syndicalisme” que les dirigeants CGT défendent devrait s’adapter aux «mutations sociologiques, remodelage, modification d’état d’esprit et de comportement des salariés». Les soi-disantes “mutations sociologiques”, la prétendue “modification d’état d’esprit et de comportement des salariés” ne sont que prétextes pour “s’adapter” aux besoins et exigences du capitalisme en crise et dégénérescent. Il correspond très exactement aux vœux de François de Closet qui, dans “Tous ensemble” fustige le syndicalisme de classe, le seul syndicalisme authentique, lequel dresse les intérêts de la classe ouvrière, de la population laborieuse contre ceux de la bourgeoisie, du capital, car les uns et les autres sont irréductiblement contradictoires. Le “syndicalisme” à la de Closet dont s’inspirent les dirigeants de la CGT, c’est la collaboration harmonieuse entre exploités et exploiteurs sous la domination des exploiteurs, cela va de soi.


“Efficacité économique” égale : liquidation des acquis de la population laborieuse

Au 44e congrès de la CGT il n’a donc pas été question de combattre même formellement pour la défense des acquis de la population laborieuse. Dans son rapport, Louis Viannet a même “oublié” de parler des dockers, de leur lutte pour défendre leur statut que le gouvernement et les patrons étaient en train de casser. Par contre, il a expliqué :

«Des réponses ont été construites à partir des spécificités, des catégories. Elles sont aujourd’hui insuffisantes aux regard des évaluations actuelles… N’avons-nous pas à réfléchir à de nouvelles réponses ?»

Exemple significatif :

«Les femmes représentent aujourd’hui près de la moitié du salariat. Leurs aspirations, leurs revendications, leurs idées et comportements sont aussi diversifiés que ceux des hommes. Ouvrières ou fonctionnaires, employées ou techniciennes, cadres ou ingénieurs (moins souvent), elles ont des revendications afférentes à leur catégorie sociale, à l’entreprise dans laquelle elles travaillent.

Même les conditions de la maternité ne se posent pas de la même façon pour une OS en travail posté ou une employée de bureau. Doit-on alors construire des réponses globales à partir d’une seule spécificité “femme” ou mener avec opiniâtreté un effort d’impulsion pour que sur chaque lieu de travail, les femmes salariées expriment leurs besoins pour les traduire en revendications concrètes et en actions correspondantes ?» (page 187).

On comprend ce que signifie le fait de ne plus construire de “réponses globales”. L’employée de bureau n’a-t-elle pas des “besoins” différents de la femme OS en travail posté ? Ce qui signifie : la durée de congé maternité ne peut-elle pas “légitimement” varier selon les besoins de la profession de chaque femme ? Ce n’est ni plus ni moins que prôner la liquidation de la durée unique minimale du congé de maternité, ce qui soumettrait chaque femme aux exigences de la profession, de l’employeur.

Voilà le sens des “nouvelles réponses” que se propose d’apporter la CGT face à la mise en cause des acquis par le patronat et l’Etat bourgeois.

Ce “nouveau syndicalisme” fixe donc à la CGT le rôle de faire accepter aux salariés la mise en cause des garanties sociales arrachées durant les décennies précédentes et “d’associer” les salariés aux objectifs patronaux. Le radicalisme verbal prônant les luttes “opiniâtres” ne sert qu’à masquer le fait que cette orientation est le moyen d’interdire toute action authentique et efficace des salariés.

Ainsi, les “revendications” doivent être définies par rapport à leur “efficacité économique”. Le syndicat doit œuvrer pour que la classe ouvrière reprenne à son compte les exigences patronales.

«La France est aujourd’hui confrontée à un défi, celui du droit au travail, de l’emploi, un emploi non pas conçu comme un instrument d’ajustement résidu de la course au profit des entreprises mais comme une véritable source d’efficacité économique et sociale.

Elle a besoin d’une ambitieuse politique de l’emploi.

(…) Cette logique nouvelle est inséparable d’une stratégie de développement des activités industrielles dans les grandes et dans les petites et moyennes entreprises, là où se créent d’abord les richesses du pays, s’appuyant sur les potentiels et savoir-faire accumulés de notre pays, en particulier, grâce à l’existence d’un puissant secteur public». (page 173)

Pour les dirigeants de la CGT, le “droit à l’emploi” ne s’identifie pas à la lutte contre le chômage, contre les licenciements pour préserver l’existence même de la classe ouvrière, de la population laborieuse, ce qui est indissolublement lié au combat pour en finir avec le mode de production capitaliste et donc à celui pour un gouvernement ouvrier expropriant le capital et organisant la production, non plus en raison du profit mais en vue de satisfaire les immenses besoins des exploités. Pour les dirigeants de la CGT, “l’emploi” devrait être “source d’efficacité économique” dans le cadre du mode de production capitaliste, c’est-à-dire soumis à ses exigences, à celles de l’impérialisme français décadent. Le contenu qu’ils donnent à l’emploi est identique à celui qu’a la “gestion des ressources humaines” des patrons.


A propos des “services publics”

La “défense du service public” est un point central de cette orientation. Mais qu’est-ce que les “services publics” ? C’est avant tout l’infrastructure (transports, communications, énergie, etc…) qui est indispensable à la société bourgeoise, au mode de production capitaliste pour fonctionner, indispensable à la production et à la réalisation de la plus value, au maintien d’un taux de profit suffisant. Il est vrai que tout mode de production a et aura besoin d’infrastructures du même genre. Il est également vrai que dans sa période progressive et aussi lorsque l’impérialisme français était un des impérialismes dominants bénéficiant d’immenses surprofits provenant de l’exploitation coloniale notamment, il a pu consentir sur ce plan, comme sur d’autres, des concessions à la population laborieuse de telle sorte qu’elle puisse utiliser dans certaines limites les “services publics” selon ses besoins. Il n’empêche que fondamentalement les “services publics” ont toujours été les “services” dont a besoin le capital, que les “entreprises publiques” soient ou non nationalisées. Dans une société de classes dominée par la bourgeoisie “le bien public” est toujours “le bien” de celle-ci, comme l’est le “droit”, etc… Immédiatement apparaît alors l’équivoque entretenue par la formule “défense du service public”.

C’est au nom de “la défense du service public” que, par exemple, la bourgeoisie entend supprimer de facto le droit de grève dans les “services publics”, c’est au nom de la défense des usagers que les dirigeants des syndicats s’associent à la même table que les représentants de l’Etat bourgeois, les directions des “entreprises publiques”, pour “négocier” et réglementer volontairement le droit de grève, c’est-à-dire le casser. Dans le même temps, le capitalisme français décadent élimine tout ce qui, dans ses “services publics” n’est pas “rentable”, ne correspond pas strictement à ses besoins et privatise tout ce qui peut devenir “rentable”.

Du même coup s’éclaire comment le combat contre les besoins et exigences, dans ce domaine comme dans tout autre, du capital doit être abordé et mené : par la défense inconditionnelle des intérêts du prolétariat ; en l’occurrence par la défense du pouvoir d’achat, des conditions de travail, des acquis des travailleurs des “services publics”, comme de la fonction publique, de leurs statuts, qui leur accordent certaines garanties : garantie de l’emploi, grilles indiciaires nationales pour les fonctionnaires correspondant à un niveau de recrutement liés aux diplômes nationaux, corps nationaux, à des grilles indiciaires correspondantes aux qualifications dûment établies pour les autres.

Ce sont ces garanties, ces acquis que pour la bourgeoisie il est nécessaire de liquider afin d’ajuster ses “services publics” à ses besoins et les rentabiliser. Le 44e congrès de la CGT a repris à son compte les exigences et besoins de la bourgeoisie dans ce domaine, comme dans les autres :

«Services, grandes entreprises nationales et fonction publique doivent être revalorisés, modernisés et décentralisés pour une efficacité entièrement fondée sur l’emploi et la qualification des personnes et la réponse aux besoins des usagers, particuliers et entreprises, pour améliorer aussi l’accueil, diversifier les activités, éliminer la bureaucratie et mettre la technologie au service de l’amélioration du travail et des usagers, développer le tissu économique et social » (p. 180)

 


Exemple de la Poste et de France-Télécom

L’application c’est la remise en cause voulue par la bourgeoisie et ses gouvernements, avec la participation des dirigeants syndicaux, des acquis des travailleurs des “services publics” et de la fonction publique (voir au-dessus). Par exemple, c’est la liquidation des corps nationaux, des personnels, des fonctionnaires, du statut de la fonction publique et des garanties afférentes. Ce qui vient de se passer dans les Postes et Communications est l’aboutissement de cette orientation. “Le Monde” du 18 juillet 1992 a publié un article intitulé : «De nouvelles grilles salariales - La “révolution tranquille” de la Poste et de France-Télécom”». On y lit :

« Chacun de son côté, France Télécom et La Poste viennent de mettre un point final à la définition de « nouvelles règles du jeu social ». En optant pour une classification reposant sur la définition des fonctions occupées par le personnel et non plus sur les grades, les deux établissements publics amorcent une rupture en douceur avec les règles traditionnelles de la fonction publique à laquelle ils continuent pourtant d’appartenir.

A La Poste (300 000 salariés) comme chez France Télécom (156 000 salariés), on ne parle plus de « gestion du personnel ». L’heure est au « management des ressources humaines ». Au-delà de cette mutation sémantique – qui verse parfois dans le jargon moderniste – c’est effectivement un changement en profondeur auquel les deux établissements on mis la dernière main début juillet.

A La Poste, l‘ancienne grille composée de onze grades va céder la place à quinze niveaux de fonctions réparties en quatre classes où s’intégreront quelques trois cent métiers. Chez France Télécom, quinze niveaux apparaissent également. Dans les deux cas, une première opération de reclassement a permis au personnel de bénéficier d’un avantage salarial moyen de 500 à 700 francs accordés entre janvier 1991 et juillet 1992, mais acquis définitivement. Un effort financier évalué à 3,2 milliards de francs pour La Poste et à 1,2 milliards pour France Télécom.

Concours décentralisés

Après cette première phase, s’ouvrira en septembre la « reclassification », qui s’étalera jusqu’en 1994. Il s’agira de proposer à chaque agent un grade correspondant à la fonction qu’il exerce effectivement, chacun pouvant, s’il le souhaite, conserver son statut actuel. Négociées avec les syndicats, ces nouvelles orientations – que les dirigeants des deux établissements qualifient en cœur de « révolution tranquille » - se traduisent par des modifications touchant au mode de recrutement, à l’avancement et à la mobilité. Pour les trois premières catégories de la hiérarchie (en dessous du niveau bac), le recrutement sera organisé par concours décentralisés et ne dépendra plus d’une épreuve nationale. France Télécom procèdera à des embauches correspondant à des « postes de travail clairement identifiés » et prévoit « plusieurs entretiens individuels ». Quant à la mobilité, elle pourra s’inscrire dans un cadre régional, par grand bassin d’emploi. Mais c’est surtout dans le domaine de l’avancement qu’interviennent les changements les plus profonds.

A La Poste, « un examen de l’aptitude sanctionnera le passage dans le niveau supérieur et la promotion ne se fera plus à l’ancienneté mais en fonction de la compétence, de l’expérience et du potentiel ». Des principes comparables seront introduits au sein de France Télécom, avec « une pondération variable des différents critères (expérience, apréciation de la hiérarchie, épreuve devant un jury) selon les catégories ». (…)

« Cette profonde refonte des règles du jeu doit apporter plus de professionnalisme, de réactivité, et de motivation au personnel » assure Mr. Bernard Jais, directeur des Ressources humaines de France Télécom. Quant à Mr. Fernand Vieilledent, directeur général de La Poste, il entend « faire des Ressources Humaines la première force de l’entreprise ».


La dite “révolution tranquille” n’est rien d’autre que la pointe avancée de l’introduction des “nouvelles règles du jeu social”. Voilà les résultats des négociations auxquelles les dirigeants de la CGT ont participé aux côtés des dirigeants des autres syndicats. Le gouvernement veut mettre en œuvre dans toute la fonction publique et tous les “services publics” les “nouvelles règles du jeu social”. Tel est le sens de la première réponse à la question posée dans la Troisième Partie du document intitulé : “De quel syndicat les salariés ont-ils besoin ?”. Le texte prétend que la CGT doit être un “syndicat pour les revendications”, mais il reprend à son compte les néo-réformes patronales et gouvernementales. De plus, il formule une deuxième réponse.


“La démocratie” selon Viannet et selon Lénine

«Un syndicat pour plus de démocratie

Les salariés ont un énorme besoin de démocratie :

— démocratie dans l’action revendicative pour que chacun, chacune soit partie prenante de sa décision, de ses modalités, de sa conduite ;

— démocratie dans l’entreprise pour intervenir sur les choix de gestion et obtenir que ceux-ci répondent aux revendications des salariés et aux besoins de développement de la société ;

— démocratie dans la vie syndicale pour que chaque salarié puisse s’informer, débattre, décider, élaborer les propositions du syndicat, élire ses responsables et participer à la conduite de l’action syndicale» (p. 195)

Sans aucun doute la gestion des syndicats par les appareils bureaucratiques étouffent les travailleurs. Ils aspirent à une authentique démocratie syndicale, à une véritable démocratie ouvrière. Mais que défend Viannet et l’appareil de la CGT ? Un morcellement , une mise en miettes de la classe ouvrière, de la population laborieuse. Chacun est convié à définir, dans le cadre de “l’entreprise”, de sa “catégorie”, de son petit secteur, “ses revendications”, “ses modalités d’action”, la “conduite” de celles-ci. On ne saurait préconiser et appliquer mystification aussi dangereuse pour les salariés. A l’étape actuelle, toute revendication authentique et importante se heurte à la force centralisée du patronat, de l’Etat bourgeois, des gouvernements bourgeois. Ce n’est qu’un combat centralisé, mettant en cause l’Etat bourgeois, ses gouvernements, qui s’ordonne sur une perspective gouvernementale qui peut permettre de l’arracher. C’est donc une authentique démocratie syndicale, démocratie ouvrière, dont le prolétariat a besoin — démocratie sur laquelle il faudra revenir.

La démocratie syndicale, la démocratie ouvrière ne peuvent exister qu’en relation avec le combat pour des objectifs conformes aux intérêts d’ensemble du prolétariat. Or, lorsque Viannet parle de l’échec de “cette forme de socialisme”, il précise quelles sont, selon lui, les raisons de l’échec de ce qu’il appelle “socialisme” : il a été “étouffé par le bureaucratisme”. Il confond délibérément, comme tous les bourgeois (grands ou petits) et leurs valets dans la classe ouvrière, les années révolutionnaires et celles qui ont vu la constitution et la victoire de la bureaucratie du Kremlin. Il précise “la mainmise du parti ou pouvoir sur l’Etat et les syndicats”. Ce faisant, il reprend à son compte les positions des sociaux démocrates, de l’Internationale de Berne (1919) que Lénine a critiqué au 1er Congrès de l’Internationale Communiste.

«1) La croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu’elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico-politiques capables de servir à la défense de la domination des exploiteurs. La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments. Le mensonge et l’hypocrisie d’un tel argument répété à satiété dans la presse capitaliste et à la conférence de l’Internationale jaune de Berne en février 1919 sont évidents pour ceux qui ne tentent pas de trahir les principes fondamentaux du socialisme.

2) D’abord cet argument s’appuie sur les conceptions de “démocratie en général”, sans préciser la question de la classe. Poser ainsi le problème, en dehors de la question de classes, en prétendant considérer l’ensemble de la nation, c’est proprement se moquer de la doctrine fondamentale du socialisme, à savoir la doctrine de la lutte de classes, acceptée en paroles, mais oubliée en fait par les socialistes passés dans le camp de la bourgeoisie. Car dans aucun pays civilisé, dans aucun pays capitaliste, il n’existe de démocratie en général : il n’y a que la démocratie bourgeoise. Il ne s’agit pas davantage de la dictature exercée par la classe opprimée, c’est-à-dire par le prolétariat, sur les oppresseurs et les exploiteurs, sur la classe bourgeoise, dans le but de triompher de la résistance des exploiteurs luttant pour leur domination (Les IV premiers congrès de l’IC - 1919-1923 - Bibliothèque communiste - Librairie du Travail - Juin 1934).


Ce dont souffre la CGT

Par ailleurs, Viannet a précisé qu’il avait apporté son soutien à Gorbatchev et aux restaurationistes. Il soutient le rétablissement du capitalisme dans les pays de l’ex-URSS et ceux de l’Europe de l’Est. C’est la raison de son combat (et celui du 44e congrès de la CGT) pour la “démocratie” en général, c’est-à-dire pour la soumission du prolétariat à la dictature de la bourgeoisie.

La CGT ne souffre pas d’un manque de “démocratie” dans l’abstrait, en général. Elle souffre de son soutien à l’Etat bourgeois, de son orientation dite de “la démocratie dans l’entreprise” qui désarment la classe ouvrière, la population laborieuse et détruit la CGT. Lénine expliquait :

«La république bourgeoise la plus démocratique n’est rien d’autre qu’un appareil permettant à la bourgeoisie de réprimer la classe ouvrière, permettant à une poignée de capitalistes d’écraser les masses laborieuses.»

En apportant son soutien à l’Etat, à ses différents gouvernements, la direction de la CGT “permet à la bourgeoisie de réprimer la classe ouvrière”.

Ce dont souffre la CGT, c’est de l’absence d’une orientation qui fasse du syndicat “une arme puissante pour la révolution”, pour le renversement du capitalisme, contre tous les gouvernements bourgeois.

«Dans le duel capital contre travail, aucune grande organisation ouvrière ne peut demeurer neutre».

A l’époque de l’impérialisme, la lutte économique que menaient les syndicats pendant la période de développement pacifique du capitalisme doit devenir une lutte politique. Ne pas combattre pour cela, c’est accepter que les syndicats se transforment en organes d’asservissement des masses.


“Autogestion” et destruction des syndicats

La direction de la CGT, liée à celle du PCF, s’adapte aujourd’hui aux nouvelles exigences du capital. Ces exigences sont le produit de la situation économique : la crise qui s’annonçait au début des années 70 s’est considérablement accentuée : l’impérialisme français est pris à la gorge face à ses concurrents qui, bien que soumis à des difficultés, restent plus puissants (impérialismes allemand, japonais, américain...)

La bourgeoisie, l’Etat, les gouvernements bourgeois sont contraints pour défendre le taux de profit de faire baisser le pouvoir d’achat, de dégrader les conditions de travail et d’existence, de liquider progressivement les acquis sociaux de la population laborieuse. Tout en maintenant sa politique de division (semaine d’action CGT du 16 au 21 novembre 1992, avec un “temps fort nationale le 19 novembre”), la direction de la CGT reprend à son compte la politique auto-gestionnaire, celle de l’association capital-travail chère à l’église et à la CFDT.

“L’Humanité” du 26 octobre rend compte d’une conférence nationale du PCF tenue à Villejuif les 24-25 octobre sur le thème : “Renouveler l’activité du parti à l’entreprise”. Reprenant les mêmes éléments que ceux du congrès confédéral CGT, tout en se plaçant du point de vue du PCF, le rapporteur propose “d’aider notre peuple à changer la société en la dirigeant” et de combattre pour que :

«puisse s’affirmer l’idée d’une société qui se construit grâce à l’apport créateur de tous à la recherche de solutions neuves à leurs propres problèmes, qui accroissent jusqu’à l’autogestion les pouvoirs des individus, des salariés, des citoyens.»

Alors qu’il existait encore une majorité PS-PCF à l’Assemblée Nationale, l’appareil du PCF, celui de la CGT ont bouché toute issue politique à la classe ouvrière, faisant campagne pour exiger un référendum sur le traité de Maastricht, puis pour le vote NON aux côtés du RPR, sur une orientation ultra-nationaliste. Axés sur le retour au pouvoir du RPR et de l’UDF, ils préparent aujourd’hui le terrain pour tenter d’interdire toute expression indépendante de la classe ouvrière, fixant à la CGT et à ses représentants, la mission d’être, à tous les niveaux, aux côtés du patronat, de bons gestionnaires de “l’entreprise”.

Cette orientation ne peut aboutir qu’à la destruction de la CGT et de ses syndicats, en tant que syndicats ouvriers. C’est cela, le “nouveau syndicalisme” prôné par la bourgeoisie : il signifie des organisations réduites à des appareils payés par le patronat et l’Etat (chèque syndical, activité des dirigeants syndicaux comptant comme temps de formation pour leur avancement…) et en fin de course la destruction pure et simple des syndicats.

Plus que jamais, les militants ouvriers ont à combattre pour la défense des syndicats, leur départ de toutes les instances de collaboration avec la bourgeoisie et son Etat, ses gouvernements, de “participation”.

 

Le 8 novembre 1992.


III. -                    aux origines de la C.G.T.-F.O.

Un néo-syndicaliste de vieille souche


Troisième article de la série “La crise du syndicalisme”, celui-ci est consacré à la Confédération syndicale CGT-FO. Elle se proclame indépendante des gouvernements, de l’Etat et des partis, déclare qu’elle est la continuité du syndicalisme français, qu’elle puise à ses origines. Il est donc apparu nécessaire à CPS de remonter à ses sources, quitte à produire un article en trois parties, relativement long.

Au XVIIe congrès de FO (27-30 avril 1992), pour situer cette confédération, son secrétaire général actuel, Marc Blondel, s’est référé à Léon Jouhaux. Suivons le guide.

Léon Jouhaux a été élu secrétaire général de la CGT en juillet 1909. Il se réclamait alors du “syndicalisme révolutionnaire”. Mais dès les premiers jours d’août 1914, il est l’un des premiers à se prononcer pour “l’Union Sacrée”. Les minoritaires, qui s’opposaient à la guerre et à “l’Union sacrée”, ont résumé dans une formule le discours qu’il prononça à l’enterrement de Jaurès (4 août 1914) : «Armons-nous et partez.

Jouhaux ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Au Comité confédéral qui se réunit le 3 septembre, il annonce «qu’à la demande de Jules Guesdes il a accepté, à titre personnel, et sans engager la CGT, le mandat de Commissaire à la Nation» (Edouard Dolléans “Histoire du mouvement ouvrier”). Le 4 mars 1915, il prend la parole au cours d’un déjeûner-débat organisé par la “Fédération des Industriels et Commerçants Français”. Selon le journal qu’il contrôle, “La Bataille”, il explique :

«La presse a bien parlé de la conquête des marchés étrangers, je crois même qu’elle en a trop parlé, mais à de trop simples affirmations se sont bornés ses efforts… Lançons-nous dans la voie du progrès, c’est le secret de notre victoire économique qu’il nous faut réaliser sur nous-mêmes… La France est un pays riche en matières premières… Le capitalisme doit être guidé par l’unique souci de développer, dans le sens du bien général, son industrie. Il doit voir dans le travailleur son collaborateur auquel il doit donner une liberté grande, afin d’éveiller l’initiative, l’intelligence, le respect de sa dignité de producteur». Conclusion : «Que la souveraineté nationale, par une intelligente coordination des efforts, s’exerce sur le terrain de la production comme elle doit s’exercer sur le terrain de la politique intérieure et extérieure, et la France sera de nouveau placée à la tête de l’humanité.» Rapporté par Alfred Rosmer dans “Le mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale”.

Voilà un programme, servi tout chaud dès 1915, que ne renieraient pas les “néo-syndicalistes” d’aujourd’hui, un François de Closet ou la CFDT.


Un programme participationniste


En décembre 1918, après la révolution russe, alors que déferlait en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, une vague révolutionnaire, qu’une situation révolutionnaire apparaissait en Italie, qu’en Angleterre et en France même des mouvements allaient exploser au cours des années 1919-1920, le même cynisme n’était plus de mise. Aussi au Comité Confédéral National de la CGT, Jouhaux propose-t-il et fait-il adopter “Le programme minimum de la CGT”. Ce programme sera à la base de toute l’activité de la direction de la CGT avant et après la scission syndicale de 1921 jusqu’à la réunification de 1936. Dans son fond, le programme de la CGT de 1918-19 est “participationniste”. Ses principales revendications sont “les nationalisations industrielles”, “l’institution d’un “Conseil Economique et Social”. Dans son “Histoire du capitalisme française” publiée en 1945, Robert Bothereau, secrétaire de la CGT, écrit :

«Le programme minimum et les grèves — La guerre a donné au mouvement syndical une orientation nouvelle. L’habitude a été prise de rencontres avec les éléments patronaux de collaboration avec les pouvoirs publics. En 1917, le ministre de l’Armement avait fait une tentative d’organisation de délégations d’atelier. Le syndicalisme sortait de sa “pureté” d’avant-guerre, se haussait à une autre compréhension des problèmes sociaux, regardait d’un œil différent les questions économiques. Du Comité Confédéral National de décembre 1918 sortit un document qui fait date “le programme minimum de la CGT”. Il voulait “d’abord répondre aux aspirations légitimes du monde du travail et ensuite donner à l’action ouvrière un but déterminé et précis”. Il disait aux travailleurs : “Nous devons nous orienter vers une action positive et ne pas être seulement capable de faire une émeute de rues, mais bien prendre en main la direction de la production”. La CGT entendait donc “apprendre à la classe ouvrière le maniement des outils qui la libéreront”. Il fallait pour cela, tout en restant “attachés indéfectiblement à notre idéal” réaliser des réformes, mêmes partielles et par là “ préparer, ébaucher l’ordre nouveau vers lequel nous nous dirigeons”».

Le gouvernement s’étant refusé à constituer le “Conseil Economique et Social” que réclamait la direction d’alors de la CGT décida, au congrès de Lyon en 1919, de former un Conseil Economique du Travail qui :

« fut inauguré le 8 janvier 1920. Il était créé avec la participation de la CGT, de la Fédération des Fonctionnaires et de l’Union Syndicale des Techniciens. Il entendait pallier la carence du pouvoir en établissant un large plan d’organisation économique basé sur des “nationalisations industrialisées (nationalisations mais surtout pas expropriations, NDLR), forme de gestion confiée de façon tripartite à la collectivité (pouvoirs publics), aux producteurs (salariés et techniciens) et aux consommateurs.

On a pu faire justement ressortir l’importance de cette création. Elle confirmait la volonté constructive du syndicalisme qui, du même coup, abandonnait l’idée d’une gestion de l’économie par les ouvriers exclusivement. Très en avance sur son temps, elle contenait en germe, les principes du planisme dont nous aurons à parler plus loin».

poursuit, Robert Bothereau qui devait devenir, en 1948, le premier secrétaire général de la CGT-FO. S’il ne s’agit pas là d’une ouverture vers la co-gestion, les mots ne veulent plus rien dire. A quoi il faut ajouter que la direction de la CGT adhérait au Bureau International du Travail (BIT).


La voie de “l’émancipation de la classe ouvrière”, selon jouhaux


Le même Robert Bothereau écrit plus loin :

(en 1923) «Un nouveau Conseil économique allait naître, officiel celui-ci. Le gouvernement s’inspirant d’une idée jadis repoussée par Clémenceau, confia au ministre du travail le soin de réunir une Commission préparatoire. Un projet fut établi par elle. Il servit de base au décret du 16 janvier créant un Conseil National Economique.

Dès 1924, la CGT décidait, à l’appel de Jouhaux, de participer à l’organisme en formation. “Le Conseil Economique sera ce que la classe ouvrière voudra qu’il soit. Le Conseil Economique n’en est encore qu’à sa forme embryonnaire… Si la classe ouvrière comprend enfin que c’est un premier échelon de son émancipation, que c’est une construction nouvelle qu’il faut développer, que ce sont là des droit nouveaux qu’il faut étendre, alors on peut avoir l’espérance et la certitude que le Conseil Economique ne sera ni une duperie, ni une illusion”» (Rien d’étonnant à cela. Dès 1918, lui et la majorité confédérale n’avaient-ils pas réclamé “l’institution d’un Conseil Economique National aidé par les Conseils Economiques Régionaux”).

Le Conseil National Economique fut, à l’origine, composé de quarante sept membres, choisis parmi les représentants qualifiés du capital, du travail et de la consommation. Par la suite sa composition fut remaniée, élargie, et ses pouvoirs étendus. Il devait plus tard les détenir d’une loi et non d’un simple décret.»

Sur cette ligne, la direction d’alors de la CGT devait élaborer en 1934 le “Plan de Rénovation économique et social de la CGT” lequel, prétendait-elle, était une réponse à la crise économique.

«(Il) affirme tout d’abord et sans ambiguïté une opposition irréductible à toute politique de déflation. Il contient au surplus deux idées principales : l’intégration du Conseil National Economique dans les rouages constitutionnels du pays ; la direction du crédit, la nationalisation et le contrôle des banques.»

commente Robert Bothereau.


scissions et réunifications


Au congrès d’Orléans (27 septembre-2 octobre 1920), la minorité révolutionnaire, regroupée dans les Comités Syndicalistes Révolutionnaires, n’obtenait que 691 mandats, la majorité jouhautiste 1482. Au congrès de Lille, l’année suivante, les minoritaires obtiennent 1325 mandats et les majoritaires 1572. L’afflux d’adhérents à la CGT a profité surtout à la minorité. Dès lors son sort est scellé : elle est exclue de la CGT par un détour, le CCN interdit d’appartenir à la fois à la CGT et aux CSR.

La minorité forme la Confédération Générale du Travail Unitaire (CGTU). Mais le courant révolutionnaire est hétérogène, d’importantes ruptures se produisent. D’un autre côté, la bureaucratie du Kremlin s’affirme en URSS, se soumet l’Internationale Communiste et les PCF. Rapidement la CGTU devient un instrument qu’utilise l’appareil stalinien.

En 1935, la CGT et la CGTU participent au Front Populaire. A ce moment, la politique stalinienne consiste à dresser le “front des démocraties” contre Hitler. Le PCF s’est drapé de bleu, blanc, rouge et les dirigeants apprennent aux militants à chanter la Marseillaise. La CGTU emboîte le pas. Un obstacle à l’unité CGT-CGTU tombe. De plus les masses en mouvement veulent la réunification. En septembre 1935 des congrès préparent la réunification qui deviendra effective au congrès de Toulouse (2-4 mars 1936). Les jouhautistes conservent la majorité. Jouhaux reste secrétaire général. Robert Bothereau tire le bilan suivant :

«Malgré les déceptions faisant suite à d’immenses espérances qui auront marqué les années 1936 à 1939, le bilan n’en est pas purement négatif. Sur le plan matériel les ouvriers acquirent des satisfactions temporaires de salaires et de durée de travail. Sur le plan des rapports directs avec le patronat, ils auront établi une collaboration par les délégations d’atelier et les conventions collectives. Sur le plan social ils auront enregistré une certaine satisfaction par la pratique des congés payés. Sur le plan qu’on peut qualifier de “professionnel” ils auront échappé aux lois de la lutte brutale (traduire : de la lutte des classes, NDLR) par la conciliation et l’arbitrage obligatoires. Sur un autre plan ils se seront enrichis d’une profitable expérience en découvrant qu’un acquis social reste forcément précaire, s’il n’est pas étayé par d’indispensables réformes de structure (en d’autres termes, la co-gestion, NDLR). On peut croire que cette expérience leur sera profitable pour l’avenir.»

Décidément, la CFDT n’a pas eu grand chose à inventer.

L’”Unité” retrouvée va subir les vicissitudes du “Front Populaire”. Elle va se rompre à nouveau à la suite du pacte Hitler-Staline d’août 1939. Les militants et dirigeants de la CGT qui restent fidèles au PCF et à Staline sont exclus de la CGT par la majorité confédérale.

Une nouvelle réunification se réalise à la suite d’un accord signé au Perreux, le 17 avril 1943, entre deux représentants des jouhautistes, Bothereau et Saillant, et deux des staliniens, Henry Raynaud et Tollet. Au lendemain de la “Libération” les staliniens sont largement majoritaires au sein de la CGT et leur appareil la contrôle étroitement. Dans son “Histoire du mouvement ouvrier” Edouard Dolleans glisse la note suivante se rapportant au congrès d’avril 1946 de la CGT, premier congrès d’après la guerre :

«Rapport d’activité de la CGT — “Le Peuple, 9 avril 1946”. Benoît Frachon, après avoir exposé l’action de la CGT dans la clandestinité aborde le problème de la production : “C’est dès le lendemain de la Libération que le bureau confédéral s’est mis à la tête d’une campagne publique pour la reconstruction et a dénoncé les saboteurs et les freineurs. Il a appelé les ouvriers à fournir un effort sans cesse accru… Gagner la bataille de la production lui apparaissait dès ce moment aussi important que de gagner la bataille de la Libération. Dans toutes les régions et dans toutes les professions, les syndicats se sont donnés à la bataille de la production et un hommage doit être rendu à leurs efforts”.»


la classe ouvrière trouble le jeu

A ce congrès le slogan du moment était réaffirmé : “Produire d’abord, revendiquer ensuite”. Jouhautistes et staliniens étaient d’accord. Le nouveau bureau confédéral majoritairement stalinien, comprenait Bothereau, de Neumayer, Delamare, Bouzanquet, amis de Jouhaux. Benoît Frachon et Léon Jouhaux étaient confirmés comme secrétaires généraux conjoints de la CGT. Mais bientôt l’appareil de la CGT a été confronté à l’irruption de grèves : du 30 juillet au 3 août 1946 grève des postiers ; 8/15 février 1947 grève dans la presse ; à partir du 25 avril grève chez Renault en dépit de l’opposition de l’appareil stalinien qui tente de la briser avant d’appeler à un débrayage le 29 avril pour la contrôler et consentir à la grève générale de Billancourt, tout en déformant la revendication de 10 frs de l’heure en prime de production. Ne voulant pas désavouer officiellement cette grève, les ministres du PCF sont exclus du gouvernement Ramadier. A signaler que le Conseil National Economique reconstitué, le 16 avril 1947, Jouhaux en devient le président.

Au mois de juin 1947 les grèves se multiplient. Le 8 juillet un accord est conclu entre le CNPF et la direction de la CGT, que signent conjointement B. Frachon et L. Jouhaux, sur les salaires mais toujours sur la ligne du “produire, produire”. Le 1er août, le CNPF et la direction de la CGT s'accordent pour que soit attribuée aux travailleurs une augmentation des salaires de 11 %. Des grèves vont se poursuivra, jusqu’à celle de la RATP du 14 au 21 octobre, qui, pour être reprises en main par l’appareil de la CGT, n’en sont pas moins contradictoires à la politique du PCF, lequel affirme rester “un parti de gouvernement”.


valets du kremlin… valets de l’impérialisme


Mais la guerre froide a commencé. Le 27 septembre au cours d’une réunion des directions des PC européens qui se tient en Pologne, le Kominform est constitué. Les 8 et 9 novembre se tient une conférence nationale des militants de la tendance “Force Ouvrière” qui se prononce contre la “politisation” du syndicalisme français. A la mi-novembre, la direction de la CGT lance cette fois et organise des vagues successives de grèves massives qui déferlent jusqu’au 9 décembre, jour où le “comité central de grève”, que la direction stalinienne de la CGT a formé le 28 novembre, appelle à la reprise du travail. Les motifs revendicatifs (minimum vital mensuel à 10 800 frs) ne sont qu’un paravent derrière lequel se cache le PCF. Il s’agit de faire pression sur le gouvernement Schuman pour qu’il ne participe pas au Plan Marschall.

Le 19 décembre 1947, réunie en conférence nationale, la tendance FO décide de quitter la CGT. Cinq membres du bureau confédéral dont Jouhaux et Bothereau donnent leur démission de la CGT. Les 12 et 13 avril 1948 se tient le premier congrès de la CGT-FO. Léon Jouhaux en est élu président et Robert Bothereau secrétaire général. Le 28 mai se constitue un cartel interfédéral CGT-FO. Les causes de la scission ont été totalement étrangères aux intérêts de la classe ouvrière. D’un côté le PCF et l’appareil de la CGT ont agi en valets de la bureaucratie du Kremlin, de l’autre l’appareil FO, les Jouhaux et Bothereau, ont agi en valets de la coalition impérialiste. Détail peut-être, mais significatif : le 5 novembre 1951 Léon Jouhaux reçoit le prix Nobel de la paix.


une centrale syndicale ouvrière liee à la société et à l’état bourgeois

La confédération CGT-FO n’en est pas moins une centrale syndicale ouvrière. Son origine c’est le mouvement ouvrier, la lutte de la classe ouvrière pour construire ses organisations, ses syndicats. Elle est une des trois branches qui ont résulté de l’éclatement en 1947 de la CGT réunifiée : la CGT, la CGT-FO, la FEN, récemment détruite par la politique qu’ont pratiquée ses deux grandes tendances “Unité Indépendance et Démocratie” et “Unité et Action”.

Ce n’est pas le cas de la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT). Cette dernière est un surgeon de la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC) qui a été constituée, en 1919, officiellement et ouvertement par les “Chrétiens sociaux” à partir des encycliques papales, mais qui n’est pas parvenue à s’implanter en profondeur dans la classe ouvrière française et à y avoir une influence de masse. En 1964, la tendance “Reconstruction” a gagné la majorité au sein de la CFTC. Elle ne le put qu’autant qu’une partie importante de la hiérarchie catholique l’impulsait. Elle rebaptisa la CFTC qui devint la CFDT (une partie des anciens dirigeants maintinrent la CFTC). Ainsi disparaissait la référence chrétienne. La CFDT a radicalisé son langage et accouché de la théorie de “l’auto-gestion”. L’appareil stalinien de la CGT lui a fait la courte échelle en signant en 1966 “un pacte d’unité d’action”. Ultérieurement, comme le PS, le PCF devait se réclamer, lui aussi, de “l’auto-gestion”. Cependant, en 1980, la CFDT a procédé à un “recentrage”, c’est-à-dire a abandonné son anti-capitalisme de façade. Elle allait s’impliquer totalement dans la politique des différents gouvernements qui se sont succédés depuis 1981.

Le but de cette parenthèse est de souligner la différence d’origine et de nature entre la CGT-FO et la CFDT. Il faut ajouter que si la scission de 1947-48 fut réalisée par des appareils dont l’un était lié et dépendant de la bureaucratie du Kremlin, l’autre à l’impérialisme, pour nombre de militants ouvriers authentiques la politique de l’appareil stalinien et ses variations, ses méthodes, le spectre du stalinisme, étaient devenus insupportables. Pour des motifs différents de ceux de l’appareil FO ils ont voulu la scission, y ont poussé et ont donné des bases à la CGT-FO. D’autre part le libéralisme formel servant d’alibi démocratique à l’appareil FO, a permis à des groupes “révolutionnaires” de s’insérer dans la confédération et ses syndicats, souvent avec la bienveillance de cet appareil.

Néanmoins la tradition de l’appareil de FO est celle des Jouhaux et des Bothereau. Il est indissolublement lié à la société et à l’Etat bourgeois. Sous le prétexte d’anti-stalinisme il est foncièrement anti-communiste et contre-révolutionnaire. En fait toutes les fois qu’il a été nécessaire il a pactisé avec l’appareil stalinien pour faire barrage au mouvement des masses et le disloquer : 1936-38, 1943-47, 1953, 1968… Et en combien d’autres occasions. L’anti-communisme cimente sa politique systématique de division de la classe ouvrière, se dressant en obstacle à la réalisation du Front Unique des organisations ouvrières. Son “indépendance” proclamée “vis à vis des partis, des gouvernements et de l’Etat” ne l’a pas empêché de collaborer étroitement avec les gouvernements et partis au pouvoir de 1947 à 1981, ni de participer à tous les organismes d’Etat ou non qui associent les syndicats à l’élaboration, voire à l’application de la politique gouvernementale, pas plus que son anti-cléricalisme ne l’a dissuadé de signer maints accords au côté de la CFDT et de la CFTC, de s’engager avec elles dans maintes coopérations. Ce sont des sujets sur lesquels CPS reviendra ultérieurement.

IV. -                     F.O. des “trente glorieuses” à la crise économique

“grain à moudre” et trahison


De 1950 à 1975 environ, une situation favorable à la politique de FO s’est développée. Les “trente glorieuses” ont été des années de forte accumulation capitaliste et de hauts taux de profit dans les pays impérialistes. Comme devait le dire Bergeron, qui a succédé en 1963 à Robert Bothereau au poste de secrétaire général de la confédération : «il y avait du grain à moudre». Le patronat était à nouveau en mesure de faire des concessions à la classe ouvrière. La loi du 11 février 1950 a consacré cette situation. Elle a rétabli la libre discussion et conclusion dans le secteur privé de conventions collectives négociées entre les syndicats ouvriers et les organisations patronales. Ces conventions collectives, les accords conclus sont applicables même s’ils sont signés par des syndicats minoritaires. Pour FO cette loi aura été la planche de salut de l’activité syndicale, car elle rend possible la “négociation paritaire”, la “politique contractuelle”.

Dans le rapport écrit préparatoire au XVe congrès confédéral de FO, qui s’est tenu du 20 au 23 novembre 1984, premier congrès depuis l’élection de Mitterrand à la présidence de la République et d’une majorité de députés du PS et du PCF à l’Assemblée Nationale, il est dit que rien qu’entre 1968 et 1983, il y a eu 19 539 conventions de signées dont 11 015 portant aussi sur les salaires, cela dans le secteur privé. Il est ajouté :

«Le bilan des résultats de cette loi du 11/2/1950 serait bien incomplet si nous n’évoquions pas les développements qu’elle a, en quelques sorte induits, dans des domaines autres que ceux traditionnels de la négociation en matière de salaires et de conditions de travail.

Au fil des années, des conventions à caractère national inter-professionnel ont pris naissance assurant une protection sociale collective de plus en plus réelle aux salariés…

- l’assurance complémentaire chômage

- l’accord sur les retraites complémentaires

- l’accord sur les congés payés

- l’indemnisation du chômage partiel

- l’accord sur la garantie de salaire en cas de licenciement pour raisons économiques

- l’accord du 17/3/1975 sur les conditions de travail

- l’accord du 13/7/1977 sur la garantie des ressources

- l’accord sur la mensualisation

- les accords sur les problèmes de l’emploi, de la formation professionnelle et permanente, des conditions de travail.

La négociation paritaire a intéressé de proche en proche des secteurs qui, de par la tradition, et même la loi, lui échappaient :

- les fonctionnaires de l’Etat, les agents de collectivités locales et des établissements publics et les agents des entreprises nationalisées.

En témoignent :

- les conventions passées par la Caisse Nationale des Assurances Maladie (CNAM) avec les professions de santé

- les accords collectifs dans les rapports des groupements de producteurs agricoles et les organismes d’acheteurs

- les accords paritaires dans le domaine du logement social.»

Cette longue énumération exigerait une analyse point par point, pour séparer le bon grain de l’ivraie. Cependant il n’est pas question de nier que depuis la “Libération”, la situation économique et sociale de la classe ouvrière se soit améliorée de façon importante, au moins jusqu’à 1975-80. Mais l’appareil de FO (comme les autres appareils syndicaux) est vraiment sans vergogne. Ce ne sont pas les “négociations” avec le patronat et l’Etat, “la politique contractuelle” qui sont à l’origine des acquis que les travailleurs ont arrachés, mais la lutte de classe du prolétariat, sur le fond d’une sorte d’été de la Saint-Martin du régime capitaliste. Or, cette lutte de classe, l’appareil FO l’a constamment trahie. Pour ne prendre que quelques exemples : il a poignardé la grève générale d’août 1953, des travailleurs de la fonction et des services publics que ceux-ci avaient réalisée spontanément, en concluant un misérable accord séparé avec le gouvernement Laniel ; conjointement avec les autres appareils, il a liquidé la grève générale, de mars-avril 1963 (imposée par les mineurs) au prix d’un misérable accord contre lequel se sont dressés les mineurs mais qu’ils ont dû subir (11 % d’augmentation des salaires alors que l’enjeu était l’avenir de cette corporation) ; de la même façon, conjointement avec leurs “collègues” de la CGT, les dirigeants FO ont liquidé la grève générale de mai-juin 1968, qui posait la question du pouvoir, en “négociant” et en faisant leurs les “accords de Grenelle” qui n’apportaient que des miettes à la classe ouvrière.


L’épisode du référendum du 27 avril 1969

Dans son introduction au rapport préparatoire au XVIe congrès confédéral (31 janvier-3 février 1969) André Bergeron se rengorgeait :

«L’annonce du référendum a coïncidé avec le Congrès confédéral de mars 1969. D’entrée de jeu, dans mon exposé introductif, du haut de la tribune de la grande salle de la Mutualité, j’ai demandé aux délégués des syndicats de prendre nettement position pour le “Non”…

… A mon avis, la décision du Congrès Confédéral de 1969 restera un des actes les plus importants de l’histoire de la Confédération au cours de ce dernier quart de siècle. Si le référendum avait été positif, le mouvement syndical aurait été acculé à des choix que certes nous aurions faits, mais qui l’aurait plongé dans un contexte particulièrement difficile. Heureusement il ne l’a pas été. Nous y avons d’autant plus été pour quelque chose, qu’ayant pris position les premiers, nous avons créé un climat qui en a amené d’autres, qui étaient hésitants, à se prononcer dans le même sens.»

De Gaulle soumettait à un référendum un projet qui devait faire franchir au régime un pas considérable vers le corporatisme : un Sénat économique devait remplacer et le Sénat dans sa définition et ses fonctions traditionnelles et le Conseil Economique et Social.

«(Il) devait à l’origine n’être consulté que sur les projets de loi d’ordre économique et social. Mais on s’est très vite aperçu qu’il était pratiquement impossible de séparer ces questions de celles relevant de la politique générale du pays (militaire, par exemple). Des conseils régionaux réunissant les délégués des collectivités locales, des conseils généraux et municipaux et ceux des activités économiques et sociales des régions devaient également être dotés de pouvoirs étendus.» (André Bergeron).

Par voie législative devait être définie la “participation dans l’entreprise”.

André Bergeron motive ainsi la position que prend la confédération :

«Le mouvement syndical devra, en effet, sans cesse veiller à ne pas se laisser déporter du stade de la consultation à celui de la co-décision… Nous avons toujours été et nous demeurerons attachés à la “politique de présence”. Mais nous devons sans cesse être attentifs à na pas franchir la frontière entre les participations nécessaires à la défense des intérêts des salariés (sic) et celles qui engageraient le mouvement dans des voies dangereuses ne serait-ce qu’en détournant les militants de leurs tâches essentielles d’animation, de propagande et de recrutement.»

L’appel de la confédération FO à voter “non” a eu sans aucun doute un effet positif et a contribué de façon importante à la défaite de De Gaulle. Toutefois il importe de rappeler que quelques mois après mai-juin 1968 une grande partie de la bourgeoisie estimait que le moment était mal choisi pour faire un grand pas vers le corporatisme. Elle estimait même que le maintien de De Gaulle au pouvoir n’était pas nécessaire. André Bergeron en témoigne :

«Tout le monde (le monde bourgeois, bien entendu, NDLR) avait mis le général en garde. Georges Pompidou était des plus réservé.»

De son côté Giscard d’Estaing affirme que «avec regret mais avec certitude» il n’approuvera pas le projet de loi. Ce sont des prises de positions qui n’ont pas été pour rien dans la détermination de l’appareil confédéral de Force Ouvrière.


La politique dite de présence

Par contre, la confédération se rue vers les organismes de participation que la Ve République essaime. Dans l’introduction à une brochure de la minorité “Lutte de classe” relatant les interventions de différents militants à la tribune du IXe congrès confédéral CGT-FO, qui s’est tenu du 13 au 16 avril 1966, on lit :

«Les démarches du pouvoir politique et étatique sont jalonnés, au fil des ans, par autant de mesures qui resserrent de plus en plus les mailles du filet sur l’ensemble de l’activité économique, sociale et politique du pays.

La réforme administrative, le Ve Plan ; la réforme Fouchet ; les procédures Grégoire ; la réforme des Comités d’entreprise ; l’installation des CODER ; le Conseil Supérieur du Plan, et ce qu’il implique de participation des militants syndicaux aux Commissions du Plan ; la création, encore toute récente, d’une Commission dépendant directement du Premier Ministre, chargée de la politique des revenus ; toutes ces institutions et tous ces organismes sont déjà en place, et M. de Gaulle informa, à Lille, qu’il n’avait pas abandonné un projet, qualifié de “vieux” par certains qui, en fait, résume et synthétise toutes les mises en place précédentes ; la fusion du Conseil Economique et Social avec le Sénat, c’est-à-dire l’instauration d’une Chambre corporative».

La résolution qu’ils déposèrent demandait :

«Le congrès résolu à combattre toute politique d’intégration du syndicalisme dans l’Etat décide le retrait des représentants de la CGT-FO, des organismes nationaux et régionaux de planification de l’Etat (Conseil supérieur du Plan et Commissions du Plan, CODER, Comités d’Expansion) et condamne les procédures Toutée et les commissions Grégoire en tant qu’instrument d’exécution du plan.»

Bien entendu l’appareil de FO et Bergeron condamnèrent cette orientation. Ils y opposèrent “la politique de présence” qu’ils poursuivirent avant comme après le référendum du 27 avril 1969.


FO et les contrats de progrès de Chaban Delmas-Pompidou


De Gaulle démissionnaire, Pompidou élu président de la République forme le gouvernement Chaban Delmas. Le thème central de ce gouvernement sera : “former la nouvelle société”. C’est une nouvelle voie en direction de “l’association capital-travail” que veulent tracer Pompidou et Chaban Delmas. “La Vérité” n° 558 en date d’octobre 1972 explique :

 


Le gouvernement Pompidou-Chaban Delmas s’est efforcé de codifier les rapports entre la classe ouvrière, le patronat et l’Etat en définissant ce qu’il a appelé les « contrats de progrès ». Rappelons les grandes lignes de cette politique.

« Contrats de programme » et « contrats de progrès »

Les industries nationalisées, les entreprises publiques, les services publics obtenaient « l’autonomie de gestion » après avoir conclu avec le gouvernement des « contrats de programme ». Le but de ces « contrats de programme » était de « rationaliser », de « rentabiliser » les entreprises et les services publics. En même temps, les directions de ces entreprises devaient négocier et conclure des « contrats de progrès » avec les syndicats. Les dits « contrats de progrès », à partir d’une augmentation déterminée de la « masse salariale » en fonction des gains de productivité réalisés par l’entreprise et de l’accroissement du produit national brut, répartissaient les augmentations de salaire en les étalant sur une année. Les « contrats de progrès » devaient être « pluri-annuels ». Les organisations syndicales signataires s’engageaient à ne pas appeler à la grève à propos des problèmes considérés comme réglés par le « contrat de progrès », sauf à le dénoncer ; mais une grève ne pourrait être alors être déclenchée avant un délai de trois mois. L’application de cette politique dans les entreprises et les services publics devait, selon le gouvernement, entraîner l’application d’une politique similaire dans le secteur privé.

En décembre 1969, le premier « contrat de progrès » fut signé entre la direction de l’EDF et les syndicats à l’exception de la CGT. Chaban-Delmas célébra cet événement par des cris de triomphe.

Les dirigeants de FO et de ses fédérations ont participé totalement et activement à la mise sur pied des “contrats de progrès” comme ils avaient de 1963 à 1967 plongés dans les commissions Toutée et Grégoire. Ces dernières avaient inauguré la programmation annuelle, avec la collaboration des organisations syndicales, de l’augmentation des salaires des travailleurs de la fonction et des services publics. La conclusion en était des accords salariaux ce qui jusqu’alors n’existait pas dans ces corporations. C’est à cela que fait allusion le point de la liste mentionnée plus haut : «La négociation paritaire a intéressé de proche en proche, des secteurs qui, de par leur tradition, et même la loi, lui échappaient : - les fonctionnaires de l’Etat, les agents des collectivités locales et des établissements publics et les agents des entreprises nationalisées». Ultérieurement les “contrats de progrès” ont été plus prosaïquement appelés “contrats salariaux” mais leurs bases sont restées les mêmes : masse salariale, productivité de l’entreprise, croissance du PIB. Rares sont les “contrats” que les fédérations FO n’ont pas négociés et signés. Il est vrai que la lutte de classe des travailleurs concernés a, très souvent, fait éclater les limites que ces “contrats” voulaient imposer. Tout au moins tant que la crise n’a pas frappé de plein fouet le capitalisme français.


Après les “trente glorieuses”


La pratique politique de FO, la gestion de maints organismes, avec l’accord du patronat et souvent du gouvernement (par exemple de la SS, de l’UNEDIC et des ASSEDIC, de multiples caisses de ceci et de cela, d’organismes multiples et divers) baptisée bi-partisme, a engendré dans FO une faune considérable de “gestionnaires”, de “permanents sociaux” (la CGT à sa propre faune, mais venant surtout de la gestion des comités d’entreprises). Elle a enraciné encore plus profondément que précédemment l’appareil de FO dans la société bourgeoise, tissé mille liens nouveaux entre lui, le patronat, l’Etat bourgeois et ses structures.

Mais dès 1976, “le grain à moudre” se fait rare. La crise économique est là. Le rapport préparatoire au XVIe congrès de FO (31 janvier-3 février 1989) le dit explicitement :

«En France, le premier coup de frein à la libre négociation des salaires intervenait lors de la mise en place du “Plan de redressement économique” arrêté en 1976 par Monsieur Raymond Barre.

Ce freinage ne devait plus s’arrêter. On assistait même en juin 1982 à un blocage pur et simple des salaires et des prix et, fait sans précédent, à la suspension de l’application des dispositions de la loi du 11 février 1950.»

“La Vérité” n° 575 datée de février 1977 rappelait :


« Au contraire de ce qui a souvent été écrit, le gouvernement Giscard-Barre ne répudie pas la politique des contrats salariaux. Il veut qu'elle soit rigoureusement appliquée.

A plusieurs reprises Giscard, Barre, Beullac l'ont réaffirmé en termes similaires à ceux que Raymond Barre utilisait le 15 décembre au cours de l'émission « C'est‑à-­dire », sur « Antenne 2 » :

Je « souhaite un retour aux sources de la politique contractuelle », que « dans le secteur public on en revienne à des contrats qui tiennent compte de la situation économique générale et de la situation dans l'entreprise... Lorsque les circonstances s'amélioreront, il sera possible de revenir à la progression du pouvoir d'achat ».

Le 21 décembre, il reprenait devant des journalistes de la presse économique : cette politique a « connu une déviation indiscutable à partir de 1971, lorsque des avenants aux contrats conclus ont instauré une progression automatique du pouvoir d'achat quelles que soient la situation de l'entreprise et celle de l'économie nationale.

« Pour 1977, il n'est pas exclu qu'en fin d'année, et en fonction des résultats de la politique de lutte contre l'inflation, une éventuelle progression du pouvoir d'achat puisse être consentie au profit des catégories de revenus les moins favorisés. Par ailleurs, le gouvernement ne fait aucune objection à ( ... ) des accords nouveaux prévoyant une progression conditionnelle du pouvoir d'achat en fonction de l'évolution globale des prix et de la productivité de l'entreprise. Le gouvernement souhaite également que les procédures de discussion se déroulent normalement cette année dans le secteur public. »

Barre veut ramener la politique des « contrats salariaux » à ses « principes » initiaux : la subordination des salaires des travailleurs à la prospérité de l'entreprise et de l'économie capitaliste. Selon lui, les principes de productivité sont bons, il faut les garder, mais réduire les augmentations nominales de salaires qui, elles, sont trop élevées. »

Au gouvernement Barre a succédé le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau. Compte tenu de la place qu’occupent les militants d’origines chrétiennes, JOC et autres, dans ce gouvernement, de l’orientation de la politique de “relations sociales” que les lois Auroux ont concrétisée, ses appuis syndicaux furent surtout la CFDT, la CGT (participation au gouvernement du PCF oblige), la FEN. Les rapports entre Bergeron, l’appareil de FO et les gouvernements précédents étaient détendus, sinon chaleureux. Ils furent tendus sinon hostiles entre eux et les gouvernements Mitterrand. Bergeron lui-même en témoigne. Dans son rapport préparatoire au XVe congrès de FO, il rappelle :

«Et puis, on a introduit les communistes au gouvernement. A l’unanimité, le Bureau Confédéral a voté la déclaration dont les militants se souviennent. Avant de la publier, le 24 juin 1981, vers dix-sept heures, les principales Fédérations et Unions avaient été consultées. A de très rares exceptions près, leurs responsables ont donné leur accord. Certes il y a eu des hésitations. Elles étaient compréhensibles à quelques semaines seulement du changement politique.

La Confédération ne pouvait demeurer muette étant donné ses origines et son histoire. Le Bureau Confédéral a donc déclaré : “Nous sommes respectueux des institutions de la République qui donnent au Président et au Premier ministre la responsabilité de constituer le gouvernement de la France. S’agissant de la participation des communistes, nous exprimons, avec solennité, et pour l’histoire, notre désaccord. Cette réaction ne repose pas sur des considérations de politique électorale. Elle est fonction de l’attachement de Force Ouvrière aux grands principes qui ont été autrefois — et qui continuent d’être — à la base de sa constitution et que les communistes ont bafoués partout où ils sont parvenus au pouvoir”. Il ne sera pas fait d’autres commentaires.

Quelques instants après la publication du document — lequel a été un sacré pavé dans la mare — Pierre Bérégovoy, alors Secrétaire général de l’Elysée a demandé au Secrétaire général si c’était la guerre. “Non, lui a-t-il répondu, c’est la morale !”.

C’est bien en effet de cela qu’il s’agit. La suite a montré que nous ne nous sommes pas trompés».

Par contre, la participation au gouvernement d’organisations bourgeoises, d’hommes politiques membres du personnel politique de la bourgeoisie, n’ont jamais choqué Bergeron et FO et il n’a jamais hésité à s’entendre avec des gouvernements dirigés par le RPR, ou avec les présidents Pompidou et Giscard.


Tension entre les gouvernements de l’etape Mitterrand et FO


Au cours des années 1981 et 1982 et suivantes, la crise du régime capitaliste s’est accentuée. Elle a frappé durement le capitalisme français. Le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau et ses suivants ont accentué l’offensive économique contre la classe ouvrière et l’ont développée tous azimuts. Les relations quasiment d’opposition entre l’appareil FO (opposition de sa majesté cependant) et le gouvernement de “l’Union de la Gauche” ont valu un important succès remporté par cette confédération aux élections (19/10/83) des administrateurs du collège des prestataires à la Sécurité Sociale, environ 25 millions d’inscrits. Les résultats ont été les suivants :



nombre de voix

% votants

% des inscrits

nombre sièges

cgt

3 959 049

28,17

15,6

577

fo

3 550 147

25,56

14

500

cfdt

2 583 016

18,38

10,32

374

cgc

2 234 377

15,90

8,92

268

cftc

1 727 674

12,29

6,88

261

 

Le collège électoral comprenait la classe ouvrière, mais allait bien au-delà puisqu’il englobait tous ceux ressortissants de la SS. Toutes les présidences de caisses sont revenues aux administrateurs FO, grâce aux votes des administrateurs patronaux. C’est dire les relations existantes entre l’appareil FO et le patronat et la nature de son “opposition” au gouvernement. Cependant, ce succès a assuré un triomphe au XVe congrès de FO, à André Bergeron dont le rapport d’activité a été voté par 92,72 % des mandats. L’objectif alors affirmé était que FO devienne la première des centrales syndicales ouvrières.

Mais le XVIe congrès s’est déroulé dans une atmosphère de crise. Sans doute la décision d’André Bergeron de ne plus demander le renouvellement de sa fonction de secrétaire général de Force Ouvrière y a été pour quelque chose : une lutte à couteaux tirés entre les prétendants à sa succession et leur entourage réciproque était inévitable. C’est ce qui s’est passé bien que Blondel et Pitous n’aient pas pris une seule fois la parole devant le congrès. Mais derrière cet affrontement il y avait une crise profonde de FO. Que cette fois le rapport moral et d’activité de Bergeron n’ait obtenu que 63,53 % des mandats témoigne de cette crise. En témoigne aussi le fait que le Comité Confédéral National ait élu Blondel secrétaire général à la place de Bergeron alors que Pitous était le candidat de ce dernier.


“Les revendications du patronat


La cause de cette tension est facile à diagnostiquer : la crise économique et ses conséquences — l’offensive anti-ouvrière tous azimuts — a déstabilisé FO. Non seulement il n’y avait plus de “grain à moudre” mais la “politique contractuelle” ne pouvait plus fonctionner qu’à partir des “revendications du patronat”. Aux centrales, fédérations syndicales, aux syndicats de faire des “concessions” au patronat, la logique du régime capitaliste en crise l’exigeait. Et FO, comme la CGT, la FEN a plongé. Dès le 17 juillet 1981 en compagnie de la CGT, de la CFTC, de la CFDT, de la CGC, FO signait avec le CNPF un accord national : sous prétexte d’officialiser la cinquième semaine de congé (déjà acquise par l’ensemble des travailleurs), au nom du donnant-donnant, les confédérations ont ratifié les premières dispositions allant dans le sens de l’établissement de la flexibilité du travail.

Le bouquet ce fut la conclusion, le 16 décembre 1984, entre le CNPF, les négociateurs FO, CFDT, CFTC, CGC, d’un accord sur la flexibilité de l’emploi. Faesch, dirigeant de la délégation FO, membre du bureau confédéral, annonçait, en accord avec Bergeron, que la confédération signerait. De son côté, la direction de la CGT dénonçait cet accord en le caractérisant de capitulation devant le CNPF. Et en effet ce l’était. Voici l’analyse qu’en a fait le n° 1 de CPS, janvier 1985 :

«D’un point de vue juridique, cela signifie revoir un tiers au moins de l’actuel code de travail. Il s’agit de revenir sur les garanties de base obtenues par les travailleurs en 1936, enrichies par la suite. Garanties concernant la journée de 8 heures, la semaine de 40 heures, la rémunération des heures supplémentaires, du travail de nuit, du travail le dimanche, la réglementation du travail féminin. Tout cela est remis en cause par le fait de compter la durée du travail annuellement.

L’autre grand volet du protocole concerne le contrat de travail. En clair, il s’agit de généraliser le travail précaire, contrat à durée limitée, reconductible sans aucune garantie. Extension du travail à temps partiel, Facilités accrues de licenciements. Diminution de la représentation ouvrière (élévation des “seuils” pour l’élection des délégués du personnel). Autre nouveauté significative : la mise au point définitive de l’accord devrait être tout à fait “décentralisée”, branche par branche, entreprise par entreprise. Ici s’exprime la volonté de dissoudre, de disloquer la notion de contrat collectif, de convention collective.»


Sursaut contre cette politique


L’annonce que la direction de FO se préparait à signer ce texte a provoqué un véritable tremblement de terre dans la confédération, y compris à un niveau élevé de l’appareil, signer ce texte est apparu comme porter un coup destructeur à FO, aux effets insurmontables, d’autant plus que la CGT le dénonçait. Par contre, la CFDT avait émis un avis favorable. Après de longs palabres au bureau confédéral, le 21 décembre, A. Bergeron, fort ému, annonçait que FO ne signerait pas ce protocole. Dès lors la CFTC et la CFDT ont déclaré qu’elles ne le signeraient pas non plus. Une crise se nouait dans FO.

D’autant plus que comme l’écrit un texte préparatoire au XVIe congrès : «devant la volonté de remise en cause de la protection sociale collective, tant sur les aspects quantitatifs que qualitatifs» FO a «accepté certaines concessions pour sauver le système», cela concerne notamment l’UNEDIC. Au XVIe congrès, nombre de participants ont “accroché” Bergeron. L’un des intervenants, Hüpel (Bâtiment) a expliqué :

«En 1984 pendant le XVe congrès, les négociations sur la flexibilité touchaient à leur fin, mais jamais ceux qui avaient en charge cette négociation n’ont fait la moindre communication au congrès (…) Le BIT a estimé que la flexibilité constituait une menace sur les droits des travailleurs. A ce moment, la confédération s’apprêtait à signer, il a fallu que les secrétaires de fédérations fassent le forcing et la confédération a reculé. Une nouvelle fois, il y a eu désaccord entre les fédérations et la confédération, qui s’orientait vers la signature de l’accord sur les nouvelles technologies. Enfin, lors d’une troisième négociation, celle concernant les SVIP, nous avons été placé devant le fait accompli : la confédération avait signé, le bureau confédéral n’ayant pas respecté la résolution du congrès»


V. -                        F.O. confrontée aux exigences du capitalisme en crise

La fausse “gauche”


Blondel accédant, au XVIe congrès, au poste de secrétaire général de la CGT-FO, la presse a expliqué que désormais la direction de cette centrale syndicale était entre les mains de la “gauche”. Depuis, quatre années se sont écoulées, le XVIIe congrès s’est tenu du 27 au 30 avril 1992. Un bilan est possible.

Aujourd’hui comme hier, sous le nom de “politique de présence”, FO siège dans tous les organismes de participation que la bourgeoisie et ses gouvernements ont mis en place pour lier les organisations syndicales au régime capitaliste et qu’ils essaiment : Conseil Economique et Social, Comités Economiques et sociaux régionaux, les Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT), Conseils d’Administration des entreprises publiques, Conseils d’école, Conseils d’Administration du secondaire, Conseils de secteurs, départementaux, académiques et régionaux de l’Education Nationale, etc…

L’argumentation de Blondel et de FO pour tenter de “justifier” cette politique, est des plus spécieuse. Le syndicalisme pourrait être présent dans tous les organismes qui ne légifèrent pas et ne prennent pas de décisions politiques, ainsi les Conseils Economiques et Sociaux. En effet, ils ne prennent pas des décisions… ils contribuent à les préparer ; ils ne légifèrent pas… ils émettent des avis. Nommés par le gouvernement, ces conseils de collaboration économique, sociale et politique, rassemblent les “représentants” de toutes les couches sociales dans une aimable coopération sur la base du meilleur fonctionnement possible du régime capitaliste. En outre, il est faux de prétendre que nombre d’organismes de participation n’ont pas de “décisions” à prendre dans le cadre de la politique gouvernementale et patronale : les Conseils d’administration des entreprises publiques par exemple. Les “administrateurs” syndicaux, bien qu’élus, n’ont aucun compte à rendre, mais ils votent au CA sur les orientations de l’entreprise. Nombre d’organismes de participation sont non seulement des organismes de décision mais aussi d’application. Tous sont des organismes de couverture, sinon d’application des politiques gouvernementale et patronale. Ce sont des organismes qui institutionnalisent la coopération entre les classes.


Poursuite de la “politique contractuelle” : le travail précaire


Dans son rapport au XVIIe congrès de la CGT-FO, Blondel a dit :

«Au total, mes chers camarades, si ce genre de statistiques à un sens — ce dont je doute — six accords interprofessionnels (ont été “négociés”, NDLR) dont quatre signés par FO. A part cela, nous aurions abandonné la politique contractuelle.»

Blondel a omis d’indiquer que ces “accords interprofessionnels” ont été négociés dans le cadre d’un ensemble proposé par le CNPF en vue d’aboutir à ce qu’il a appelé des “accords de méthodes”. De plus il fait l’impasse sur le fait que pour le patronat comme pour le gouvernement, signer c’est bien, mais “l’important (comme le disait Pierre de Coubertin) est de participer” et par là de cautionner la validité de ces “négociations” (les uns signent, les autres non, néanmoins l’accord est là, produit d’une “concertation”), ce que Blondel appelle : «Négocier toujours ; conclure si possible, mais pas à n’importe quel prix.». La formule en dit plus que Blondel ne voudrait dire : payer un certain prix, OK, mais tout de même pas trop élevé.

A propos de la “négociation” sur la “flexibilité”, Blondel a donné au congrès une version tout simplement mensongère des faits. Il a expliqué :

«Une autre négociation a fait couler beaucoup d’encre et de salive : celle sur le travail précaire. Afin de limiter le travail précaire, ce que nous réclamions, le ministre du travail avait préparé un projet de loi qui nous convenait.»

La réalité est bien différente. Lors de la session parlementaire du printemps 89 le groupe PS avait déposé un amendement à la loi sur les licenciements présentée par le gouvernement. Cet amendement stipulait qu’aucune entreprise qui licencierait ne pourrait embaucher, avant un délai de douze mois, des travailleurs intérimaires. Le gouvernement était opposé à cet amendement. Il l’a fait rejeté en promettant qu’à la session d’octobre il serait traité de la question du travail précaire. Ce n’est que le 5 décembre que Soisson a présenté au Conseil des ministres un projet de loi. Le groupe PS avait préparé son propre projet. De connivence avec le gouvernement, pour empêcher que la discussion ne vienne à l’ordre du jour de cette session de l’Assemblée Nationale, le CNPF a proposé aux centrales syndicales de négocier, au début de l’année 1990 un accord sur le travail précaire. FO comme les autres centrales a donné son accord pour “négocier”. Dans ces conditions, le gouvernement prétextait qu’il fallait laisser “négocier” les partenaires sociaux et retirait cette discussion de l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. Les “négociations” eurent lieu du 6 février au 24 mars 1990. Blondel poursuit :

«C’est à ce moment-là que le patronat a dit qu’il préférait négocier. Si FO n’a pas refusé le principe de négocier, nous avons dès le départ, indiqué que nous considérions comme déjà acquises les dispositions du projet de loi.»

Ah ! Mais alors à quoi bon participer à ces “négociations”. Plus loin Blondel prétend encore :

«Devant l’inflexibilité du patronat, là encore rejoint par plusieurs organisations nous avons refusé de signer ce que nous considérions comme un dispositif d’ordre public.»

Blondel continue à maquiller. Certes FO n’a pas signé. Mais jamais entre le 24 mars et le 31 mai, date à laquelle s’est ouverte, à l’Assemblée Nationale, la discussion sur le travail précaire, elle n’a déclaré qu’elle était contre l’accord du 24 mars et dit officiellement qu’elle ne le signerait pas. Ainsi est-elle restée partie prenante à la manœuvre du gouvernement et du CNPF contre les vélléités du groupe PS. En effet, il était inclus dans le texte du 24 mars un article selon lequel ce texte deviendrait caduc si la loi en différait. Utilisant la menace que l’accord entre “les partenaires sociaux” ne devienne nul le gouvernement a imposé que la loi le reprenne quasi textuellement. En participant à la “négociation”, en ne dénonçant pas ouvertement et officiellement le texte du 24 mars 1990, que la CFTC, la CFDT, la CGC ont signé, Blondel et le bureau confédéral FO se sont faits les complices du gouvernement et du CNPF.


L’accord sur “la formation professionnelle”


Autre exemple que l’intervention au XVIIe congrès de FO de la délégation du syndicat du personnel communal de Lyon a mis en relief :

Une table ronde a eu lieu sur la Formation Professionnelle qui conditionne la vie des salariés et surtout celle de leurs enfants.

 

A.FAESH qui y représentait FORCE OUVRIERE est sorti sur des positions parfaitement correctes :

-     défense de la formation initiale dans et par l’Education Nationale,

-        dénonciation de la tutelle des intérêts privés,

-             défense des programmes et diplômes nationaux.

 

Pourtant, quelques mois auparavant, nous avions signé un accord sur la Formation Professionnelle le 3 juillet 1991, et un avenant à cet accord en janvier 92.

De quoi s’agissait-il ?

D’un accord entre le patronat et les confédérations syndicales concernant la Formation Professionnelle continue des salariés : congés de formation, rôle des CE, reconnaissance des qualifications obtenues par les stagiaires.

EN APPARENCE donc, rien à voir avec l’offensive en cours sur la formation en alternance et l’apprentissage.

Or, d’une part, l’accord du 3 juillet 91 est une révision de celui du 9 juillet 1970 qui a ouvert la première brèche dans l’enseignement public au profit de l’apprentissage patronal. D’autre part, le préambule de l’accord de juillet précisait :

-          les conditions d’accueil et de suivi dans les entreprises des jeunes en stage ou en formation.

soulignait :

- l’intérêt d’établir des conventions avec l’Etat ou avec la Région pour développer l’information en vue de favoriser une meilleure orientation scolaire et professionnelle des jeunes.

exprimait :


-          l’intérêt des parties signataires pour la conclusion de contrats d’objectifs entre l’Etat, les Régions et les branches professionnelles.

Le cadre permanent constitué par les accords de juillet 1991 et de l’avenant de janvier 1992 signés par Force Ouvrière invoquant à la fois « la politique contractuelle » et « les intérêts des apprentis » a exactement le même contenu de soutien à la politique du patronat et du gouvernement.

Il nous paraît indispensable de retirer notre signature de l’accord de juillet 91 et de l’avenant de 1992 concernant l’apprentissage ; car, par ce biais, il s’agit de faire co-gérer par les syndicats la casse de l’Education Nationale.

Pour finir, début septembre, Marc BLONDEL informait qu’il allait appeler à une action, dure, généralisée, bref, une grève générale de 24 heures pour une journée « économie morte ».

Dans le même temps, la confédération expliquait qu’il ne s’agissait pas de faire céder le gouvernement, je cite « … il ne s’agit pas de faire la grève contre X ou Y… » mais, je cite « … de pousser le gouvernement à relancer l’économie … pour moins de chômage… pour plus d’inflation ce qui soulagera les régimes sociaux… »

Qu’en est-il résulté ?

Où en est-on aujourd’hui ?

Quel avenir pour demain ?

Le nouveau Premier Ministre, dont « on » se félicite qu’il soit issu des rangs ouvriers, affirme son orientation contre la classe ouvrière : partage du travail, nouvelle mise ne cause de la protection sociale.

Il s’agit donc pour ce Congrès d’adopter une orientation radicalement différente qui nécessite avant tout de rompre avec le gouvernement et de réaffirmer les revendications des travailleurs que nous représentons.

Le syndicat FO des personnels municipaux de Lyon votera contre le rapport moral et d’activité de la confédération.

 

La loi Quilès


Blondel a fait grand cas de l’opposition de FO à la “grille” Durafour concernant les personnels de la fonction publique :

«Avec la grille Durafour, ce sont les fondements de la Fonction publique qui sont atteints progressivement, ce qui faisait la solidité républicaine et laïque de la France s’étiole, dans un modèle libéral ou démocrate chrétien qui perpétue et renforce les inégalités.»

Laissons de côté “la solidité républicaine et laïque de la France”. Il reste que la destruction de la grille générale de la fonction publique atteint les intérêts des fonctionnaires et leurs garanties. Mais un des coups les plus durs porté aux travailleurs des PTT et, au-delà, à tous les agents de la fonction publique n’a-t-il pas été le vote par l’Assemblée Nationale le 12/5/90 de la loi Quilès et son application ? Qu’a fait, pour empêcher le vote de cette loi et son application, la Fédération FO des PTT ? Elle a participé à tous les organismes, à toutes les commissions qui en ont discuté, ont coopéré à son élaboration, et ont servi de couverture au gouvernement. Elle a laissé bien tranquillement l’Assemblée Nationale la voter. Dès que la loi a commencé à être appliquée par la séparation des “Télécom” de la “Poste”, la Fédération FO des PTT s’est immédiatement investie dans les organismes de participation en place pour mettre en œuvre cette loi.


L’accord de Renault-Douai, la RATP


Autre exemple de la logique de la participation : l’accord signé avant les vacances entre les quatre syndicats (CFDT, FO, CFTC et CGC) et la direction de l’usine Renault de Douai :

A l’origine de cette agitation ? Un nouvel accord sur l’aménagement du temps de travail signé à la veille des vacances, en juillet, après deux mois de négociations entre quatre syndicats de l’usine ( CGDT, FO, CFTC et CGC) et la direction. N’en déplaise aux plus farouches partisans d’une réduction du temps de travail, les 5500 salariés de Renault-Douai travaillent une demi-heure de plus chaque jour. L’horaire de travail effectif est désormais de 39h05 contre 38h10 auparavant. Les trente minutes supplémentaires travaillées chaque jour et par équipe permettent de capitaliser 14.5 journées de récupération qui seront affectées aux ponts et aux journées de repos décidés lors des réunions trimestrielles de la commission paritaire.

« Cet accord est passé inaperçu, mais pourrait très bien faire tache d’huile dans d’autres sites de production de la marque. » s’inquiète Gérard SIX, délégué CGT. « Pour répondre aux fluctuations commerciales, nous devions adapter à la demande, notre outil de production et le temps de travail » précisait en septembre Guy BARA, directeur de Renault-Douai.

Adapter le plus rapidement possible l’offre à la demande pour survivre à une compétition de plus en plus aiguisée n’est plus le sacro‑saint argument de la seule direction. Les quatre syndicats signataires de Renault-Douai se sont ralliés à cette même cause. « Pour répondre à cet épineux problèmes des variations saisonnières de la demande des R19, unique modèle produit ici, nous devions nous adapter à la demande des clients. », explique Jean MACZENKO, secrétaire général du syndicat FO de Renault-Douai.

Il « préfère aujourd’hui le réalisme économique aux slogans sans lendemain. L’époque où l’on revendiquait quelques francs d’augmentation sans vraiment prendre en considération le con texte économique est révolue. Aujourd’hui, nous devons aller de l’avant. Réagir en fonction des autres constructeurs. » Et d’insister : « Le taux de chômage dans la région lilloise atteint aujourd’hui les 17%. Ça compte. »

Deux mois après l’application de l’accord, syndicats signataires et direction se targuent d’avoir pratiquement atteint l’objectif de production. La production a fait un véritable bond : de 1370 voitures par jour, Renault-Douai est passé à 1480 Renault 19. Un record absolu pour l’usine de Douai. « Les journées de travail ont augmenté de trente minutes, mais le temps de présence effectif n’a augmenté que de onze minutes. », explique l’air quelque peu embarrassé, le délégué de FO. Seule solution pour réaliser cette « prouesse » : l’instauration d’une véritable chasse au temps perdu.

Dernier exemple parmi une foule d’autres, celui du syndicat FO-Exécution de la RATP. Il est un de ceux qui ont été les plus loin sur la voie de la “participation”. Il est allé de la signature des “contrats de progrès”, jusqu’à la participation à la mise au point et à l’application de la “réforme” Christian Blanc de la RATP, jusqu’aux discussions sur la restriction “volontaire” du droit de grève, afin d’assurer la “continuité du service public”.


La “perle” du “paritarisme” : l’UNEDIC


L’UNEDIC était la perle de la politique paritaire. Elle a été constituée à la suite d’un accord réalisé en 1958 entre FO et le CNPF. Une nouvelle fois, en juillet 1992, elle était à la limite de la faillite. Le 18 juillet un nouvel accord était conclu. La CGT et FO se refusaient, à juste titre, de le signer. Dans “Le Monde” du 7 août 1992, Alain Lebande écrivait :

Combien seront-ils à être pénalisés par les nouvelles dispositions de l’accord signé par les partenaires sociaux, le 18 juillet, pour sauver le régime d’assurance-chômage ? FO, qui demande toujours une autre négociation, évoque le chiffre de 77000 exclus de toute indemnisation. La CGT parle de 113000 victimes potentielles. En réalité, nul ne le sait avec précision. Aucune évaluation sérieuse n’a été faite des conséquences sociales que pourrant avoir les décisions économiques prises.

Les négociateurs de l’accord sur l’assurance‑chômage auraient dû être instruit par l’expérience, puisque une situation analogue a fait des dégâts qui risquent de se reproduire. C’était en novembre 1982, M. Pierre BERGOVOY, alors ministre des Affaires Sociales , intervient par décret pour – déjà…– sauver l’UNEDIC du gouffre. Résultat : 200 000 chômeurs sont privés d’indemnisation et 200000 autres, dont les préretraités, voient  leurs allocations diminuer. En janvier 1984,  la nouvelle convention se traduit pas de nouvelles coupes claires. Les conditions d’accès à l’assurance chômage deviennent plus sévères, écartant certaines catégories, dont les jeunes et les femmes. Le niveau des prestations est revu à la baisse. Quelques mois plus tard, à l’automne, le nombre des chômeurs non indemnisées se gonfle dangereusement. L’opinion, stupéfaite, découvre l’ampleur du phénomène : on parle des « nouveaux pauvres ». Très vite, l’Etat, puis les partenaires sociaux, arrêteront de nouvelles dispositions pour endiguer le flot montant et corriger les injustices les plus flagrantes. Plus tard, il faudra inventer le revenu minimum d’insertion.

L’histoire va-t-elle se répéter ? Il est certain que les nouvelles dispositions en vigueur à compter du 1er août, vont modifier les conditions d’indemnisation de nombreuses catégories, diminuer les prestations de la plupart des chômeurs – sauf des cadres- et, comme on le dit pudiquement, produire d’autres comportements. Progressivement, à mesure de l’entrée dans le chômage de nouvelles personnes, on verra se définir un nouveau paysage dont on ne tardera pas à savoir s’il est explosif ou non. En tout état de cause, la date du 1er avril 1993 sera déterminante puisque, à ce terme, tous les allocataires – y compris ceux couverts par l’ancien régime- se verront aplliquer les nouvelles règles.

C’est clair, les plus pénalisés seront les salariés qui ont effectués les durées de travail les plus courtes, et donc ont peu cotisé. Parmi eux se trouvent beaucoup de jeunes et de femmes que le développement du travail précaire condamne à des allers et retours entre l’emploi et le chômage. Dans le pire des cas, ils seront exclus de toute indemnisation. Au mieux, ils seront pris en charge pendant des périodes plus courtes. Alors que 3 mois de travail au cours des 12 derniers mois ouvrainet droit à 3 mois d’allocations, ils devront justifier de 4 mois de travail au cours des 8 derniers mois pour être indemnisés. De même, à 6 mois de travail au cours des 12 deniers mois correspondaient, pour les moins de 50 ans, 15 mois d’indemnisation au maximum ( avec les prolongations éventuelles, dont 7 mois en allocation de fin de droits), et, pour les plus de 50 ans, 21 mois ( dont 12 en allocation de fin de droits). Maintenant, ils auront l’allocation unique dégressive pendant 7 mois, dont 4 au taux plein.

A la suite de quoi d’ailleurs le CNPF a éjecté, sans tambours ni trompettes, FO de la présidence de l’UNEDIC. Nicole Notat, devenue depuis secrétaire générale de la CFDT, a été élue présidente de l’UNEDIC. Bien entendu, “le ménage”, au sein des organes de gestion et d’administration, va être fait. C’est une démonstration imparable de la faillite de la conception qui anime les différents aspects de la politique de la CGT-FO.


La Sécurité Sociale


Il en va de même en ce qui concerne la Sécurité Sociale. Le poids des différentes caisses est devenu insupportable au capitalisme français en crise. Le patronat ne veut plus payer les cotisations des caisses du régime familial, cotisations qu’il assume seul. Il entend que l’Etat les prenne à sa charge. Le patronat et le gouvernement font grand bruit sur le déficit actuel du régime de retraite (il serait de 20 milliards à la fin de 1992) et surtout sur celui à venir (il serait selon leurs prévisions de 370 milliards en 2010). Ils veulent surtout substituer au système de la solidarité celui de la capitalisation. L’énorme masse d’argent du régime retraite serait transformée en “épargne” forcée, que les capitalistes utiliseraient pour investir ou spéculer (se rappeler la faillite de l’anglaise).

Ils font également grand bruit sur le déficit du régime maladie qui serait, d’après l’UDF et le RPR, de 70 milliards en 1993. Ils veulent d’une part fiscaliser ce régime et d’autre part élargir au maximum le secteur privé ce qui réaliserait un système de santé à plusieurs vitesses. Se situer sur le plan de la bonne gestion paritaire, syndicats-CNPF, sous tutelle de l’Etat, c’est inéluctablement permettre que le CNPF atteigne plus ou moins rapidement, ses objectifs. La capitulation totale des dirigeants de la CGT-FO devant l’institution de la Contribution Sociale Généralisée le démontre.

D’ores et déjà ils ont plongé. Le ministre des affaires sociales du gouvernement Mitterrand-Bérégovoy-(à nouveau) Tapie-Durieux-(à nouveau) Soisson), vient de faire voter par l’Assemblée Nationale une loi sur la “maîtrise des dépenses de santé”. Elle a été élaborée avec les dirigeants des “syndicats” de la “médecine libérale” et… les dirigeants des caisses du régime maladie, de la CNAM que préside Jean-Claude Mallet, c’est-à-dire de militants, au plus haut niveau, de FO. Ils n’ont pu agir ainsi sans l’accord du bureau confédéral, donc de Marc Blondel, secrétaire général. C’est une première brèche. Maintenant les “syndicats” de médecins ne l’estiment pas suffisante. Ils s’en remettent au gouvernement d’après les élections à l’Assemblée Nationale qu’ils espèrent être un gouvernement RPR-UDF.

La co-gestion (et le paritarisme est une forme de co-gestion), qu’elle concerne les organismes sociaux, la Sécurité Sociale, l’indemnisation du chômage ou tout autre domaine, est toujours une institutionnalisation de la coopération du capital et du travail, et est, par principe, inacceptable. Inéluctablement elle signifie auto-limitation pour la classe ouvrière et joue contre elle. La gestion par les syndicats (à condition qu’elle soit placée sous un contrôle ouvrier réel et étroit) des organismes sociaux, de la Sécurité Sociale, de l’indemnisation du chômage, etc… est une revendication qui doit être avancée (le patronat et l’Etat paient, les syndicats ouvriers gèrent)[1]. Mais nulle illusion ne doit être diffusée : la gestion par les syndicats ouvriers n’est pas durable, si la classe ouvrière ne prend pas le pouvoir politique pour détruire la société et gérer la nouvelle, en un mot s’engager sur la voie qui mène au socialisme. Bien plus : si la classe ouvrière ne prend pas le pouvoir, la gestion risque de se retourner en son contraire. En quelques mots, ce mot d’ordre n’a de valeur que comme mot d’ordre de transition dans la perspective de la prise du pouvoir.


Indissolublement liée au capitalisme…


«Dans notre pays, se poursuit une politique initialement conjoncturelle. Mais la “désinflation compétitive”, en réalité l’austérité, provoque le chômage de trois millions de salariés, aboutit à des tensions de plus en plus dangereuses et à un véritable déchirement du tissu social. Poursuivre sur cette voie, c’est conduire à la marginalisation d’une partie importante de la population, briser la solidarité des travailleurs et mettre par enchaînement la démocratie en danger.»

Et encore :

«Le congrès de la CGT-FO rappelle que le Plan est un temps fort de l’élaboration de la politique économique et sociale. Il s’inquiète de l’évolution des travaux du XIe plan qui risque de ressembler à son prédécesseur. La CGT-FO rappelle qu’un aménagement cohérent du territoire a pour mission d’éviter le déséquilibre entre régions riches et régions pauvres et se devrait d’assurer l’égalité des citoyens.

Il dénonce la poursuite d’une politique monétaire favorisant les placements financiers des entreprises et des rentiers et d’une politique de restriction budgétaire rendant impossible toute véritable stratégie industrielle.» (Extrait de la Résolution générale).

Suivent quelques considérations sur les “cadeaux fiscaux”, les facilités accordées aux détenteurs de capitaux, sur les impôts, etc… A la suite d’une partie du capitalisme français, la direction de FO se prononce pour une “relance” par des moyens budgétaires. Les intérêts de la classe ouvrière ne correspondraient pas à une politique plutôt qu’à une autre du capitalisme français. Mais FO se situe strictement dans le cadre du régime capitaliste dans lequel elle est profondément intégrée.

Ainsi armés de pieds en cape, les militants FO n’ont plus qu’à braver les éléments déchaînés, dont Blondel dans son rapport et sa réponse n’a rien dit, pas plus que les intervenants en ont soufflés mots. Les développements économiques, sociaux et politiques en France, le bilan de onze ans de gouvernements Mitterrand, du gouvernement de “l’Union de la gauche” (Mitterrand-Mauroy-Fiterman-Crépeau) au gouvernement Mitterrand-Bérégovoy-Tapie (de retour)-Durieux-Soisson (de retour), les résultats des élections régionales et ce qu’ils impliquent, les perspectives dont celle du retour au pouvoir du RPR et de l’UDF, n’ont pas de place dans les analyses de la CGT-FO. L’élémentaire revendication d’égalité des droits économiques, sociaux, politiques entre travailleurs français et émigrés est inconnue à FO.


…A l’impérialisme


Dans les analyses du XVIIe congrès il n’y a pas de place pour celle de la situation internationale, ni pour celle de la crise profonde du régime capitaliste, rien sur la situation de l’impérialisme français, sa décadence, la lutte qu’il mène pour faire supporter au prolétariat français le prix de celle-ci, rien encore sur la perspective de l’effondrement de l’économie capitaliste. L’intervention armée de l’impérialisme contre l’Irak, la mise sous la botte du Moyen-Orient, la multiplication des opérations de “maintien de l’ordre” en Asie, en Afrique, dans l’ex-Yougoslavie, n’intéressent pas le XVIIe congrès de la CGT-FO, pas plus que l’exploitation des peuples semi-coloniaux, leur dette immense, le FMI, la Banque mondiale.

Par contre, face à l’effondrement de l’économie des pays de l’Europe de l’Est, de l’ex-URSS et des pays semi-coloniaux, il a proposé “sa solution” :

«Il (le congrès) insiste également pour que les gouvernements des 24 pays démocratiques (sic) industrialisés (que ces pays soient des pays impérialistes il n’en est pas question, NDLR) (Communauté Economique Européenne et Organisations de Coopération et de Développement Economique, - OCDE) et les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, NDLR) mettent en œuvre une stratégie globale de développement économique et social qui s’inspire dans ses orientations de la conception retenue par le plan Marschall (retour aux sources, NDLR) et qui impose le respect des normes internationales de travail, définies par les conventions de l’Organisation Internationale du Travail, OIT.»

Le XVIIe congrès de la CGT-FO confie l’avenir du monde aux impérialismes et à leurs agences. Le tout est bien sûr assaisonné de professions de foi pacifistes, “syndicalistes libres” (naturellement) “et démocratiques”. En ce qui concerne “l’Europe”, le congrès réitère l’adhésion totale et entière de FO à l’Europe des capitalismes, à la CEE. Toutefois, il affirme :

«La CGT-FO ne peut accepter que la compétition vers toujours plus de profits devienne la seule règle de jeu et que l’Etat ne veuille plus remplir son rôle. Cette situation menace l’ensemble des salariés ceux du secteur privé comme ceux du secteur public.»

Premièrement l’Etat bourgeois joue au contraire pleinement son rôle en défendant le taux de profit. Ensuite : au nom du “combat” pour une “Europe sociale” il s’agit de rallier les travailleurs à la CEE.


Conclusion


La conclusion s’impose. L’appareil de la CGT-FO est lié par toutes ses fibres à la société, à l’Etat bourgeois, au système impérialiste. Ce qui ne veut pas dire que FO n’est pas soumise à la lutte des classes et qu’elle ne s’y répercute pas en engendrant des contradictions qui affectent aussi l’appareil. La “crise du syndicalisme” atteint profondément FO. En dépit des affirmations de Blondel le nombre de syndiqués FO ne dépasse pas 600 000. En encore : combien d’entre eux paient leurs douze timbres annuels ? Aussi la tentation est-elle forte parmi les dirigeants de syndicats, de sections syndicales d’entreprises d’accepter de signer des accords comprenant “le chèque syndical”.

Par ses origines, ses traditions, sa pratique quotidienne, la confédération CGT-FO est engagée de longue date dans la participation. La pression est grande pour qu’elle fasse de nouveaux pas sur cette voie et qu’elle rejoigne la pratique devenue courante de la CFDT, mais qui correspond à la nature de celle-ci, la pratique qui a exigé la destruction de la FEN. Avec la venue au pouvoir du RPR et de l’UDF, la mise à l’écart de FO par le CNPF, de la direction des “organismes paritaires”, la pression sur FO va s’accentuer. Il n’est pas exclu qu’il en résulte une crise ouverte et publique de cette confédération. A moins qu’elle n’en ait plus même les ressources et qu’elle plonge totalement.

Dans le prochain et dernier article de la série “La crise du syndicalisme” seront abordées les questions fondamentales que sont “La charte d’Amiens”, les positions de la IIIe Internationale et de la IVe Internationale sur les syndicats.

 

Le 31 décembre 1992.


VI. -                     fo embraye en marche arrière


C.P.S. a publié successivement trois articles portant sur “La crise du syndicalisme”. L’article paru dans le n° 44 examinait les données générales de cette crise. Celui paru dans le n° 45 montrait, en partant du 44ème congrès de la CGT, quelles réponses les dirigeants de cette centrale donnaient à cette crise et situait “ce dont souffre la C.G.T.”. Le 3ème article paru dans le n° 46 partait des origines de la C.G.T.-F.O., il aboutissait à l’examen de sa politique actuelle. Cette série d’articles sur “La crise du syndicalisme” ne comprend pas d’article particulier concernant la FEN, tout simplement parce que C.P.S. a analysé à chaque moment les politiques qu’ont suivies ses deux principales tendances “Unité, Indépendance et Démocratie” et “Unité et Action” qui, délibérément, ont provoqué son éclatement, sa destruction. L’article que ce n° de CPS publie est principalement centré sur la “Charte d’Amiens” considérée par certains comme étant l’alpha et l’oméga du syndicalisme. Il est plus long que prévu d’autant qu’il faut revenir sur les dernières implications de la politique que pratiquent les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO. La conclusion de la série d’articles “La crise du syndicalisme” est donc reportée au prochain n° de C.P.S.


.m2.Fo passe l’éponge


“Force Ouvrière Hebdo” n°2 142 du 8 janvier 1993 publie un communiqué :


« DEUX BALLONS D’OXYGENE POUR L’UNEDIC

Depuis toujours Force Ouvrière a marqué son attachement au rôle, à l'autonomie et à la gestion paritaire du régime d'assurance-chômage, lié au mode de financement basé sur les salaires.

C'est pourquoi le Bureau confédéral de FO a décidé de signer l'accord du 30/12/92, modifiant le protocole du 18 juillet 1992 en maintenant à 0,8% jusqu'au 30 juin 1993, l'augmentation de la cotisation. C'est là une condition nécessaire, mais encore insuffisante, pour pérenniser le régime. FO rappelle qu'elle réclamait une augmentation de 1 %.

Par ailleurs, ce jour, Force Ouvrière a signé le protocole relatif aux engagements financiers de l'Etat vis-à-vis de l'UNEDIC, par lequel les pouvoirs publics s'engagent à mieux financer les actions et décisions qu'ils ont prises (CES, AFR, FNE), pour un montant de 3,150 milliards de francs.

Complémentairement à la demande de Force Ouvrière, le gouvernement confirmera, par écrit, son engagement d'alléger le coût des intérêts actuellement supportés par le régime.

Au total, l'UNEDIC devrait voir sa charge allégée de 4,7 milliards de francs, ce qui lui donne un ballon d'oxygène.

Pour FO, l'UNEDIC subit à la fois l'augmentation du chômage et les effets de la précarisation accrue des contrats de travail.

Afin de garantir le régime, tant dans son rôle vis-à-vis des chômeurs que dans son autonomie et sa gestion paritaire, FO affirme :

·          qu'une augmentation des cotisations des employeurs et salariés sera nécessaire. Pour les salariés, Force Ouvrière l'assume au nom de la solidarité.

·          que l'Etat doit reverser à l'UNEDIC le produit de la contribution 1 % solidarité fonctionnaires (4,7 milliards de francs.)

·          qu'une renégociation de l'accord du 18 juillet 1992 est indispensable.

Ce sont là des éléments incontournables pour la garantie du maintien d'un régime essentiel de solidarité vis-à-vis des travailleurs privés d'emploi.

Paris, le 6 janvier 1993 »


Il est peu croyable qu’une direction de confédération ouvrière se félicite du maintien de l’augmentation de la cotisation que paient les travailleurs à l’UNEDIC, sous le prétexte qu’il faut rétablir l’équilibre financier de celle-ci. La classe ouvrière devrait-elle être tenue comme co-responsable de la crise du régime capitaliste ? La crise, le chômage proviennent de ce régime. C’est aux capitalistes de payer, en l’occurrence au patronat. La direction de FO ne s’ arrête pas là. Au nom des travailleurs - qui n’en peuvent mais - elle affirme :

“Une augmentation (nouvelle NDLR) des cotisations des employeurs et des salariés sera nécessaire. Pour les salariés Force Ouvrière l’assume au nom de la solidarité”.

En clair la direction prétend parler au nom des travailleurs et s’engage en leur nom. Du même coup la direction de FO passe l’éponge sur ce qu’elle dénonçait dans le n° 2 132, daté du 2 septembre 1992 de “FO-Hebdo”.

« ACCORD » UNEDIC : VERS L’EXCLUSION

Cotiser plus pour toucher moins, voilà ce qui ressort de l'accord sur l'Unedic, signé le 18 juillet dernier, par une partie seulement des interlocuteurs sociaux. Force Ouvrière a refusé de s'associer à cette réforme et a demandé par une lettre adressée au CNPF la réouverture des négociations.

Prés de 115000 allocataires exclus, diminution des droits pour les jeunes de moins de 25 ans et fermeture du régime pour une bonne partie des jeunes sans emploi, telles sont les conséquences de ce texte applicable courant août 1992. C'est pour ces raisons que pour la première fois en trente ans, FO n'a pas signé cet accord.

Le texte ratifié par le CNPF, la CGPME et l'UPA pour le patronat et par certaines organisations syndicales, instaure une nouveauté : I'Allocation Unique Dégressive (AUD) en remplacement des allocations de base et de fin de droits. Dorénavant, il faudra avoir cotisé au moins quatre mois (contre trois mois dans l'ancien système) pour bénéficier de l'AUD, dans ce cas, cette dernière sera octroyée au taux dégressif de moins 25 % du salaire de référence. Il faut donc désormais cotiser plus longtemps pour accéder à l'ouverture de droits. Les salariés en situation précaire, les jeunes en particulier, sont exclus dans certains cas de toute indemnisation.

LES CHOMEURS TOUCHENT MOINS ET PENDANT UN TEMPS PLUS COURT.

Les salariés privés d'emploi, déjà pénalisés par un manque à gagner, le sont une seconde fois par le biais de l'AUD, allocation affublée d'un coefficient de dégressivité variable par plages de quatre mois. Les prestations versées par les Assedic sont systématiquement minorées. Les chômeurs touchent moins et pendant un temps plus court. Par exemple, dans l'accord, 6 mois de cotisations ouvrent droit à 7 mois d'indemnisation dont 4 mois au taux normal (en moyenne 57,4 % du salaire de référence) et trois mois au taux dégressif de moins 15 % par rapport à l'allocation versée précédemment. Dans l'ancien système, 6 mois de cotisations ouvrent droit à 14 mois d'indemnisation dont 8 mois en allocation de base variant entre 57,4 % et 75 % maximum du salaire de référence et 6 mois en allocation de fin de droits. Sans compter les éventuelles prolongations qui pouvaient être accordées par les Commissions paritaires. En sus, la dégressivité de l'AUD aboutit à ce que les prestations reçues diminuent régulièrement et de façon considérable pour les bas et moyens salaires. Un smicard, âgé de 30 ans, ayant cotisé 14 mois au cours des 24 derniers mois, touchera 3 827 F les 12 premiers mois et seulement 2 439 F le 20ème mois. Comme si ses besoins avaient, eux aussi, diminué, Or son loyer et son bifteck n'ont pas enregistré ce coefficient de dégressivité.

Pour sa part, un cadre qui gagnait 20 000 F mensuels touchera dans le même cas 11 480 francs les 12 premiers mois mais n'atteindra jamais le taux minimum.

L’argument massue des signataires de l'accord est de croire qu'en diminuant le montant des prestations d'assurance chômage, les chômeurs rechercheront ou trouveront plus vite un travail. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de travail. Les patrons n'embauchent pas, malgré les diverses possibilités d'exonération des charges sociales mises à leur disposition. Cette tendance est confirmée par les études d'experts qui voient l'avenir plutôt sombre en matière d'emploi.

L’AUD devrait permettre de réaliser 9 milliards d'économies sur le dos des chômeurs. Il en manque encore 8 pour combler le déficit de l'Unedic estimé à 17 milliards de francs. Les salariés et les employeurs sont eux aussi mis à contribution par le biais de l'augmentation des cotisations de 0,4% à parité, soit 0,8% en tout. Toutefois, en supprimant la contribution pour frais de dossier des entreprises qui mettent fin aux contrats de plus de six mois, l'accord entraîne une perte nette de 1,5 milliards de francs pour le Régime. De plus, en refusant de prendre en charge la surcotisalion de la tranche B (celle des salaires supérieurs à 12 000F), les employeurs s'en tirent une fois de plus à bon compte.

 

durée de l'affiliation à l'unedic

Montant

durée de l'indemnisation

(hors prolongations)

Allocation de base exceptionnelle

3 mois

au minimum 95,55F/jour et jusqu'à 56,25 du salaire de référence

3 mois

Allocation de base

6 mois à 24 mois

au minimum 127,57 F/jour et jusqu'à 75% du salaire de référence

de 8 mois à 27 mois

Allocation de fin de droits

Chômeur ayant épuisé ses droits à l'allocation de base

81,30 F/jour

112,70F/jour pour les plus de 52 ans

de 6 mois à 18 mois


.m2.Dirigeants CGT et CGT-FO signent


La Direction de la CGT n’a pas plus que celle de FO signé l’accord du 18 juillet 1992. Elle n’a pas, au contraire de celle de FO, signé les avenants. Mais le 3 février 1993 la Commission exécutive de cette confédération décidait d’adhérer à la convention sur l’assurance chômage telle qu’elle fonctionnera en 1993, ce qui inclut l’application de l’accord du 18 juillet 92 et de ses avenants. Prétexte ? “Ne pas pratiquer la politique de la chaise vide”.

Dans une situation difficile, face à un patronat qui licencie massivement et s’acharne à détruire ou à réduire la garantie sociale, l’intérêt des chômeurs commande qu’ils puissent se défendre à tous endroits avec les organisations et militants de la C.G.T., en particulier dans les instances de l’UNEDIC et des ASSEDIC”.

Allant jusqu’au bout de sa démarche la direction de FO a adhéré, à son tour, le 4 février 1992, à la convention sur l’UNEDIC applicable au 1er janvier 1993. Son argumentation n’est pas moins “tordue” que celle de la direction de la C.G.T. :

“Dans l’intérêt des chômeurs, pour sauvegarder l’autonomie et la gestion paritaire du régime d’assurance-chômage, Force Ouvrière décide d’adhérer à la convention de gestion applicable depuis le 1er janvier 1993 sans pour autant accepter les dispositions restrictives de l’accord du 18 juillet 1992 à l’égard des chômeurs”

Comme si

“La convention applicable depuis le 1er janvier 1993” n’intégrait pas “les dispositions restrictives de l’accord du 18 juillet à l’égard des chômeurs”.

C’est d’une hypocrisie achevée. Blondel et aussi Vianney pourraient en apprendre à Tartufe. La direction de FO poursuit :

“Force Ouvrière entend pleinement continuer à défendre les intérêts des chômeurs, l’autonomie et la gestion paritaire du régime.

Sachant que le patronat entend poursuivre, au moins par la convention actuelle, la gestion paritaire du régime et que la présence de FO devrait faciliter, au plan de la crédibilité du régime, les discussions en cours avec les établissements bancaires, la décision de FO s’inscrit dans la nécessité d’éviter la disparition du régime paritaire.”

Loin de “défendre les intérêts des chômeurs” en cogérant avec le patronat l’UNEDIC, les dirigeants des centrales syndicales ouvrières font supporter aux travailleurs les conséquences de la crise du régime capitaliste. Ils le disent eux-mêmes : leur présence sert, y compris, de caution auprès des banques. De plus les dirigeants de FO ont senti le vent du boulet lorsque le patronat les a vidés de la présidence de l’UNEDIC. Toute une bureaucratie “gestionnaire” s’est sentie menacée. Vite, il fallait faire marche arrière. Le fond de la question est pourtant que refuser de “co-gérer”, refuser de participer aux mille organismes ad hoc, serait s’engager vers la rupture avec le régime capitaliste. Ce qui vaut pour les dirigeants de FO vaut également pour ceux de la CGT.

L’orientation que les dirigeants de FO ont suivie, en ce qui concerne l’UNEDIC, illustre ce que vaut le slogan imprimé sur une des banderoles qui tapissaient la salle où se déroulait le XVIIème congrès confédéral (27 avril- 30 avril 1992 à Lyon) : “F.O. la force en liberté”.


.m2.Au service de l’IMPERIALISME


Bien que le dernier numéro de CPS en ait déjà traité, il faut y revenir : à ce même congrès la résolution générale, qui a été votée, se félicitait dès ses premières lignes qu’un vaste empire totalitaire (se soit) effondré en Europe”. Elle estimait que “cet effondrement aura des conséquences manifestes sur le développement économique et social des diverses parties de la planète”. Que l’effondrement des régimes bureaucratiques subordonnés à la bureaucratie du Kremlin, les déchirements de celle-ci aient “des conséquences manifestes sur le développement économique des diverses parties de la planète” personne n’en doute. Mais lesquelles ? Quelles sont celles qui se sont déjà faites sentir dans les pays de l’Europe de l’Est et dans l’ex-URSS ? Dans quel sens entend agir FO ? Il faut se reporter à la résolution internationale pour avoir des éléments de réponse.

“Le congrès de la CGT-FO est conscient des lourdes conséquences de la détérioration provoquée par l’existence de ces régimes à tous les niveaux de la société et de la très grave dégradation économique de ces pays, consécutive en particulier à l’effort consacré à la course aux armements pendant plus de quarante années”.

Cette résolution omet de dire que dans ces Etats le capital avait été exproprié, mais qu’une bureaucratie parasitaire s’y était développée dont les privilèges provenaient du pillage économique. Elle n’explique pas que c’est la gestion bureaucratique qui a été la cause de l’impasse dans laquelle s’est trouvée l’économie planifiée. Quant à la “course aux armements” il faut spécifier qui l’a impulsée : l’impérialisme et particulièrement l’impérialisme américain.

La résolution internationale précise l’avenir que la confédération FO souhaite aux pays de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS :

“Il (le congrès) insiste pour que les gouvernements du groupe des (24)) pays démocratiques industrialisés (Communauté Economique Européenne et Organisation de Coopération et de Développement Economique -OCDE) et les institutions financières internationales, mettent en oeuvre une stratégie globale de développement économique et social qui s’inspire dans ses orientations de la conception retenue par le plan Marshall, et qui impose le respect des normes internationales de travail, définies dans les conventions de l’Organisation Internationale du Travail -OIT”.

En d’autres termes les pays de l’Europe de l’Est, de l’ex-URSS doivent être soumis à ces consortiums des puissances impérialistes que sont la CEE, l’OCDE, aux instruments de subordination financière impérialiste, que sont le Fond Monétaire International, la Banque mondiale lesquels sont dominés par l’impérialisme américain. Pour plus de précision la résolution rappelle le plan Marshall qui a été l’instrument de la reconstruction, sous l’égide de l’impérialisme américain, du système impérialiste. En quelques mots la Confédération FO se prononce pour le rétablissement du capitalisme dans ces pays c’est à dire pour qu’ils deviennent des semi-colonies soumises aux puissances impérialistes.

Ce processus est d’ailleurs engagé. On en connaît les conséquences : la destruction économique, la paupérisation, la misère généralisée ; en bref une catastrophe épouvantable pour les ouvriers et paysans que les dirigeants de FO prétendent défendre. Les résolutions qui viennent d’être citées se taisent sur le fait que les différentes composantes des bureaucraties contre-révolutionnaires ne sont pas balayées mais qu’elles sont les agents actifs de la restauration capitaliste. Finalement les dirigeants de FO couvrent ces fractions des bureaucraties qui agissent au compte de l’impérialisme. Alors que la seule solution positive serait que les travailleurs ouvriers et paysans les chassent et rétablissent ou établissent leur pouvoir, prennent le contrôle de l’économie et l’orientent en fonction de leurs besoins. Ce qui se résume en : accomplir une révolution politique. Evidemment une telle résolution serait, sera, nécessairement liée aux développements de la lutte de classe des prolétariats de l’ouest de l’Europe, à la révolution sociale établissant le pouvoir ouvrier et expropriant le capital, seule solution à la crise du régime capitaliste.


.m2.“l’émancipation de l’individu”


La résolution générale palabre sur :

“L’écroulement des régimes communistes à syndicats uniques obligatoires et intégrés met une nouvelle fois à l’ordre du jour la construction par les salariés, de syndicats pour la défense de leurs intérêts. En France les tenants de ces régimes ont colonisé la CGT, ce qui a contraint FO à perpétuer seule la tradition du syndicalisme libre. Désormais il s’agit de redonner au syndicalisme réformiste la place qui est la sienne, la première. Cela est possible grâce à ce qui a été préservé par FO”.

Là aussi le repérage est facile. La direction de FO identifie le stalinisme et le communisme. Elle est anticommuniste. Dans la guerre froide commençante, au moment où fut élaboré le plan Marshall, elle s’est rangée du côté de l’impérialisme. Elle affirme : le syndicalisme véritable est le syndicalisme réformiste, c’est à dire par définition se situant dans le cadre du régime capitaliste à qui il s’agirait d’arracher des réformes. Plus loin cette résolution prétend définir le comportement et l’orientation de la Confédération :

“La vocation des syndicats est de défendre en toute indépendance les intérêts particuliers, matériels et moraux de tous les salariés, dans toutes les circonstances, quels que soient les partis au pouvoir, les orientations affichées des gouvernements, et les aléas de la conjoncture”.

Non il ne s’agit pas de “défendre les intérêts particuliers...de tous les salariés”, mais les intérêts du prolétariat comme classe. La résolution poursuit :

“Dans son action à long terme, l’organisation syndicale, qui prend acte de la division de la société en classes sociales aux intérêts antagonistes, combat pour l’émancipation de l’individu et vise à l’abolition de toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme et de toutes les formes d’oppression conformément à la Charte d’Amiens”.

Quel charabia ! La Confédération prend-elle “acte”, comme un notaire, de la lutte des classes ou était-elle un instrument de la lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie ? Se situe-t-elle sur l’orientation des anarchistes de “l’émancipation de l’individu” qui à partir de là “vise à l’abolition de toutes formes d’oppression”? Ou se situe-t-elle sur l’orientation de la prise du pouvoir par le prolétariat, de la destruction de l’Etat bourgeois et de la constitution d’un Etat ouvrier, de l’expropriation de la bourgeoisie de la possession des principaux moyens de production et d’échange, d’une économie planifiée sous le contrôle du prolétariat, de la réalisation du Socialisme et ainsi aller vers la disparition des classes, de l’Etat, de toutes les différenciations sociales et nationales. Qui parle d’”émancipation de l’individu” mais ne combat pas pour que s’engage le processus décrit ci-dessus utilise une formule creuse et mensongère.


.m2.“l’intérêt général”


La résolution générale poursuit :

“En conséquence elle se donne comme règle l’indépendance absolue par rapport au patronat, à l’entreprise, aux forces économiques. La CGT-FO s’interdit toute ingérence dans le fonctionnement des partis politiques indispensables à la démocratie. De la même manière, la CGT-FO dénie aux partis le droit de lui dicter sa conduite et de s’immiscer dans son fonctionnement.

Aux partis la gestion de l’Etat et la définition de “l’intérêt général”, aux syndicats le rôle exclusif de défense de leurs mandants, les salariés”.

Quel confusionnisme ! Tout est mis dans le même panier. Qu’est ce que les “forces économiques” ? “Aux partis la gestion de l’Etat”? Quels partis ? Les partis ouvriers ou les partis bourgeois ? Quel Etat ? Etat bourgeois ou Etat ouvrier ? En l’occurrence parler des “salariés” c’est utiliser un terme vague qui est substitué à une définition de classe : classe ouvrière, prolétariat. Comment dans ces conditions défendre les intérêts de la classe ouvrière, du prolétariat ?

Certaines phrases sont tout simplement incroyables. Ainsi les partis politiques devraient s’incliner respectivement devant les centrales syndicales et l’orientation qu’elles suivent ! Inversement les confédérations devraient se taire sur la nature, la politique des différents partis et ne pas s’ingérer ou réagir à celles-ci et à ceux-ci. Quel est ce monde artificiel ? Le sommet est atteint lorsque la résolution partage les “tâches” entre les centrales syndicales et les partis. Il y aurait donc un “intérêt général”, au dessus des classes, commun à la bourgeoisie et au prolétariat et un Etat au-dessus des classes. Ce serait aux “partis” de définir cet “intérêt général” et de gérer l’Etat en fonction de cet intérêt. S’il en était ainsi, en effet, “le rôle exclusif des syndicats serait de “défendre” mais en les subordonnant à “l’intérêt général”, “les intérêts particuliers” de “ses mandants, les salariés”.


.m2.FO : pour le retour aux IIIème et IVème Républiques


Une deuxième banderole garnissait la salle où siégeait le XVIIème congrès de la CGT-FO. On y lisait :

“ Révolutionnaire dans ses aspirations

 réformiste dans sa pratique

 c’est ainsi que notre syndicalisme sera le moteur de l’histoire”.

Ce galimatias est le digne pendant de la formule “FO une force en liberté”. A quoi se limitent les “aspirations révolutionnaires” de FO ? Cette autre partie de la résolution générale l’exprime clairement :

“Un syndicalisme libre, indépendant, s’appuyant sur l’adhésion massive des salariés, ne peut agir efficacement que dans un régime politique garantissant l’exercice des libertés individuelles et collectives, par opposition aux pratiques totalitaires et corporatistes qui aboutissent nécessairement à la mise des syndicats sous la tutelle du parti au pouvoir”.

Autrement dit : FO voudrait pérenniser la démocratie bourgeoise, revenir au temps des IIIème et IVème Républiques. Présentant le dossier spécial de FO-Hebdo ( n° 2 135 et 2 136) sur le bicentenaire de la République Claude Jenet écrit :

“Aujourd’hui la République est une idée neuve en Europe. Idéal jamais atteint, la République donne à la démocratie, sa forme stable mais où l’action réformiste des syndicats peut trouver un essor et obtenir des résultats pour les salariés”.

FO veut faire croire qu’il est possible de revenir à l’époque où la bourgeoisie était une classe sociale progressive (l’instauration de la République bourgeoise s’appuie sur l’essor des forces productives que permettait alors le régime capitaliste qui était dans sa phase ascendante). La proclamation de la République a eu son intérêt, y compris pour la naissance et le développement du mouvement ouvrier. Mais une classe ne peut assumer son rôle progressiste qu’en établissant sa domination politique. C’est ce qu’a fait la bourgeoisie française en renversant l’ancien régime, en instaurant la République. Cependant il ne faut pas se tromper d’époque : aujourd’hui la bourgeoisie est une classe sociale sans avenir, réactionnaire. Le mode de production dont elle est porteuse ne permet plus, à l’échelle de l’histoire, le développement des forces productives. Elle se survit depuis un siècle parce que la classe ouvrière n’a pas eu les moyens d’imposer ses solutions : le renversement du pouvoir, de l’Etat bourgeois, l’instauration de la dictature du prolétariat, d’une République- mais de la République des conseils du prolétariat, l’expropriation du capital, le passage à une économie planifiée sous contrôle ouvrier.

Quant à la “pratique réformiste” de FO ses prises de positions rappelées dans le numéro précédent de CPS, celle qu’elle a prise en ce qui concerne l’UNEDIC, qui est évoquée au début de cet article, illustrent ce qu’elle est.

Trotsky notait déjà dans ses notes sur “les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste” :

“Ils (les syndicats) ne peuvent être plus longtemps réformistes, parce que les conditions objectives ne permettent plus de réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste, pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire”.

Alors que la crise générale du régime capitaliste s’approfondit, que la décadence de l’impérialisme français s’accélère, il ne peut y avoir dans leur cadre que des “réformes” réactionnaires, c’est à dire des contre-réformes. Le syndicalisme peut être un “moteur de l’histoire”. Malheureusement l’appareil de FO a embrayé sur la marche arrière.


VII. -                  un couteau sans lame - La “charte d’Amiens”


Cependant les dirigeants de la CGT-FO ne cessent d’évoquer la “Charte d’Amiens” pour tenter de couvrir leur politique. Voici cette charte:

« Le congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT.

« La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat.

« Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, tant matérielles que morales, mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.

Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique :

Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d'améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l'augmentation des salaires, etc.

Mais cette besogne n'est qu'un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l'émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d'action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance, sera, dans l'avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d'avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait, à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat.

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l'entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe au dehors.

En ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale . »


C’est au congrès de 1906, qui s’est tenu à Amiens du 8 au 16 octobre (9 ans après la création de la confédération) qu’est adoptée par 824 voix pour et 3 voix contre cette Charte, motion présentée par le Secrétaire général d’alors de la CGT Victor Griffuelhes. Il faut remarquer que le préambule et les statuts de FO se bornent à faire référence à la Charte d’Amiens et ne l’intègre pas. Ils parlent de “l’esprit ayant inspiré en 1906 le congrès confédéral d’Amiens”. Dans ce préambule et ces statuts est évacué que le syndicalisme “prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation du capitalisme”.


.m2.Aperçus sur les mouvements ouvriers anglais et allemands


Sans conteste la Charte d’Amiens a marqué d’une façon particulière le syndicalisme français. Elle est originale en comparaison aux positions des différentes organisations syndicales européennes. Mais c’est que le syndicalisme français tranche par rapport aux syndicalismes des autres pays. A la fin du XIXème siècle les syndicats anglais regroupent environ 4 millions d’adhérents, les syndicats allemands (dont le DGB est la continuité) qui se sont constitués bien plus tardivement rassemblent 2,5 millions d’adhérents, la CGT française 600.000 environ. Les différences ne s’arrêtent pas là.

La Grande Bretagne a été le premier pays à s’industrialiser dans le monde et le premier pays industrialisé du monde. Venue plus tard à l’industrialisation, l’Allemagne est passée au cours des années 1880 au deuxième rang mondial, en ce qui concerne la production industrielle, les USA étant passés au premier rang et la Grande Bretagne étant tombée au troisième.

En France l’essor industriel date du second Empire. Aux USA et en Allemagne la concentration industrielle a progressé à une vitesse grand “V”. Mais en France la progression de la concentration a été relativement lente. En conséquence les prolétariats anglais et surtout allemand sont nombreux et concentrés. Le prolétariat français est beaucoup moins nombreux et moins concentré sauf dans quelques branches (charbonnages, aciéries) et quelques régions. Les capitalismes anglais et français sont devenus très rapidement des capitalismes financiers “tondeurs de coupons”. Ils se sont taillés d’immenses empires coloniaux.

Pour bien saisir les différences existantes alors entre les prolétariats anglais, allemands et français il faut encore souligner quelques aspects de leur histoire politique réciproque. Dés les années 1830 le prolétariat anglais s’est engagé dans un combat aux objectifs économiques et politiques : pour la Charte. Mais au cours de la deuxième partie du 19ème siècle fortement syndiqué, il arrache d’importantes concessions au capitalisme anglais qui grâce à sa puissance industrielle et financière s’étendant sur la plus grande partie du monde, à son immense empire colonial réalisait d’énormes profits. Mais longtemps la classe ouvrière n’eut pas de représentation politique propre, s’en remettant généralement sur le terrain politique au parti libéral (les Whigs). Dès ces années une sorte d’aristocratie ouvrière commençait à se former. Mais une nouvelle poussée et une nouvelle radicalisation ouvrières provoquèrent la formation en 1906, par les syndicats, du Labor Party lequel s’est situé sur une ligne réformiste.

En Allemagne le mouvement ouvrier se développa de façon différente. Ce sont les organisations ouvrières qui se sont constituées les premières. Lassalle a formé le 23 mai 1863 “l’Association Générale des Ouvriers Allemands” dont l’un des objectifs était la conquête du suffrage universel. Les 7 et 8 Août 1869 était formé à Eisenach le Parti Ouvrier Social Démocrate dont le programme était d’inspiration marxiste. Au congrès de Gotha du 22 au 27 mai 1875 marxistes et lassaliens ont formé un seul parti : le Parti Social Démocrate Allemand (le SPD actuel). Ce parti en se construisant lui-même allait construire le mouvement ouvrier dans ses différentes déterminations : syndicats, coopératives, organisations de toutes sortes.


.m2.Particularités du mouvement ouvrier français


En France le mouvement socialiste a des origines lointaines depuis Babeuf, Saint-Simon, Fourrier, Considérant, etc....Mais on ne peut oublier qu’il s’agissait du socialisme utopique. Blanqui tranche sur l’ensemble. Cependant c’est la conception conspirative et des minorités agissantes qui l’anime. Le pire est représentée par Proudhon qui développe un point de vue s’apparentant à l’anarchisme et de nature bourgeoise. Pourtant c’est en France que se produit la première révolution où le prolétariat se différencie de la bourgeoisie et combat pour “la République Sociale” : la révolution de 1848. Mais le prolétariat français est un prolétariat de petites entreprises, très lié aux artisans et travailleurs individuels. Il est très influencé par les recettes des idéologues petits bourgeois dont Proudhon est la principale figure. En juin 1848 le prolétariat français subit une sanglante et écrasante défaite. La révolution de 1848 s’achève par le coup d’Etat du 2 décembre 1852 que fomente Louis Napoléon Bonaparte. Il liquide la IIème République et proclame le second empire.

Quand le mouvement ouvrier reprend vie il est plus que jamais hétérogène en dépit de l’implantation en France de la 1ère Internationale. Des organisations de type syndical se constituent. Des courants s’adaptent à l’Empire (Tolain). D’autres sont d’inspiration proudhonnienne, voire bakouniste. Subsistent aussi les blanquistes etc,etc. Ce sera néanmoins en France que sera instaurée en 1871 la première dictature du prolétariat - la Commune. Mais la Commune souffrira terriblement de l’hétérogénéité de sa direction et des courants petits-bourgeois qui en font parti.

Après la Commune le mouvement socialiste est complètement disloqué de Brousse (possibiliste, ultra-réformiste) à Jules Guesdes (marxiste formel), toute une gamme de courants existe. Un comité d’entente constitué le 27 novembre 1898 comprend : la Fédération des Travailleurs Socialistes de France (Brousse) ; le Parti Ouvrier Français (Guesde) ; le Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire (Allemagne); les socialistes indépendants (parmi lesquels Jaurès, Briand, Millerand, Viviani, etc). Mais cette avancée vers l’unité des “socialistes” était très fragile. En 1899 le mouvement socialiste se déchire sur la question de la participation de Millerand au gouvernement Waldeck Rousseau (auquel participait également le général Gallifet le fusilleur de la Commune) et de la participation en général aux gouvernements bourgeois.

Néanmoins du 3 au 8 décembre se tient au Gymnase Japy à Paris un congrès des organisations socialistes. Un second congrès a lieu, à partir du 28 septembre 1900, salle Wagram à Paris. Le troisième congrès éclate. Sous l’impulsion de Jaurès se forme le Parti Socialiste Français. Sous l’impulsion de Guesde se constitue le Parti Socialiste de France. Ce n’est que sous la pression de la IIème Internationale que du 23 au 25 avril 1905, à Paris à la salle du Globe, se réunit le véritable congrès d’unification des courants socialistes. La section française de l’Internationale Ouvrière (la SFIO) est fondée. Les “socialistes indépendants” en sont écartés. Cependant le réformisme et le parlementarisme de Jaurès domineront les premières années de la SFIO, d’autant que les courants révolutionnaires “guesdistes” et autres sont politiquement très insuffisants, très émoussés et généralement, au nom de l’apport au monde de la Révolution française, patriotes.

Le mouvement syndical ne redémarre que lentement et faiblement après la Commune et en relation avec la renaissance d’organisations se réclamant du socialisme. Des groupements et chambres syndicales, des mutuelles, des coopératives se constituent cependant. Jusqu’en 1894 les guesdistes exerceront une grande influence sur le mouvement syndical qui se constitue. Dans les années 1880 des grèves, violemment réprimées, éclatent. Les premières fédérations d’industries se forment au cours de ces mêmes années. Les syndicats se rassemblent souvent dans les Bourses du travail. Pelloutier se fera le théoricien et l’animateur de ce mouvement. En 1892 est formée la Fédération des Bourses du travail. Pelloutier en devient secrétaire adjoint en 1894 et secrétaire général en 1895. En septembre 1895 se tient à Limoges le congrès de la Fédération des syndicats et groupes corporatifs, qui datait de 1886. Il proclame la Confédération Générale du Travail (CGT). Mais la Fédération des Bourses du travail n’adhère pas immédiatement à la CGT et nombreuses sont les organisations syndicales qui n’y adhèrent pas non plus. La CGT ne prendra véritablement son essor que lorsque, au congrès de Montpellier, qui se tient du 23 au 26 septembre 1902, la Fédération des Bourses du travail décidera d’y adhérer. La fédération en tant que telle cessait d’exister.


.m2.“l’anarcho-syndicalisme”


Le courant anarcho-syndicaliste a dominé aussi bien la Fédération des Bourses du travail, que celle des syndicats et groupes corporatifs, que la CGT entre 1890 et 1914. Qu’est-ce que “l’anarcho-syndicalisme”. Un mélange confus d’anarchisme hérité de Bakounine, de Proudhonisme et de syndicalisme “pur”. Ainsi Fernand Pelloutier, la figure dominante du syndicalisme français jusqu’à sa mort en 1901, écrivait-il :

“Nous sommes les ennemis irréconciliables de tout despotisme moral ou collectif, c’est à dire des lois et des dictatures y compris celle du prolétariat et les amants passionnés de la culture de soi-même. La mission révolutionnaire du prolétariat éclairé est de poursuivre plus obstinément, plus méthodiquement que jamais l’éducation morale, administrative et technique (telle devrait être la tâche des Bourses du Travail NDLR)pour rendre viable une société d’hommes fiers et libres” ï

(1er mai 1895- cité par Dolléans dans son histoire du Mouvement Ouvrier -1871/1936- page 11)

“L’anarcho-syndicalisme” s’oppose à l’article suivant, voté par le congrès de la Haye (2-7 septembre 1872), des statuts de la 1ère Internationale :

“Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et son combat suprême l’abolition des classes. La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs -Les seigneurs de la terre et du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques et asservir le travail. La conquête du pouvoir politique devient donc le grand devoir du prolétariat”.

Une des raisons du développement de l’anarcho-syndicalisme est le caractère particulier de la classe ouvrière française de ces années là, par exemple à Paris. Daniel Halévy, cité par Dolléans, explique :

“Paris ignorait le marxisme...On peut dire qu’à Paris, en 1892, il n’y avait pas de grande industrie. Il y avait une multitude de petites entreprises et un artisanat très intelligent, très liseur, dont l’élite pouvait frayer avec un bourgeois en rupture de ban tel que Pelloutier.”

Ce n’est que pendant la guerre de 1914-18 que la région parisienne deviendra une région à forte concentration industrielle. En province dans quelques régions - le Nord, le Pas-de-Calais, le Centre-Est avec Montluçon, le Creusot, notamment, - une forte concentration existait déjà. Longtemps ces régions sont restées des bastions guesdistes.

La “grève générale” est la panacée de l’anarcho-syndicalisme; Sur un rapport de Briand qui est appuyé par Pelloutier, le congrès de Nantes de la fédération des Bourses du travail qui se tient du 17 au 23 septembre 1894, adopte le principe de la grève générale. Cela consacre la perte d’influence des guesdistes dans les syndicats. Ils se retirent du congrès. A son deuxième congrès, à Tours (septembre 1896) la CGT adopte le principe de la “grève générale”, considérée comme arme absolue de “l’émancipation sociale”. La Charte d’Amiens votée en 1906 “préconise comme moyen d’action” pour réaliser “l’expropriation capitaliste”...”la grève générale”. Lorsque se précisent les menaces de guerre européenne, au congrès de Marseille, qui se tient à partir du 8 octobre 1908, la motion que propose Merrheim obtient 681 mandats contre 481. Elle se conclut ainsi:

“en cas de guerre entre les puissances européennes, les travailleurs répondront à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire”.


.m2.Trotsky et la grève générale

 

“L’anarcho syndicalisme” fait abstraction du pouvoir, de l’Etat bourgeois et rejette la lutte pour conquérir le pouvoir politique. Il se dresse contre la constitution d’un Etat Ouvrier et l’établissement de la dictature du prolétariat. Tout cela convient parfaitement à l’appareil de la confédération CGT-FO. Quant à la grève générale sans politique de lutte pour le pouvoir, elle n’assure pas la victoire du prolétariat. Elle peut même aboutir à la défaite. Dans “1905”, où il analyse la première révolution russe, Trotsky écrit:

Nous donnions certes une énorme importance alors à une grève politique des masses, considérée comme l'indispensable méthode de la révolution russe, tandis que des radicaux comme les Procopovitch se nourrissaient de vagues espérances fondées sur l'opposition des zemstvos. Mais nous ne pouvons admettre en aucune façon que la grève générale ait abrogé et remplacé les anciennes méthodes révolutionnaires. Elle en a seulement modifié l'aspect et elle les a complétées. Nous ne pouvons pas non plus reconnaître que la grève d'octobre, quelque estime que nous en ayons, ait " radicalement transformé le régime gouvernemental de la Russie ". Au contraire, tous les événements politiques ultérieurs ne s'expliquent qu'en raison de ce fait que la grève d'octobre n'a rien changé au régime gouvernemental. Nous dirons même qu'elle n'aurait pas pu accomplir un " coup d'Etat ". En tant que grève politique, elle se borna à mettre les adversaires face à face.

Sans aucun doute, la grève des chemins de fer et du téléphone désorganisa au dernier degré le mécanisme gouvernemental. Et la désorganisation s'aggrava avec la durée de la grève. Mais, en se prolongeant, cette même grève troublait les fonctions de la vie économique et sociale et affaiblissait nécessairement les ouvriers. Et, enfin, elle devait avoir un terme. Mais, dès que la première locomotive fut sous pression, dès que le premier appareil télégraphique produisit son tac‑tac, ce qui subsistait du pouvoir trouva la possibilité de remplacer tous les leviers brisés et de renouveler toutes les pièces avariées de la vieille machine gouvernementale.

Dans la lutte, il est extrêmement important d'affaiblir l'adversaire ; c'est la tâche de la grève. En même temps, elle met sur pied l'armée de la révolution. Mais ni l'un ni l'autre de ces résultats ne constituent par eux-mêmes un coup d'Etat.

Il faut encore arracher le pouvoir à ceux qui le détiennent et le transmettre à la révolution. Telle est la tâche essentielle. La grève générale crée les conditions nécessaires pour que ce travail soit exécuté, mais elle est, par elle-même, insuffisante pour le mener à bien.

Le vieux pouvoir gouvernemental s'appuie sur sa force matérielle, et avant tout sur l'armée. Pour barrer la route à un véritable "coup d'Etat", autre que celui qu'on croit avoir fait sur le papier, on trouve toujours l'armée. A un certain moment de la révolution, une question se pose et domine toutes les autres : de quel côté sont les sympathies et les baïonnettes des troupes ? La réponse ne peut pas être obtenue par une enquête. On peut formuler bien des observations justes et précieuses sur la largeur et la régularité des rues modernes, sur les nouveaux modèles de fusil, etc, mais toutes ces considérations techniques laissent entière la question de la conquête révolutionnaire du pouvoir gouvernemental. L'inertie de l'armée doit être surmontée. La révolution n'arrive à ce but qu'en provoquant un affrontement entre l'armée et les masses populaires. La grève générale crée les conditions favorables de cet affrontement. La méthode est brutale, mais l'histoire n'en connaît pas d'autre. »

Au moment où fut adoptée la “Charte d’Amiens”, en 1906, l’expérience avait tranché depuis longtemps. C’est elle qui guidait Marx et Engels au Congrès de La Haye : la Commune de Paris avait montré à certains égards la voie à suivre. Le prolétariat avait établi son propre pouvoir que centralisait le comité central de la garde nationale. En 1905 en Russie le prolétariat s’était centralisé dans les Soviets et notamment le Soviet de Saint-Pétersbourg, forme embryonnaire de son pouvoir politique.

.m2.

Faillite de l'anarcho-syndicalisme.m2.

 

Depuis l’adoption de la Charte d’Amiens plusieurs grèves générales ont eu lieu en France. Le capitalisme, les gouvernements et l’Etat bourgeois n’en sont pas moins restés en place. En 1936 à la suite des élections législatives une grève générale déferle. La question du pouvoir est sans aucun doute posée mais elle n’est pas résolue. Le gouvernement de Front Populaire que dirige Léon Blum qui comprend des ministres membres du parti radical et de la SFIO et est soutenu par le PCF organise les négociations de Matignon.

Le 9 juin, l’accord entre les dirigeants de la CGT et la CGPF (le CNPF d’alors) est conclu. Le gouvernement déposera des projets de loi sur les 40 heures, les congés payés, les conventions collectives. Les salaires seront réajustés selon une échelle décroissante : 25 % d’augmentation pour les salaires les plus bas, seulement 7 % pour les salaires les plus élevés (la moyenne d’ensemble ne devra pas dépasser 12 % ). Le patronat admet la désignation de délégués d’entreprises. Pas de sanction pour fait de grève. Les dirigeants de la CGT demandent aux travailleurs de reprendre le travail dès que, dans leur entreprise, des pourparlers s’engageront sur l’application des accords Matignon.

Par décrets-lois, le 13 novembre 1938 le gouvernement Daladier -Reynaud annule la plupart des “conquêtes” de juin 1936. La direction de la CGT appelle à une grève générale de 24 heures pour le 30 novembre. C’est un fiasco, qui va devenir une très dure défaite préludant au régime de Vichy : 800.000 licenciements temporaires ou définitifs (statistiques du ministère du travail).

En Mai-Juin 1968 une grève générale déferle : 10 millions de travailleurs y participent. Les dirigeants syndicaux la trahissent comme ils ont trahi celle de juin 1936. Ceux des centrales syndicales donnent le 26 mai leur accord au “constat de Grenelle” lequel déterminera les accords de branches qui mettront fin à la grève. Ce “constat” est très vaste et détaillé sans rien apporter d’essentiel. Exemple : “les salaires réels (du secteur privé) seront augmentés au 1er juin 1968 de 7 %, ce pourcentage comprend les hausses intervenues depuis le 1er janvier 1968 inclusivement. Cette augmentation sera portée à 10 % au 1er octobre 1968”. Ce qui, surtout compte-tenu de l’inflation, représente peu. Les dirigeants syndicaux se chargent de désagréger la grève générale. De Gaulle a chancelé mais est parvenu à se maintenir au pouvoir. Il dissout l’Assemblée Nationale. Les élections de fin juin 1968 portent à l’Assemblée Nationale une majorité écrasante de députés gaullistes.

C’est seulement en Russie sur l’orientation impulsée par le parti bolchevique que le prolétariat a pris le pouvoir en octobre 1917, qu’il a détruit l’Etat bourgeois, instauré un Etat ouvrier le pouvoir des Soviets (concrétisant ce qu’est la dictature du prolétariat), exproprié la bourgeoisie. Sauf à se faire les agents de la contre-révolution les syndicats ne pouvaient être que du côté du parti bolchevique, du coté du pouvoir soviétique. La dégénérescence de la révolution russe et du parti bolchevique, la naissance, la croissance, la victoire, - sur le prolétariat- de la bureaucratie stalinienne n’annihilent pas ce fait. Cette dégénérescence et le phénomène stalinien sont le produit de l’isolement de la Russie arriérée à tous points de vue, dévastée par quatre ans de guerre impérialiste et trois ans de guerre civile, dont le prolétariat était décimé, épuisé, littéralement saigné. La responsabilité en incombe aux partis de la IIème Internationale qui ont, en fait de “réformisme”, défendu et sauvé le régime capitaliste menacé par la montée révolutionnaire dans les principales puissances impérialistes d’Europe dont l’Allemagne. A cet isolement comme à la lutte contre la révolution montante, à celle pour la défense du régime capitaliste les appareils syndicaux ont pris une part active.

En France, notamment au lieu de répondre “ à la déclaration de guerre par une déclaration de grève générale révolutionnaire” la plupart des dirigeants syndicaux (comme ceux de la SFIO) se sont ralliés au gouvernement en place et à “l’Union Sacrée”.

.m2.Intolérance de la “Charte d’Amiens”

La “Charte d’Amiens” sous le prétexte d’unir en son sein tous les travailleurs “sans distinction d’opinion politique, philosophique ou religieuse” est d’une grande intolérance. Elle déclare :

“le congrès affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique se bornant à lui demander en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe en dehors”.

Pour elle il devrait donc y avoir une sorte de dédoublement de la personnalité : en dehors du syndicat et à l’intérieur des syndicats. Comme si cela était possible : le combat contre le capital et l’Etat bourgeois est indivisible, c’est le même à l’extérieur et à l’intérieur des syndicats. C’est pourquoi pour rassembler les travailleurs quelques soient leurs opinions (encore qu’il faut se situer dans la lutte des classes contre le patronat et l’Etat bourgeois, pour la défense des intérêts de classe du prolétariat) l’organisation syndicale doit permettre la libre expression des opinions, la constitution de tendances et courants. En réalité la Charte d’Amiens est rédigée de telle sorte qu’elle assure à l’appareil syndical un quasi monopole d’expression.

.m2.Que chacun cultive son jardiN

La Charte d’Amiens se conclut :

En ce qui concerne les organisations, le congrès décide qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale”.

A priori cela paraît incroyable. Pas questions de gouvernement, de lutte contre l’Etat bourgeois, pas non plus question de lutte politique -simplement “l’action économique qui doit s’exercer contre le patronat”. D’autre part chacun doit cultiver son propre jardin -”les partis et les sectes” peuvent de leur côté si cela leur convient, “poursuivre en toute liberté la transformation sociale”. Comme si le combat du prolétariat contre le régime capitaliste pouvait être scindé en deux parties s’ignorant l’une l’autre.

“La politique” n’est pas d’essence mystérieuse. C’est la forme la plus élevée de la défense par les différentes classes et couches sociales de leurs intérêts. Les partis politiques sont les instruments de cette défense. Lénine expliquait : “la politique est de l’économie concentrée”. Comment serait-il donc possible qu’une organisation syndicale qui se donne pour tache “l’émancipation intégrale” de la classe ouvrière ne combatte pas politiquement, soit indifférente aux “partis” ? En laissant le champ de l’action politique aux “partis”, en ne différenciant pas entre partis bourgeois et partis ouvriers les rédacteurs de la “Charte d’Amiens” et ceux qui s’en réclament (CF: Force Ouvrière) signifient qu’ils s’accommodent du pouvoir bourgeois, de ses gouvernements et donc du régime capitaliste. Ils ne combattent pas pour l’émancipation du prolétariat.

.m2.Une orientation réformiste

La Charte d’Amiens exprime sans doute des “aspirations” révolutionnaires “l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste”. Mais le préambule des statuts votés au congrès constitutif de la SFIO en 1905 aussi.

“Le parti socialiste est fondée sur les principes suivants :

- organisation politique et économique du prolétariat en parti de classe pour la conquête du pouvoir et la socialisation des moyens de production et d’échanges, c’est à dire transformation de la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste”.

La SFIO se dit être un “parti de réformes et de révolution”. Le parallélisme avec les formules utilisées à Amiens en 1906 est évident :

Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc”

Mais cette besogne n’est qu’un coté de l’œuvre du syndicalisme, il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste”.

C’est le congrès de la IIème Internationale qui se tient à Amiens du 14 au 20 Août 1904 qui exige du PSF et du PSDF qu’ils s’unifient. Mais la IIème Internationale avait condamné le révisionnisme de Berstein qui avait affirmé que le capitalisme se transformait progressivement et qu’il évoluait pacifiquement vers le socialisme. En conséquence le congrès fondateur de la SFIO se devait de condamner formellement le ministérialisme et le révisionnisme de Berstein. Mais en fait Jaurès a impulsé la SFIO. Trotsky a souligné dans le “programme de transition “ :

“ la social-démocratie classique, qui développa son action à l’époque où le capitalisme était progressiste divisait son programme en deux parties indépendantes l’une de l’autre : le programme minimum, qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise et le programme maximum qui promettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme. Entre le programme minimum et le programme maximum, il n’y avait pas de pont. La social-démocratie n’a pas besoin de ce pont, car, de socialisme, elle ne parle que les jours de fête”.

A l’évidence la “Charte d’Amiens” obéit à la même logique. C’est une Charte de caractère réformiste qui ne peut, aujourd’hui encore plus qu’hier, que désarmer la classe ouvrière.

VIII. -               Les dirigeants syndicaux et “la politique”

les appareils syndicaux : agents de la politique des gouvernements 1981-1993


Depuis que le quatrième article de la série “La crise du syndicalisme”, que CPS publie, a été écrit, l’étape du développement de la lutte des classes en France, qui a commencé par l’élection le 10 mai 1981 de Mitterrand, alors principal dirigeant du PS, à la présidence de la République et par l’élection, les 14 et 21 juin 1981 d’une majorité de députés à l’Assemblée Nationale membres du PS et du PCF, s’est terminée. Elle s’est terminée par une défaite écrasante du PS. C’est également une défaite de la classe ouvrière étant donné qu’aucune organisation ouvrière révolutionnaire ne s’est constituée, ne s’est construite, ne s’est implantée profondément dans le prolétariat et ne joue de rôle national important. Une nouvelle étape politique commence. A son point de départ : l’élection à l’Assemblée Nationale d’une écrasante majorité de députés membres du RPR et de l’UDF et l’important score du Front National qui lui permet d’aiguillonner la majorité RPR-UDF même s’il n’a pas, lui-même, d’élu.

Le gouvernement Balladur est le meilleur gouvernement que, compte tenu des données politiques actuelles, la bourgeoisie pouvait mettre sur pied. Ce gouvernement, appuyé sur l’immense majorité de députés RPR-UDF, qui siègent à l’Assemblée Nationale, a les moyens de laisser un certain jeu aux différents groupes de cette majorité lesquels ont leurs intérêts particuliers. En même temps il est aiguillonné par le Front National, notamment pour qu’il attaque les immigrés, parmi lesquels se trouve la partie du prolétariat français la plus facile à frapper. Ce gouvernement est le plus réactionnaire des gouvernements qui aient été au pouvoir depuis Vichy. Son programme illustre ce que Lénine expliquait de l’impérialisme : “C’est la réaction sur toute la ligne”. Il est inspiré du “programme commun de gouvernement” du RPR et de l’UDF et correspond à ce dont ont besoin le capitalisme français en crise (comme l’est tout le régime capitaliste), l’impérialisme français décadent — au moins dans un premier temps.

L’écrasante défaite du PS, la poursuite du recul électoral du PCF n’ont pas été des surprises ; pas plus que ne l’ont été l’élection d’une majorité de députés RPR-UDF à l’Assemblée Nationale, la constitution d’un gouvernement RPR-UDF aiguillonné par le FN, le programme et la politique de ce gouvernement. Ce sont les conséquences de la prise en charge des intérêts de la bourgeoisie, de l’impérialisme français, par les gouvernements que Mitterrand a formés et qui ont toujours intégré des ministres membres de formations politiques de la bourgeoisie, des “personnalités” appartenant au personnel politique de celle-ci. Des socialistes les ont dirigés. Ils ont été parlementairement couverts par les députés du PS et aussi, à chaque fois que nécessaire, par ceux du PCF.

Mais c’était insuffisant pour que ces gouvernement “tiennent” et que leur politique s’applique. Il a fallu que les appareils syndicaux la fassent passer. Contre cette politique, les dirigeants de la CGT, de FO, et de la FEN pouvaient réaliser le Front Unique, appeler en commun à une puissante manifestation nationale à l’Assemblée Nationale, qui aurait exigé des députés du PS et du PCF, lesquels ont été élus par la population laborieuse, qu’ils rompent avec la bourgeoisie, forment un gouvernement sans ministres bourgeois, condition première pour que soit menée une politique satisfaisant les revendications, les besoins et aspirations des travailleurs. Au contraire ils ont tout fait pour neutraliser la classe ouvrière et la jeunesse. Ils ont vidé de tout contenu, dévié, disloqué des mouvements réels, pleins de potentialités. Il leur est arrivé d’avoir recours à de fausses “grèves générales”, à des mouvements tournants, à des manifestations bidons, à des “actions” folkloriques pour user, épuiser la combativité ouvrière, donner aux travailleurs un sentiment d’impuissance, leur faire croire qu’ils n’avaient pas d’issue. Conjointement ils ont participé à tous les organismes, commissions, réunions, que le pouvoir a mis en place ou convoqués, pour élaborer et éventuellement appliquer sa politique. De même, ils ont “géré” toutes les institutions “paritaires” (patronat-syndicats) qu’ils pouvaient (SS, UNEDIC, etc).


Au nom de “l’indépendance des syndicats”


Après s’être fait des agents, quelques fois ouvertement (appareil de la FEN par exemple), des gouvernements des années 1981-1993, à l’approche des élections législatives des 21 et 28 mars 1993, les appareils syndicaux ont tenu à affirmer leur “neutralité politique”. L’Humanité du 6 février fait part en quelques lignes de la “non-consigne” de vote de la CGT :

“Lors de ses travaux, la CE de la CGT a adopté une déclaration au sujet de sa position pour les élections législatives. Dans ce texte la CGT indique qu’elle “n’a pas à donner de consigne de vote”. Soulignant que “le patronat entend s’appuyer sur le résultat des élections afin d’obtenir encore plus d’exonérations sociales, plus de moyens pour spéculer au détriment de la création réelle de richesses”, la CGT appelle “à rompre” avec “cette logique qui prévaut depuis de nombreuses années.””

Dans son éditorial de “FO-Hebdo”, n°2153, en date du 17 mars 1993, Marc Blondel spécifie ainsi la position de la Confédération FO :

“Par principe, et bien entendu cette fois encore, Force Ouvrière n’appellera pas les citoyens, directement ou indirectement, à voter pour tel ou tel parti, tel ou tel candidat. C’est une des conditions sine qua non de l’indépendance qui, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer, n’a rien à voir avec l’autonomie ou la neutralité.

Hier, comme aujourd’hui et demain, le rôle du syndicalisme indépendant est de représenter les intérêts collectifs et individuels des salariés quelle que soit leur situation (activité, retraite, chômage) et ce, quelque soit le gouvernement.

C’est aussi — il faut sans cesse le rappeler — une des conditions de la pérennité de la démocratie.

Contester le droit des salariés de se regrouper en un syndicat indépendant serait en effet ébrécher sérieusement la “démocratie et la liberté.””

Les dirigeants de la CGT ont rejoint ceux de FO. Après avoir, pendant des dizaines d’années, appelé à voter PCF ils ne prennent plus position, à l’occasion d’élections générales, pour ou contre les différents partis et organisations. Ils auraient été gagnés à la “philosophie” politique des dirigeants de FO. Si on prenait comme argent comptant les déclarations des uns et des autres, on resterait perplexe. Comment comprendre que les confédérations, les fédérations, les syndicats ouvriers ne distinguent pas entre les partis issus de la classe ouvrière et les partis bourgeois ? Il est impossible “de représenter les intérêts collectifs et individuels des salariés quelques soient leur situation (activité, retraite, chômage)” en se lavant les mains, en se désintéressant, de quel gouvernement peut ou va accéder au pouvoir à l’issue d’élections. (A propos de “salariés” il faudrait préciser. Les “salariés” appartiennent pour la plupart (mais pas tous) à une “catégorie sociale” qu’il vaut mieux appeler par son nom de classe : le prolétariat)

La société bourgeoise est divisée en classes. Les deux classes fondamentales de cette société sont le prolétariat et la bourgeoisie. Leurs intérêts sont non seulement antagonistes mais irréductiblement inconciliables. Que les confédérations, les fédérations, les syndicats ne se prononcent pas généralement, entre les différents partis issus de la classe ouvrière peut-être compréhensible. Mais les organisations et partis bourgeois sont les organisations et partis de la classe qui exploite le prolétariat, ce sont ceux du capital. Il est impossible de défendre les intérêts du prolétariat, sans les combattre, comme sans combattre les gouvernements bourgeois. Le moins est d’appeler à ne pas voter pour eux lors d’élections.


Les dirigeants syndicaux : nous sommes tous des “citoyens”


En prenant position ainsi qu’elles l’ont fait les directions de la CGT, de FO prétendent se situer en dehors et au dessus de la mêlée (les directions des organisation qui sont issues de l’ex-FEN ont pris des positions similaires). Elles affirment même que ne pas appeler “les citoyens, directement ou indirectement à voter pour tel ou tel parti, ou tel candidat… est une des conditions, sine qua non, de l’indépendance” des organisations syndicales ouvrières. D’abord il s’agirait de définir par rapport à qui et à quoi les organisations syndicales doivent-elles être “indépendantes”. Par rapport au patronat, aux partis, aux gouvernements, aux Etats bourgeois (jusqu’à présent en France il n’y a ni gouvernements, ni Etat ouvriers, ce n’est donc pas d’eux dont il peut s’agir). Mais le terme “indépendant” ne convient pas. Du point de vue des intérêts du prolétariat comme classe, il faut combattre sans cesse et jusqu’au bout, jusqu’à balayer les partis, les gouvernements, les Etats bourgeois. Il aurait fallu dire, il faut dire : les confédérations, les fédérations syndicales sont les ennemis inflexibles et mortels des partis, des gouvernements, des Etats bourgeois. A priori, leurs rapports avec les organisations politiques de la classe ouvrière doivent être de nature différente.

Mais à en croire les déclarations des différents appareils, des centrales, fédérations, syndicats ouvriers, la “politique” serait une sphère particulière dans laquelle évolueraient exploiteurs et exploités, bourgeois et prolétaires, chacun d’entre eux devenant du même coup un “citoyen” et perdant ses caractéristiques de classe. Le grand chaudron commun s’appellerait “la démocratie”. A cela s’oppose la définition de Lénine :”la politique c’est de l’économie concentrée”. C’est à dire que : “la politique” est la forme raffinée (dans le sens de produit raffiné, d’essence) dans laquelle s’expriment et s’affrontent les intérêts des différentes couches et classes sociales. Un authentique syndicalisme ouvrier ne peut rester en dehors de “la politique”.

En réalité les prises de positions des dirigeants syndicaux signifient, comme l’ont expliqués maintes fois ceux de Force ouvrière : il y a les intérêts généraux de l’ensemble de la société, dont font partie les différentes couches et classes sociales ; il y a les intérêts “particuliers” de chaque couche et classe sociale. L’Etat, les gouvernements sont les dépositaires et les défenseurs des intérêts généraux de la société. Il reste aux syndicats à défendre les intérêts particuliers “ des salariés”. Bien entendu les intérêts généraux de la société, communs à toutes les couches et classes sociales, bourgeois et prolétaires, dominent les intérêts particuliers. Avant d’être un bourgeois ou un prolétaire, chaque femme, chaque homme est d’abord un “citoyen”. Et là le “syndicalisme” n’a plus de droit. Il lui reste au mieux qu’à présenter des revendications à l’Etat que Blondel veut “indépendant des intérêts privés (sic), respectueux du principe républicain de laïcité” et dont il réclame qu’il respecte “les conquêtes sociales garanties de la cohésion du pays (c’est à dire de ses différentes couches et classes sociales, bourgeois et prolétaires) et de la lutte contre les inégalités”. L’Etat est évidemment représenté par les gouvernements. Au bout du compte : c’est la conception de l’Etat au dessus des classes, et des gouvernements qui le dirigent ; c’est le respect de l’Etat bourgeois ; c’est la soumission à la société bourgeoise ; c’est la collaboration des classes (“la cohésion du pays”) fut-elle, à certains égards et à certains moments, conflictuelle.


Pour un ministre qui “connaisse l’entreprise”


Il devient clair qu’en réalité le “principe” en fonction duquel les appareils syndicaux “n’appellent pas les citoyens, directement ou indirectement à voter pour tel ou tel parti, tel ou tel candidat” loin d’affirmer “l’indépendance” des syndicats est au contraire l’expression de la dépendance des appareils syndicaux par rapport à la société, aux partis, à l’Etat bourgeois et à leurs gouvernements. D’ailleurs il y a continuité bien visible, pour peu qu’on veuille la voir, entre la politique que les dirigeants syndicaux ont suivie avant les élections législatives des 21 et 28 mars 1993, celle qu’ils ont suivie à propos de ces élections et celle qu’ils suivent après ces élections. Ils ont protégé (voir plus haut), les gouvernements bourgeois que Mitterrand a constitués depuis 1981, du gouvernement de “l’union de la gauche”, au gouvernement Mitterrand-Bérégovoy-Durieux-Tapie-Soisson. Compte-tenu des rapports politiques existants alors, ils étaient les gouvernements dont avait besoin la bourgeoisie. Ils faisaient sa politique, et étaient les dirigeants du moment de l’Etat bourgeois. Au cours des mois et des semaines qui ont précédé les élections à l’Assemblée Nationale les dirigeants des organisations syndicales sont soi-disant restés “en dehors de la mêlée”, se gardant bien d’expliquer ce que signifierait pour la classe ouvrière la victoire électorale des partis bourgeois, une majorité à l’Assemblée Nationale et un gouvernement RPR-UDF aiguillonnés par le FN. Mais le dimanche 4 avril Marc Blondel était l’invité de l’émission “l’heure de Vérité”. Le petit dialogue suivant est édifiant, quant à “l’indépendance” de la direction de FO et ses rapports avec le gouvernement Balladur :

Journaliste :

“...Nous avons un nouveau gouvernement, quel signe souhaitez-vous lui  adresser...”

M. B. :

“...Mon rôle c’est d’aller vers M. Balladur en lui disant : voilà quelles sont les préoccupations des salariés. Nous avions des revendications avant votre arrivée, on maintient ces revendications...Je porterai jugement en fonction des réponses qui me seront apportées...Nous sommes, peut-être, un peu trop tôt (pour juger) puisque le discours de politique générale aura lieu dans quelques jours et que vraisemblablement il y aura consultation des ministères sur les différents problèmes...”

Journaliste :

“...Est-ce que M. Balladur vous a consulté sur le nom de son ministre du travail ?...”

M. B. :

“ça ne s’est pas passé tout à fait comme çà pour différentes raisons : d’abord parce que je crois que les choses étaient réfléchies (préparées)... Pour tout vous dire, les consultations n’ont pas été des consultations directes...Mais je peux certifier que l’organisation syndicale a pesé sur certains choix...Il y a eu des noms qui nous ont fait sursauter et que nous aurions considéré comme des provocations, et nous (avons dit) que nous aimerions pour certains secteurs comme le ministère du Travail avoir des gens qui connaissent au moins l’entreprise au moins les préoccupations des travailleurs c’est plus utile... Soyons clairs, c’est pas nouveau, lorsqu’on a nommé Mme Aubry je m’en suis félicité, je me suis dit c’est quelqu’un qui a fait de la théorie et qui est allé en entreprise, elle aura un sens pratique; disons qu’il y a eu une démarche à peu près semblable de la part de FO et pour être clair que l’on en a tenu compte”.

Au premier coup de sifflet du nouveau gouvernement lui et les autres dirigeants syndicaux se sont précipités à Matignon.


 

IX. -                     la participation

Un nouveau stade de la “participation”


Il faut rappeler ce qu’Edouard Balladur expliquait dans son discours programme prononcé le 8 avril devant l’Assemblée Nationale, discours dans lequel il définit ce qu’est “la participation”, comment elle doit fonctionner, quels sont ses objectifs. Le gouvernement convoque deux conférences, les dirigeants des organisations syndicales y sont conviées. Les buts sont clairement affirmés :

“Notre objectif, je crois indispensable d’y revenir, est d’établir en liaison avec les organisations syndicales et professionnelles (patronales NDLR)...les bases d’une loi quinquennale de lutte pour l’emploi dont le but sera de rechercher tous les moyens de développer l’emploi, notamment en abaissant le coût du travail, en assouplissant les contraintes pesant sur l’emploi, en développant la formation et l’apprentissage des jeunes qui constituent à mes yeux une impérieuse nécessité” (Ce qui est souligné l’est par CPS).

Dans une de ces conférences :

“à laquelle je me propose de convier les organisations syndicales aura pour objectif d’étudier toutes les mesures permettant de parvenir à un équilibre durable des régimes de maladie, de vieillesse et d’assurance-chômage. La aussi notre but est d’établir une loi quinquennale en accord avec les partenaires sociaux. A mes yeux les principes en sont clairs mais il faut vérifier qu’ils peuvent recevoir une large approbation : séparation de la gestion de chaque risque, consolidation financière de chaque risque, grâce aux mesures qui viennent d’être évoquées, gestion de chaque risque par une plus grande participation des partenaires sociaux selon les principes du paritarisme vers lequel il faut tendre, la tutelle de l’Etat étant allégée”.

Les “mesures” qui viennent d’être évoquées sont : “la création d’un fond (qui) sera destiné à solder les comptes de la gestion précédente. Ce fonds sera alimenté par des recettes provenant d’une augmentation de la fiscalité indirecte”. C’est ainsi qu’entre autres mesures, la CSG a été portée de 1,1% à 2,4%.

Balladur précisait : “L’Etat doit conserver une responsabilité essentielle, veiller à ce que, par une politique de facilité, on ne s’engage dans un cycle de croissance continue des dépenses nécessitant une croissance continu des cotisations. Votre assemblée (l’Assemblée Nationale), lors de l’examen de la loi quinquennale, aura l’occasion de décider s’il y a lieu pour le Parlement de se prononcer à échéance régulière sur les conditions dans lesquelles cette discipline est respectée”. En bref : la gestion paritaire reviendra à appliquer dans chaque caisse le budget social que le gouvernement et l’Assemblée Nationale auront fixé et décidé.

Balladur en rajoutait encore : “Le troisième dispositif de la réforme sociale c’est l’amélioration du statut des salariés. Il s’agit de développer davantage la participation à la gestion des entreprises, à leur capital et à leurs profits ; il s’agit de supprimer les entraves de l’intéressement instituées lors de la précédente législature ; il s’agit de tendre à l’augmentation du salaire direct grâce au transfert progressif de la charge des cotisations familiales vers l’ةtat, ce qui permettrait également de développer les retraites complémentaires”.

Nulle équivoque. Balladur développait tout un processus. D’abord et avant tout obtenir que les organisations syndicales participent aux “conférences” et par là même acceptent de s’engager dans le processus et le cautionnent. D’autant que c’est le gouvernement et lui seul qui détermine l’ordre du jour, le contenu de ces conférences. Ensuite si possible : étendre “la participation” à l’élaboration de certaines lois. Après : tenter que les organisations syndicales soient parties prenantes de leur application. Enfin et éventuellement : déboucher sur l’association capital-travail, et, en même temps sur la retraite par “capitalisation”. Mais ces derniers points restent des objectifs lointains. Pour l’instant le gouvernement veut impliquer le plus possible les organisations syndicales dans la “participation”. Il ne s’agit pas encore de les détruire en réalisant le corporatisme. Mais jusqu’à présent rien n’oblige les organisations syndicales à “participer”. Sinon la volonté des appareils syndicaux de le faire en raison de leurs liens avec la société bourgeoise et son Etat.


La “participation” mise en pratique


Balladur a fixé au 23 avril la première conférence qu’il avait annoncée. Viannet, Secrétaire Général de la CGT, a déclaré que cette conférence était sans intérêt. Marc Blondel, secrétaire Général de FO a proclamé qu’il s’agissait d’une “grande messe”. Mais ils s’y sont précipités. Selon “Le Monde” des 25 et 26 avril :

“Marc Blondel, Secrétaire Général de FO impressionné par la technique et l’allure du premier ministre (confiait à sa sortie) : “Il nous a fait un numéro d’ENA. Après chaque sujet il faisait la synthèse en trois minutes.”

Chacun ayant pu s’exprimer, tous déclarent avec une satisfaction non dissimulée que la séance, commencée le matin, avait été “fructueuse”. Seule la CGT manifestait sa réserve en affirmant qu’elle avait participé à “une information à sens unique” qualifiant la réunion de “non-débat qui n’a pas eu de résultat.””

Deux jours après Guy Le Nouanic, ex-FEN, écrivait un éditorial : “La Table ronde qui vient de se tenir a relancé le dialogue social” et ‘“il faudra voir si les organisations syndicales sauront choisir entre surenchère et démagogie ou responsabilité” (“FEN actualités” du 25 avril). Dans le journal du SNES on pouvait lire au même moment : “Les premiers choix qui sont faits par le nouveau gouvernement marquent une grande continuité avec des solutions économiques déjà expérimentées depuis de longues années” (“L’US” du 23 avril). Quand à Jean-Claude Barbarant, Secrétaire du SE, il a du mal à contenir sa joie : “Ne boudons pas notre satisfaction”. (“L’enseignant” du 2 mai)

Quelques jours plus tard, interrogé dans l’émission de “France Inter” “Question par A plus B”, Marc Blondel exprimait son opinion sur la conférence à laquelle Balladur avait convié, le 23 avril, les dirigeants syndicaux. On peut considérer que c’est là l’opinion générale des dirigeants syndicaux.

Question : “Est-ce que le dialogue social instauré par Edouard Balladur vous apparaît différent de ce qu’il était précédemment ?

Blondel : Oui. Préalablement, je l’ai dit, je le répète, je crois que l’une des erreurs du gouvernement de gauche a été de nous considérer comme faisant parti des partenaires permanents et, lorsque les décisions étaient prises, elles ne devaient pas donner lieu à contestation, dans la limite ou celui-ci espérait qu’il représentait l’intérêt général, y compris l’intérêt des salariés, et le dialogue était, de cette façon, rompu.

Là Monsieur Balladur est beaucoup plus clair et la conférence de vendredi a été tout à fait démonstrative sur la question. Nous sommes des interlocuteurs, nous discutons et c’est lui qui décide ensuite. C’est son rôle. Il sera jugé la dessus. Je crois que c’est bien. Ca veut dire qu’on va restaurer le rôle du syndicat. L’interlocuteur sera l’organisation syndicale. Dans le cas d’espèce nous allons critiquer tout ce qui nous semble critiquable (dans) les propositions qui nous sont faites. Mais nous ne les connaissons pas. Je suis comme vous. Je lis les journaux. J’écoute. Bon !”

A l’évidence Blondel estime que ce gouvernement est, pour les organisations syndicales, bien meilleur que le précédent puisqu’il “va restaurer le rôle du syndicat… l’interlocuteur sera l’organisation syndicale”. En réalité le gouvernement Balladur porte à un niveau supérieur la politique de “participation”, et Blondel comme ses “confrères” dirigeants syndicaux répond présent.

Très rapidement Balladur recevait à nouveau les représentants des organisations syndicales en les personnes des dirigeants des organisations de fonctionnaires (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, ex-FEN, FO, FGAF). Solennellement entouré de quatre ministres, il leur annonçait qu’il n’y aurait pas d’augmentation nominale des salaires des fonctionnaires en 1993, ce qui correspond à une perte sèche du pouvoir d’achat d’environ 3% pour autant que l’on puisse prévoir ce que sera la hausse des prix. Ce qui s’ajoutera : à la ponction résultant de l’augmentation de la CSG ; aux mesures prévues concernant le régime des retraites (40 annuités au lieu de 37,5 pour obtenir le maximum, calcul sur les 25 au lieu des 10 meilleurs années) etc… etc.

Parallèlement s’engagent les “négociations” pour renflouer l’UNEDIC, une fois de plus en faillite et qui le sera, quelques soient les mesures prises, encore un peu plus à la fin de l’année. En effet le gouvernement prévoit d’ici là 340.000 nouveaux chômeurs qui s’ajouteront aux plus de 3 millions existant déjà. Le CNPF pose trois préalables au maintien des cotisations actuelles jusqu’au 31 décembre 1993 : la dégressivité dès le quatrième mois où elles sont versées, des allocations ; l’allongement de la durée d’affiliation à l’UNEDIC pour avoir droit aux allocations de chômage ; l’allongement des différés d’indemnisation.

Ce n’est pas forcer la vérité que de constater que la réaction des dirigeants des centrales, fédérations, syndicats à l’attaque brutale du gouvernement contre le pouvoir d’achat des travailleurs, à sa prévision de porter de 37,5 à 40 ans le nombre d’annuités nécessaires pour avoir droit au maximum de retraite, à l’abaissement de ce maximum, aux menaces contre le régime de santé, contre les allocation de chômage, etc, est nulle, car il faut considérer comme telle la journée d’action que la direction de la CGT a organisée le 27 mai. Les autres directions syndicales se contentent de mots. Au cours de la CE confédérale de FO du 17 mai 1993 : “Face à l’accentuation de l’austérité et aux intransigeances provocatrices du patronat, nous avons décidé de faire, jusqu’à notre prochain Comité Confédéral national des 23 et 24 juin, une campagne de sensibilisation des salariés actifs, chômeurs et retraités, alliant affiches, tracts, vidéos-réunions… 100 réunions seront ainsi organisées d’ici le CCN sur toute la France”, nous informe Blondel dans “FO-Hebdo” n°2163 daté du 26 mai. Ni les uns, ni les autres n’envisagent de rompre la “participation”, du sommet à la base, de la présence aux “conférences” organisées par Balladur, à tous les organismes mis en place par le gouvernement, le patronat, à cet effet.


X. -                        Les partisans d’un capitalisme honnête et social

La “relance” par la “consommation”


Pourtant à la veille des élections, dans le n°2153 de “FO-Hebdo”, daté du 17 mars, Marc Blondel avait écrit un éditorial intitulé “Exigences sociales”, où il affirmait “qu’aujourd’hui comme demain, nous aurons à faire connaître les analyses, positions et revendications qui concernent l’ensemble des salariés actifs, chômeurs et retraités. A nouveau nous entendons donc les rappeler”. Il les énumère et les développe : “Au premier rang, nous inscrivons la priorité de la lutte contre le chômage” … “Deuxième priorité : la Sécurité Sociale” … “3 : les salaires” … “4 : la pratique contractuelle” … “5 : l’Europe et l’Internationale”.

De son côté la direction de la CGT a formulé le 31 mars sa ligne d’action et ses “revendications”:

La CGT “entend assumer son rôle de syndicat. Il y a une nouvelle Assemblée Nationale. Il y a un nouveau gouvernement. La CGT n’a pas une conception de son rôle à géométrie variable en fonction de la nature du gouvernement. Elle jugera aux actes. Elle demande que le gouvernement reçoive dans les meilleurs délais les partenaires sociaux. Des dossiers urgents, cruciaux, ne peuvent être différés : l’emploi avec des négociations globales et diversifiées autour du socle de la réduction à 35 heures de la durée du travail sans perte de salaire. ; le pouvoir d’achat pour vivre mieux tout de suite, avec le SMIC à 7.500 francs, relancer la consommation, renflouer les régimes de protection sociale ; l’assurance chômage avec des mesures urgentes pour maintenir les droits des chômeurs et assurer un juste financement ; la protection sociale pour en assurer l’avenir pour toutes les tranches d’âges dans le domaine de la santé, des retraites, etc…”

Mais tout ça, c’est pour l’affiche. La pratique c’est la “participation” à tous les niveaux (dans laquelle les dirigeants FO retrouvent sous le gouvernement Balladur une place clé et privilégiée) ce sont les “actions” bidons, disloquées et disloquantes dont la direction de la CGT est la principale instigatrice et organisatrice. Les rôles sont distribués.

D’ailleurs dirigeants FO et dirigeants CGT (et c’est la même chose pour les organisations syndicales issues de l’éclatement de la FEN) situent leurs “revendications” dans le cadre du maintien et de la défense du régime capitaliste en crise. Blondel ne cesse de le répéter, l’objectif de FO c’est : “une relance concertée dans une Europe axée sur un renforcement de sa dimension politique et la mise en place d’un droit social européen”. Il reprend la vieille formule éculée du réformisme : la “relance par la consommation”. Il “oublie” un rien, un détail : le mode de production actuel est le mode de production capitaliste, dont le moteur est la production et la réalisation de la plus-value, le profit, qui sont d’autant plus grands que la classe ouvrière est exploitée. Il y a longtemps que Marx a souligné que :

“Le système capitaliste ne connaît d’autres modes de consommation que payants, à l’exception de ceux de l’indigent ou du “filou’” Dire que les marchandises sont invendables ne signifie rien d’autre que : il ne s’est pas trouvé pour elles d’acheteurs capables de payer, donc de consommateurs (que les marchandises soient achetées en dernière analyse pour la consommation productive ou individuelle). Mais si pour donner une apparence de justification plus profonde à cette tautologie, on dit que la classe ouvrière reçoit une trop faible part de son propre produit, et que cet inconvénient serait pallié dès qu’elle en recevrait une plus grande part, dès que s’accroîtrait en conséquence son salaire, il suffit de remarquer que les crises sont chaque fois préparées justement par une période générale des salaires, où la classe ouvrière obtient effectivement une plus grande part de la fraction du produit annuel destinée à la consommation. Du point de vue de ces chevaliers, qui rompent des lances en faveur du “simple” (!) bon sens, cette période devrait au contraire éloigner la crise. Il semble donc que la production capitaliste implique des conditions qui n’ont rien à voir avec la bonne ou la mauvaise volonté, qui ne tolèrent cette prospérité relative de la classe ouvrière que passagèrement, et toujours seulement comme signe annonciateur d’une crise”. (“La reproduction simple” — “Le Capital” Livre deuxième Tome II. « Editions Sociales » — page 63)

Plus loin Marx explique encore :

“C’est l’appropriation de travail non payé et le rapport entre ce travail non payé et le travail matérialisé en général ou, pour parler en langage capitaliste, c’est le profit et le rapport entre ce profit et le capital utilisé, donc un certain niveau de taux de profit qui décident de l’extension ou de la limitation de la production, au lieu que ce soit le rapport de la production aux besoins sociaux, aux besoins d’êtres socialement évolués. C’est pourquoi des limites surgissent déjà pour la production à un degré de son extension, qui, sinon, dans la seconde hypothèse, paraîtrait insuffisante et de loin. Elle stagne non, quand la satisfaction des besoins l’impose, mais là où la production et la réalisation du profit commandent cette stagnation”. (“Les contradictions internes de la loi” — “Le Capital” Livre troisième Tome I. “Editions Sociales” — page 271)


Dans le cadre du régime capitaliste


Pérette allant au marché vendre son pot de lait énumérait tout ce que, par un développement en chaîne, la vente de celui-ci lui permettrait de faire. Blondel, mais aussi Viannet et autres énumèrent tous les bienfaits qui découleraient en chaîne de “la relance”: fin du déficit de la Sécurité Sociale, fin du déficit de l’UNEDIC, libres négociations des salaires, etc… etc. (S’il ne s’agissait pas de la classe ouvrière, de son sort, ce que Blondel écrit serait à mourir de rire : la “réhabilitation de la politique contractuelle passe, à n’en pas douter, à la fois par des dispositions législatives et une volonté réelle de l’interlocuteur patronal”. Les dispositions législatives du gouvernement du capital ne peuvent aller, en particulier en temps de crise, que dans le sens de l’augmentation du taux de profit et la “volonté réelle de l’interlocuteur patronal” également) Ils oublient seulement que dans le cadre du régime capitaliste la “relance” exige la hausse du taux de profit et la hausse du taux de profit lui a comme condition l’accentuation de l’exploitation de la classe ouvrière. Les Blondel, Viannet, et autres se situent pleinement et entièrement dans le cadre de la CEE, l’Europe des capitalismes, où la crise et les contradictions s’accentuent lesquelles exigent pour faire face à la concurrence, pour maintenir le taux de profit, la baisse des salaires réels, la dégradation des conditions de travail et de vie du prolétariat, la liquidation des ses droits acquis, de ses conquêtes sociales.

Il existe aussi une espèce particulière qui a découvert une nouvelle panacée hautement morale et “révolutionnaire”: supprimer les profits spéculatifs et les utiliser pour “investir productivement”. C’était simple. Encore fallait-il y penser. Il s’agit de faire le tri entre les bons et les mauvais profits, les bons et les mauvais capitalistes. En bref il s’agit d’assainir le régime capitaliste en l’épurant du capital financier. L’ennui est que ce n’est pas plus réalisable que de faire vivre un corps sans bile, ni humeurs, ni sécrétions, ni déjections ; et aussi que les capitaux pour s’investir réclame un taux de profit suffisant, qu’il résulte ou non de la spéculation. En outre investir productivement des capitaux fictifs n’est pas à la portée de n’importe quel bipède. Mais laissons là.

Force est de constater que si les dirigeants CGT revendiquent le SMIC à 7.500 francs par mois, aucune direction syndicale ne revendique le rattrapage du pouvoir d’achat perdu par les salaires depuis 1982. Pourtant FO chiffre à 15% la perte de pouvoir d’achat en ce qui concerne les fonctionnaires. Bien entendu la revendication d’échelle mobile des salaires est complètement ignorée. Restant dans le cadre du régime capitaliste les directions des organisations syndicales s’inclinent nécessairement devant les “revendications” multiples et sans fin du patronat et de son gouvernement. Il se font la courroie de transmission dans les rangs de la classe ouvrière de la politique du capitalisme en crise.

Il faut aussi souligner le scandaleux silence des dirigeants des confédérations, des fédérations, des syndicats sur la politique anti-immigrés du gouvernement Balladur. Comme si en se situant seulement du point de vue de la défense des libertés démocratiques celle-ci était tolérable, sans importance. Mais qui plus est la politique anti-immigrés du gouvernement Balladur est l’enveloppe d’une politique anti-ouvrière qui frappe la partie du prolétariat français la plus exposée aux coups. C’est un aspect de la politique du gouvernement contre le prolétariat français dans son ensemble.


XI. -                     L’alternative

Pour “un plan transitoire du capitalisme au socialisme”


Toutes ces questions ne sont pas nouvelles. Ainsi en 1934, la direction d’alors de la CGT (apparemment plus “radicale” que les directions syndicales d’aujourd’hui) avait élaboré “un plan” pour surmonter la crise. Trotsky a rédigé une intervention à propos de ce plan, que Bardin lut, en son nom à lui Boudin, au CCN de la CGT des 18 et 19 mars 1935. Sous une forme appropriée Trotsky soulevait les questions clés :

“Camarades il est bien difficile de dire aux ouvriers et paysans “Nous voulons la rénovation de l’économie nationale”, alors que tout le monde se sert maintenant de la même expression. Et le plan de la CGT ? S’agit-il de rénover l’économie capitaliste ou de la remplacer par une autre ?...

Au capitalisme actuel, qui se survit depuis longtemps, nous ne pouvons opposer que le socialisme. Comme propagandiste de notre organisation syndicale je crois exprimer l’idée de beaucoup de militants en demandant que le plan de rénovation économique soit dénommé le Plan des mesures transitoires du capitalisme au socialisme”.

Parlant du capitalisme financier Trotsky ne mettait pas en avant la “suppression des profits spéculatifs” mais :

“il faut (l’)exproprier, il faut (le) détrôner, il faut rendre au peuple spolié ce qui lui appartient. Ce serait un bon commencement pour la réalisation du Plan. Je propose...d’inscrire cette mesure dans le texte du Plan”

Précédemment Trotsky avait insisté sur la nationalisation des banques et ensuite il déclarait :

“Nous nous félicitons en tout cas du fait que la dernière rédaction du Plan pose la thèse suivante : “La nationalisation de certaines industries clés est nécessaire”. Cependant, le mot “certaines” parait superflu. Nous ne pouvons pas, naturellement, prétendre nationaliser d’un seul coup toutes les industries, les petites, les moyennes, les grandes...Mais le texte parle explicitement des industries-clés, c’est à dire des trusts et des cartels, des congrégations...En tant qu’industries-clés, il faut les nationaliser toutes et pas “certaines”” seulement”.

Mais quelles doivent être les conditions d’acquisition ?

“Pas de rachat ! Pas de nouvel esclavage ! L’expropriation pure et simple, ou si vous voulez, la confiscation”.

Trotsky précise que le plan de la CGT est bien loin d’être un véritable Plan pouvant orienter l’économie. Pour qu’il le devienne une condition est nécessaire il faut que se réalise le contrôle ouvrier :

“Pour que la nationalisation s’opère, non pas bureaucratiquement, mais révolutionnairement, il faut que les ouvriers y participent à chaque étape. Il faut qu’ils s’y préparent dès maintenant. Il faut qu’ils interviennent dès maintenant dans la gestion de l’industrie et de l’économie toute entière sous la forme du contrôle ouvrier en commençant par leur usine. Le Plan, qui envisage ce contrôle sous la forme de collaboration de classes, en mettant la représentation ouvrière en minorité devant la bourgeoisie, (voir conseils d’industrie) prescrit par surcroît que le délégué de chaque catégorie de producteurs doit être nommé par l’”organisation professionnelle”. Nous ne pouvons pas nous faire à cette proposition...Le comité de contrôle dans chaque usine ne doit pas être composé seulement des délégués du syndicat, c’est-à-dire du quinzième des ouvriers. Non, il doit être élu par tous les ouvriers de l’usine, sous la direction du syndicat. Ce serait là le vrai commencement de la démocratie ouvrière libre et honnête, par opposition à la démocratie bourgeoise corrompue jusqu’à la moelle”.

A l’évidence le mot d’ordre, la revendication, la mise en pratique du contrôle ouvrier, l’élaboration du plan exige la tenue de congrès à tous les niveaux, jusqu’au niveau national, des comités de contrôle ouvrier. De même le plan doit inclure les revendications de la classe ouvrière, salaires, échelle mobile des salaires, horaire journalier et par semaine en fonction du travail à réaliser et dans tous les cas sans diminution de salaire.


La question du pouvoir


Reste la grande question qui conditionne tout :

“Qui est-ce qui nationalisera les banques, les industries-clés, viendra en aide aux paysans, introduira la semaine des quarante heures, en un mot appliquera le programme de la C.G.T ?

Cette question, camarades est décisive. Si elle reste sans réponse, le Plan tout entier reste suspendu en l’air.

Voici comment l’objectif du plan est défini : “Il s’agit d’établir(...) les modalités techniques d’un programme qui puissent être appliqué indépendamment du régime politique”... Disons -le franchement et ouvertement, cette prétendue indépendance du Plan à l’égard du régime politique annihile sa valeur réelle en le plaçant en dehors de la réalité sociale...

...Ce ne sont naturellement pas les formes constitutionnelles ou bureaucratiques du régime étatique qui nous intéressent en ce moment. Mais il y a une question qui domine toutes les autres, c’est celle-ci : quelle est la classe qui détient le pouvoir...

...Il faut le dire carrément : seul un gouvernement révolutionnaire, celui des ouvriers et des paysans, prêt à la lutte implacable contre tous les exploiteurs, peut appliquer le Plan, le compléter, le dépasser dans la voie du socialisme. Cela signifie, pour le prolétariat : conquérir le pouvoir...

...Il est absurde et même criminel de chercher les bonnes volontés dans la bourgeoisie en brisant et en paralysant la bonne volonté révolutionnaire du prolétariat. Il nous faut, coûte que coûte, le front unique de notre classe : l’unité syndicale en premier lieu, l’unité d’action de toutes les organisations ouvrières, syndicales, politiques, coopératives, éducatives et sportives avec un but précis : l’application du plan de nationalisation ou de socialisation par la conquête du pouvoir” (“Du plan de la CGT à la conquête du pouvoir” — “Le mouvement communiste en France “ Pages 485 à 498)

En quelques pages, à partir d’un exemple concret, dans une situation économique, sociale et politique, où sévissait la crise économique, Trotsky définit à grands traits l’orientation qu’aurait suivie une direction de centrale syndicale réellement au service de la classe ouvrière : combattre sur et pour un programme de transition du capitalisme au socialisme. Tous les Blondel, les Viannet et autres s’indignent : “ce serait mettre en cause l’indépendance des syndicats par rapport à l’Etat, aux gouvernements et aux partis”. Ce faisant il ne font que prouver qu’ils sont dépendants de l’Etat, des gouvernements, des partis bourgeois et qu’ils veulent, de plus en plus, être indépendants de la classe ouvrière.


Congrès de l’UD-FO de Paris, de la Fédération FO de la métallurgie


Les liens entre les appareils des centrales, fédérations, syndicats et la bourgeoisie, l’Etat, les gouvernements bourgeois se resserrent d’autant plus que s’aggrave la crise économique et financière du régime capitaliste. L’année dernière les tendances UID et UA de la FEN ont fait exploser celle-ci pour détruire un des principaux obstacles à la politique de la bourgeoisie qui vise à détruire le corps enseignant et l’enseignement public et pour se mettre au service d’un éventuel gouvernement RPR-UDF. (voir les articles publiés depuis un an dans CPS, portant sur la crise et l’explosion de la FEN). Dans la CGT un puissant courant s’est affirmé pour que cette centrale pratique un “syndicalisme” conforme “aux réalités de notre époque” et “newlook”. La direction de la CGT le suit sur ce chemin (voir l’article de la série “crise du syndicalisme”). A FO deux congrès viennent de se tenir, celui de l’Union départementale de Paris et celui de la Fédération des métaux. A en croire le n° 2161 de “FO-Hebdo” (12 mai 1993) : au congrès de l’union départementale de Paris :

“Une quarantaine de délégués sont intervenus à la tribune pour contribuer à un débat animé autour de questions brûlantes d’actualité pour le mouvement syndical, le partage du travail, la gestion prévisionnelle des emplois et les compétences ou encore sur les “conseillers des salariés” dans les petites et moyennes entreprises. Les différences de points de vue se sont traduites par la présentation de deux résolutions générales aux congressistes : l’une soutenue par Jacques Mairé (celle favorable à ces “nouveautés”) a recueilli 629 voix et l’autre 269”.

Le numéro 2162 de “FO-Hebdo” (19 mai) informe lui qu’au congrès de la Fédération de la métallurgie le Secrétaire Général Michel Huc a expliqué que:

“Il s’agit de “ négocier une nouvelle organisation du travail -aménagement du temps de repos plutôt qu’heures supplémentaires - et négocier pour embaucher”. Et de préciser “Nous devons, dans nos syndicats, dans les comités d’entreprises, que nous gérons, faire en permanence la balance entre les objectifs économiques de l’entreprise, l’utilisation des technologies et l’emploi””.

Ensuite poursuit l’article de “FO-Hebdo” Huc dit :

“La CFDT comme la CFTC sont membres de la FEM (Fédération Européenne de la métallurgie dont la Fédération FO de la métallurgie est membre) ; la CFDT est également membre de la FIOM ; cela implique que toutes les résolutions votées au niveau de ces instances nous sont communes. Mieux même, un certain nombre d’actions décidées le sont en commun. “Citant l’exemple du 2 avril, il a ajouté “ce sera de plus en plus vrai, en particulier avec la mise en place des comités d’entreprises européens”. Constatant qu’en cas de “partage de zones entre FO et la CFDT, les salariés votent pour la plus forte “ le Secrétaire Générale de la fédération des métaux a souhaité que FO se renforce. D’où sa proposition de “mettre en place dans les régions et les départements des structures rassemblant les fédérations FO du privé comme pour les fonctionnaires” (concurrence avec les Unions départementales et adaptation à la décentralisation);

A ce même congrès un débat a été ouvert portant sur la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC). De très nombreux responsables de Fédérations du privé, d’unions départementales, dont Jacques Mairé Secrétaire de l’UD de Paris, y ont participé. Ce congrès a été un lieu de rassemblement d’une force qui à l’intérieur de FO s’organise sur l’orientation d’un “syndicalisme” type CFDT. Cette force sera, au minimum, un très fort moyen de pression sur la direction de FO déjà profondément engagée dans la “participation”.


Conclusion : la position du comité

Le IIIème Congrès de l’IC et les syndicats


Les “principes” que les directions syndicales affichent, dits “d’indépendance” des organisations syndicales, en réalité de dépendance de celles-ci par rapport à la société bourgeoise, à ses partis, à ses gouvernements, à son Etat rappellent l’analyse que la IIIème Internationale faisait de “l’Internationale (syndicale) jaune d’Amsterdam) :


La devise de la « neutralité » ou de « l'apolitisme » des syndicats a déjà derrière elle un long passé. Au cours d'une dizaine d'années, cette idée bourgeoise a été inoculée aux syndicats d'Angleterre, d'Allemagne d'Amérique et des autres pays, tant aux chefs des syndicats bourgeois à la Hirsch-Dunker qu'aux dirigeants des syndicats cléricaux et chrétiens, tant aux représentants des soi-disant syndicats libres d'Allemagne qu'aux leaders des vieilles et pacifiques trade-unions anglaises, et à beaucoup d'autres partisans du syndicalisme. Legien, Gompers, Jouhaux, Sidney Webb, pendant des années et des dizaines d'années, ont prêché aux syndicats la neutralité.

En réalité, les syndicats n'ont jamais été neutres et n'auraient jamais pu l'être, même s'ils l'avaient voulu. La neutralité des syndicats ne pourrait être que nuisible à la classe ouvrière, mais elle est même irréalisable. Dans le duel entre le travail et le capital, aucune grande organisation ouvrière ne peut demeurer neutre. Par conséquent les syndicats ne peuvent pas être neutres entre les partis bourgeois et le parti du prolétariat. Les partis bourgeois s'en rendent parfaitement compte. Mais de même que la bourgeoisie a besoin que les masses croient à la vie éternelle, elle a besoin qu'on croie également que les syndicats peuvent être apolitiques et peuvent conserver la neutralité à l'égard du parti communiste ouvrier. Pour que la bourgeoisie puisse continuer à dominer et à pressurer les ouvriers pour en tirer sa plus-value, elle n'a pas besoin seulement du prêtre, du policier, du général, il lui faut encore le bureaucrate syndical, le « leader ouvrier » qui prêche aux syndicats ouvriers la neutralité et l'indifférence dans la lutte politique.

Même avant la guerre impérialiste, la fausseté de cette idée de neutralité devenait de plus en plus évidente pour les prolétaires conscients d'Europe et d'Amérique. A mesure que les antagonismes sociaux s'exaspèrent, le mensonge devient encore plus frappant. Lorsque commença la boucherie impérialiste, les anciens chefs syndicaux se trouvèrent contraints de jeter le masque de la neutralité et de marcher franchement chacun avec « sa » bourgeoisie.

Pendant la guerre impérialiste, tous les social-démocrates et les syndicalistes, qui avaient passé des années à prêcher aux syndicats l'indifférence politique, lancèrent en réalité ces mêmes syndicats au service de la plus sanglante et de la plus vile politique des partis bourgeois. Eux, champions hier de la neutralité, on les voit agir maintenant comme les agents déclarés de tel parti politique, sauf un seul, le parti de la classe ouvrière.

Après la fin de la guerre impérialiste, ces mêmes chefs social-démocrates et syndicalistes essayent de nouveau d'imposer aux syndicats le masque de la neutralité et de l'apolitisme. Le danger militaire étant passé, ces agents de la bourgeoisie s'adaptent aux circonstances nouvelles et, de plus, essayent de faire dévier les ouvriers de la voie révolutionnaire dans celle qui est avantageuse à la bourgeoisie.

L'économique et la politique ont toujours été indissolublement liées l'une et l'autre. Ce lien est particulièrement indissoluble à des époques comme celle que nous traversons. Il n'est pas une seule question importante de la vie politique qui ne doive intéresser à la fois le parti ouvrier et le syndicat ouvrier. Inversement, il n'est pas une question économique importante qui puisse intéresser le syndicat sans intéresser à la fois le parti ouvrier.

Et encore :

L'association syndicale d'Amsterdam est une organisation où se rencontrent et se donnent la main les Internationales 2 et 2 1/2. Cette organisation est considérée avec espoir et sollicitude par toute la bourgeoisie mondiale. La grande idée de l'Internationale Syndicale d'Amsterdam pour le moment, c'est la neutralité des syndicats. Ce n'est pas par hasard que cette devise sert à la bourgeoisie et à ses valets social-démocrates ou syndicalistes de droite de moyen pour essayer de rassembler de nouveau les masses ouvrières d'Occident et d'Amérique. Tandis que la Seconde Internationale politique, en passant ouvertement du côté de la bourgeoisie, a fait lamentablement faillite, l'Internationale d'Amsterdam, en essayant à nouveau de se couvrir de l'idée de la neutralité, a encore quelque succès.

Sous le pavillon de la « neutralité », l'Internationale Syndicale d'Amsterdam prend sur elle les commissions les plus difficiles et les plus sales de la bourgeoisie : étrangler la grève des mineurs en Angleterre (comme a accepté de le faire le fameux J. H. Thomas qui est en même temps le président de II° Internationale et un des leaders les plus en vue de l'Internationale Syndicale Jaune d'Amsterdam), abaisser les salaires, organiser le pillage systématique des ouvriers allemands pour les péchés de Guillaume et de la bourgeoisie impérialiste allemande. Leipart et Grassmann, Wissel et Bauer, Robert Schmidt et J. H. Thomas, Albert Thomas et Jouhaux, Daszynski et Zulavski – tous, ils se sont partagé les rôles : les uns, anciens chefs syndicaux, participent aujourd'hui aux gouvernements bourgeois en qualité de ministres, de commissaires gouvernementaux ou de fonctionnaires quelconques, tandis que les autres, entièrement solidaires des premiers, restent à la tête de l'Internationale Syndicale d'Amsterdam pour prêcher aux ouvriers syndiqués la neutralité politique.

L'Internationale Syndicale d'Amsterdam est actuellement le principal appui du capital mondial. Il est impossible de combattre victorieusement cette forteresse du capitalisme, si on n'a pas compris auparavant la nécessité de combattre l'idée mensongère de l'apolitisme et de la neutralité des syndicats. Afin d'avoir une arme convenable pour combattre l'Internationale Jaune d'Amsterdam, il faut avant tout établir des relations mutuelles claires et précises entre le parti et les syndicats dans chaque pays.

IVème congrès de l’IC et les syndicats


Le IVème congrès de l’Internationale Communiste réaffirmait :

11. L'influence de la bourgeoisie sur le prolétariat se reflète dans la théorie de la neutralité, sur laquelle les syndicats devraient se proposer exclusivement des buts corporatifs, étroitement économiques et non point des visées de classe. Le neutralisme a toujours été une doctrine purement bourgeoise contre laquelle le marxisme révolutionnaire mène une lutte à mort. Les syndicats qui ne se posent aucun but de classe, c'est-à-dire ne visent pas au renversement du système capitaliste, sont, en dépit de leur composition prolétarienne, les meilleurs défenseurs de l'ordre et du régime bourgeois.

12. Cette période du neutralisme a toujours été favorisée par cet argument que les syndicats ouvriers doivent s'intéresser aux seules questions économiques sans se mêler de politique. La bourgeoisie a toujours tendance à séparer la politique de l'économie, comprenant parfaitement que, si elle réussit à insérer la classe ouvrière dans le cadre corporatif, aucun danger sérieux ne menace son hégémonie.

13. Cette même démarcation entre économie et politique est tracée aussi par les éléments anarchistes du mouvement syndical, pour détourner le mouvement ouvrier de la voie politique, sous prétexte que toute politique est dirigée contre les travailleurs. Cette théorie, purement bourgeoise au fond, est présentée aux ouvriers comme celle de l'autonomie syndicale, et l'on comprend cette dernière comme une opposition des syndicats au Parti Communiste et une déclaration de guerre au mouvement ouvrier communiste.

14. Cette lutte contre « la politique et le parti politique de la classe ouvrière », provoque un rétrécissement du mouvement ouvrier et des organisations ouvrières, de même qu'une campagne contre le communisme, conscience concentrée de la classe ouvrière. L'autonomie sous toutes ses formes, qu'elle soit anarchiste ou anarcho-syndicaliste, est une doctrine anticommuniste et la résistance la plus décidée doit lui être opposée ; le mieux qu'il puisse en résulter, c'est une autonomie par rapport au communisme et un antagonisme entre syndicats et partis communistes ; sinon c'est une lutte acharnée des syndicats contre le parti communiste, le communisme et la révolution sociale.

La théorie de l'autonomie, telle qu'elle est exposée par les anarcho-syndicalistes français, italiens et espagnols, est en somme le cri de guerre de l'anarchisme contre le communisme. Les communistes doivent mener à l'intérieur des syndicats une campagne décisive contre cette manœuvre de faire passer en contrebande, sous le pavillon de l'autonomie, la camelote anarchiste et pour diviser le mouvement ouvrier en segments hostiles les uns aux autres, pour ralentir ou entraver le triomphe de la classe ouvrière.

A propos de la lutte pour l’unité syndicale le IVème congrès expliquait :

21. Le mot d'ordre de l'Internationale Communiste (contre la scission syndicale) doit être appliqué aussi énergiquement que par le passé, malgré les furieuses persécutions auxquelles les réformistes de tous les pays soumettent les communistes. Les réformistes veulent prolonger la scission à l'aide des exclusions. chassant systématiquement les meilleurs éléments des syndicats, ils espèrent faire perdre le sang-froid aux communistes, les faire sortir des syndicats et leur faire abandonner le plan profondément réfléchi de la conquête des syndicats du dedans en se prononçant pour la scission. Mais les réformistes ne pourront pas arriver à ce résultat.

22. La scission du mouvement syndical, surtout dans les conditions actuelles, représente le plus grand danger pour le mouvement ouvrier dans son entier. La scission dans les syndicats ouvriers rejetterait la classe ouvrière à plusieurs années en arrière, car la bourgeoisie pourrait alors reprendre facilement les conquêtes les plus élémentaires des ouvriers. Coûte que coûte, les communistes doivent empêcher la scission syndicale. Par tous les moyens, par toutes les forces de leur organisation, ils doivent mettre obstacle à la criminelle légèreté avec laquelle les réformistes brisent l'unité syndicale.

23. Dans les pays où deux centrales syndicales nationales existent parallèlement (Espagne, France, Tchécoslovaquie, etc.) les communistes doivent lutter systématiquement pour la fusion des organisations parallèles. Etant donné ce but de la fusion des syndicats actuellement scindés, il n'est pas rationnel d'arracher les communistes isolés et les ouvriers révolutionnaires des syndicats réformistes, en les transférant dans les syndicats révolutionnaires. Pas un syndicat réformiste ne doit rester dépourvu du ferment communiste. Un travail actif des communistes dans les deux syndicats est une condition du rétablissement de l'unité détruite.

24. La sauvegarde de l'unité syndicale, ainsi que le rétablissement de l'unité détruite, ne sont possibles que si les communistes mettent en avant un programme pratique pour chaque pays et pour chaque branche d'industrie ; sur le terrain d'un travail pratique, d'une lutte pratique, on peut grouper les éléments dispersés du mouvement ouvrier et créer, dans le cas d'une scission syndicale, les conditions propres à assurer leur unification organique. Chaque communiste doit avoir en vue que la scission syndicale est non seulement une menace pour les conquêtes immédiates de la classe ouvrière, mais encore une menace pour la révolution sociale. Les tentatives des réformistes de scinder les syndicats doivent être étouffées radicalement ; or, cela ne peut être atteint qu'à l'aide d'un travail énergique d'organisation et un travail politique dans les masses ouvrières.

La position du comité


La “crise du syndicalisme” n’a d’autre origine que la contradiction, de plus en plus explosive, entre les exigences de la bourgeoisie en crise dont les appareils se font les instruments et les besoins et aspirations du prolétariat qui supporte toutes les conséquences de la faillite du mode de production capitaliste. Les militants regroupés dans le “comité pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire “ sont évidemment, totalement du côté du prolétariat. Leur ligne d’action est plus que jamais celle qu’a définie le “programme de transition” - “L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVème Internationale” :


Les bolcheviks-léninistes se trouvent aux premiers rangs de toutes les formes de lutte, même là où il s'agit seulement des intérêts matériels ou des droits démocratiques les plus modestes de la classe ouvrière. Ils prennent une part active à la vie des syndicats de masse, se préoccupent de les renforcer et d'accroître leur esprit de lutte. Ils luttent implacablement contre toutes les tentatives de soumettre les syndicats à l’Etat bourgeois et de lier le prolétariat par "l'arbitrage obligatoire" et toutes les autres formes d'intervention policière, non seulement fascistes, mais aussi "démocratiques". C'est seulement sur la base de ce travail, qu'il est possible de lutter avec succès à l'intérieur des syndicats contre la bureaucratie réformiste, et en particulier contre la bureaucratie stalinienne. Les tentatives sectaires d'édifier ou de maintenir des petits syndicats "révolutionnaires" comme une seconde édition du parti signifient, en fait, le renoncement à la lutte pour la direction de la classe ouvrière. Il faut poser ici comme un principe inébranlable : l'auto-isolement capitulard hors des syndicats de masses, équivalant à la trahison de la révolution, est incompatible, avec l'appartenance à la IV° Internationale.

En même temps, la IV° Internationale rejette et condamne résolument tout fétichisme syndical, également propre aux trade-unionistes et aux syndicalistes :

a)            Les syndicats n'ont pas et, vu leurs tâches, leur composition et le caractère de leur recrutement, ne peuvent avoir de programme révolutionnaire achevé; c'est pourquoi ils ne peuvent remplacer le parti. L'édification de partis révolutionnaires nationaux, sections de la IV° Internationale, est la tâche centrale de l'époque de transition.

b)            Les syndicats, même les plus puissants, n'embrassent pas plus de 20 à 25 % de la classe ouvrière et, d'ailleurs, ses couches les plus qualifiées et les mieux payées. La majorité la plus opprimée de la classe ouvrière n'est entraînée dans la lutte qu'épisodiquement, dans les périodes d'essor exceptionnel du mouvement ouvrier. A ces moments là, il est nécessaire de créer des organisations ad hoc, qui embrassent toute la masse en lutte : les COMITES DE GREVE, les COMITES D'USINES, et, enfin, les SOVIETS.

c)             En tant qu'organisation des couches supérieures du prolétariat, les syndicats, comme en témoigne toute l'expérience historique, y compris l'expérience toute fraîche des syndicats anarcho-syndicalistes d'Espagne, développent de puissantes tendances à la conciliation avec le régime démocratique bourgeois. Dans les périodes de luttes de classes aiguës, les appareils dirigeants des syndicats s'efforcent de se rendre maîtres du mouvement des masses pour le neutraliser. Cela se produit déjà lors de simples grèves, surtout lors des grèves de masse avec occupation des usines, qui ébranlent les principes de la propriété bourgeoise. En temps de guerre ou de révolution, quand la situation de la bourgeoisie devient particulièrement difficile, les dirigeants syndicaux deviennent ordinairement des ministres bourgeois.

C'est pourquoi les sections de la IV° Internationale doivent constamment s'efforcer, non seulement de renouveler l'appareil des syndicats, en proposant hardiment et résolument dans les moments critiques de nouveaux leaders prêts à la lutte à la place des fonctionnaires routiniers et des carriéristes, mais encore de créer, dans tous les cas où c'est possible, des organisations de combat autonomes qui répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise, sans même s'arrêter, si c'est nécessaire, devant une rupture ouverte avec l'appareil conservateur des syndicats. S'il est criminel de tourner le dos aux organisations de masse pour se contenter de fictions sectaires, il n'est pas moins criminel de tolérer passivement la subordination du mouvement révolutionnaire des masses au contrôle de cliques bureaucratiques ouvertement réactionnaires ou conservatrices masquées ("progressistes"). Le syndicat n'est pas une fin en soi, mais seulement un des moyens dans la marche à la révolution prolétarienne.

Ce qui signifie, combattre pour que :

·          les organisations syndicales rompent avec la bourgeoisie, qu’elles refusent de participer aux “conférences” organisées par Balladur et ses ministres, aux multiples organismes de “participation” où elles siègent aux côtés des représentants du gouvernement et du patronat.

·          se réalise le Front Unique de toutes les organisations ouvrières (partis et syndicats), contre la politique du gouvernement Balladur, contre ce gouvernement RPR-UDF et sa majorité à l’Assemblée Nationale.

Combattre pour :

·          Un programme de défense de la classe ouvrière qui soit une réponse à la crise du régime capitaliste, dont le but soit d’en finir avec lui : satisfaction des revendications, plan de production élaboré et réalisé sous le contrôle ouvrier, expropriation du capital (voir plus haut les indications de Trotsky).

Combattre pour :

·          un gouvernement du Front Unique des organisations ouvrières (syndicats et partis) sans lequel ces objectifs ne sauraient être atteints.

La lutte dans les syndicats exige de se rassembler, de s’organiser. Elle est inséparable de l’intervention dans les larges masses, de l’appel à la mobilisation. Pour cela il faut se servir comme d’un levier de la politique menée dans les syndicats. Le combat dans les syndicats est un combat mené au nom de l’ensemble et pour l’ensemble du prolétariat.

Cette lutte est une lutte politique. Elle exige l’activité de construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire dont le programme est le programme de la Révolution prolétarienne, du socialisme. Inversement : construire le parti ouvrier révolutionnaire exige de mener cette lutte.

Aucune illusion n’est permise : au point où en sont les appareils des organisations syndicales la rénovation, la reconstruction des syndicats est inséparable du processus de la révolution prolétarienne.

Le 28 mai 1993.

 

 

Vous appréciez cet article : soutenez nous ! Abonnez-vous, faites s’abonner à Combattre pour le Socialisme

 

 

Retour à l'accueil

 

 

 

 



[1] Plus précisément la Sécurité Sociale, le système d’indemnisation du chômage, “cotisations” patronales comprises, sont alimentés par le salaire différé qui n’est pas directement payé aux travailleurs. Il est donc normal qu’ils soient gérés par leurs syndicats et que les cotisations soient payées par le patronat et qu’il soit revendiqué qu’elles augmentent en fonction des besoins de la population laborieuse.